J’effleurais du bout des doigts le pansement usé par-dessus ma plaie au menton. C’était sûrement le coup de Jessie qui m’avait entaillé le visage. Je lui rendrais volontiers son coup, à cette Jessie.

Papa poussait la porte de la chambre, et s’assit sur mon lit. Mon père est brun aux yeux noisettes, comme moi. Mais, lui, il est grand.  

- Tu es réveillé mon chéri ! Tu as mal à ton menton ? Il faudrait peut-être changer ton pansement ? Attends ma chouquette, laisse-moi faire….

- C’est bon, laisse. J’ai pas mal. (c’était faux : j’avais affreusement mal).

Papa me regarda, dubitatif.

- On m’a raconté, dit-il, tu t’es encore battu…

- Non ! Ce n’est pas vrai ! C’est eux qui ont commencé ! Je, je ne les ai même pas touchés ! Ce n’est pas juste, c’est eux qu’on devrait punir ! Je…

- Calme toi Victor. Je n’ai jamais parlé de te punir. La fille qui t'a tapé a eu une sanction. Mais…Es-tu sûr de ne pas l’avoir touché ?

- Oui ! articulais-je, irrité.

- Je suis allé la voir et elle m’a dit…Que tu lui avais craché dessus.

- Ah bon !

 - Est-ce que c’est vrai ?

 - Oui.

 - Tu m’as mentis.

 - Je ne l’ai quand même pas touché !

Papa pouffa et fit la moue.

-  Si, logiquement, quand elle t’a frappé.

Je lui donnais une bourrade.

- Allez, dit-il, je vais te préparer à manger, tu dois avoir faim !

Je souris et dès qu’il passa le seuil de ma chambre, grimaçais.

Je me tenais le menton en allant à la salle de bain. Je soulevais délicatement mon pansement qui était déjà à moitié décollé. Une croute de sang recouvrait la plaie, mélangé à des grumeaux couleur blanc cassé. Je fus pris d'un haut le coeur et vomis dans l'évier. 
Au même moment, j'entendis la porte de notre appartement s'ouvrir puis se refermer.

- C'est Tomas ! M'annonça papa. 

Tomas, c'était mon meilleur ami, on faisait tous ensemble. Ce matin, quand je m'étais battu avec Jessie, il n'était pas là. S'il avait été là, il m'aurait défendu, sans aucun doute Ce genre de scène étaient fréquentes avec moi... Le motif de son absence ? "Mal de tête et caetera....". Pas très crédible mais il ne mentait jamais et adorait le collège. L'élève parfait, quoi. On faisait tout ensemble : la chorale du collège, les travaux de groupe (ou individuels), les révisions....mais surtout, on s'acceptait comme on était, lui en tant que élève parfait et moi en tant que souffre douleur de la classe. 

Mon meilleur ami passa sa tête dans l'entrebâillement  de la porte. Il me chercha brièvement du regard puis me sourit. Ses mèches de cheveux brunes effleuraient ses yeux verts, s'alignant avec le rictus qui fendait harmonieusement son visage. Son air enjoué se transforma vite en stupeur, puis en inquiétude quand il vit la cicatrice jaunâtre qui balafrait mon visage.

- Ça va Victor ? On t'a frappé ?

- C'est Jessie. Mais bon, je vais bien. Et toi, tu vas mieux ?

J'évitais le plus possible une autre discussion autour de ma plaie, ce serait inutile et embarrassant...

Tomas leva les yeux au ciel : il avait compris mon embarras. On alla dans ma chambre et on passa un après-midi de fous rires. La vie était belle. Vraiment, belle.

Enfin... Jusqu'à demain.