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02 mars 2012

La loi sur "le génocide arménien" rejettée par le Conseil Constitutionnel

La loi visant à réprimer la constestation de l'existance des génocides reconnus par la loi (que nous avons sommairement baptisé "loi sur le génocide arménien" a été rejettée par le Conseil Constitutionnel : voici le texte

"Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, le 31 janvier 2012, par MM. Jacques MYARD, Michel DIEFENBACHER, Jean AUCLAIR, Jean-Paul BACQUET, Jean BARDET, Christian BATAILLE, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER, Claude BIRRAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Christophe BOUILLON, Bruno BOURG-BROC, Loïc BOUVARD, Pascal BRINDEAU, Yves BUR, Christophe CARESCHE, Gilles CARREZ, Gérard CHARASSE, Jean-Louis CHRIST, Pascal CLÉMENT, François CORNUT-GENTILLE, René COUANAU, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Mme Sophie DELONG, M. Jean-Louis DUMONT, Mmes Cécile DUMOULIN, Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Jean-Paul GARRAUD, Daniel GARRIGUE, Claude GATIGNOL, Hervé GAYMARD, Paul GIACOBBI, Franck GILARD, Jean-Pierre GORGES, François GOULARD, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Michel HEINRICH, Antoine HERTH, Mme Françoise HOSTALIER, MM. Denis JACQUAT, Yves JÉGO, Jérôme LAMBERT, Jacques LAMBLIN, Mme Laure de LA RAUDIÈRE, MM. Jacques LE GUEN, Apeleto Albert LIKUVALU, Jean-François MANCEL, Alain MARTY, Didier MATHUS, Jean-Philippe MAURER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MORANGE, Jean-Marc NESME, Michel PIRON, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Jean-Luc REITZER, Jean-Marie ROLLAND, Daniel SPAGNOU, Eric STRAUMANN, Lionel TARDY, André WOJCIECHOWSKI, ainsi que par MM. Abdoulatifou ALY, Jean-Paul ANCIAUX, Paul DURIEU, Mmes Sylvia PINEL, Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Philippe VIGIER et le 2 février 2012, par M. Gwendal ROUILLARD, Mme Laurence DUMONT, MM. Jean MICHEL, Jack LANG et Mme Dominique ORLIAC, députés ;

Et le même jour par M. Jacques MÉZARD, Mme Leila AÏCHI, MM. Nicolas ALFONSI, Alain ANZIANI, Mme Aline ARCHIMBAUD, MM. Bertrand AUBAN, Gilbert BARBIER, Jean-Michel BAYLET, Mme Esther BENBASSA, M. Michel BILLOUT, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Corinne BOUCHOUX, MM. Didier BOULAUD, Christian BOURQUIN, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Christian COINTAT, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, Mme Hélène CONWAY-MOURET, MM. Ronan DANTEC, Jean-Pierre DEMERLIAT, Marcel DENEUX, Yves DÉTRAIGNE, Claude DILAIN, Mme Muguette DINI, MM. André DULAIT, Jean-Léonce DUPONT, Mmes Josette DURRIEU, Anne-Marie ESCOFFIER, M. Alain FAUCONNIER, Mme Françoise FÉRAT, MM. François FORTASSIN, Alain FOUCHÉ, Christian-André FRASSA, René GARREC, Patrice GÉLARD, Gaëtan GORCE, Mmes Nathalie GOULET, Jacqueline GOURAULT, Sylvie GOY-CHAVENT, MM. François GROSDIDIER, Robert HUE, Jean-Jacques HYEST, Pierre JARLIER, Mmes Fabienne KELLER, Bariza KHIARI, Virginie KLÈS, M. Joël LABBÉ, Mme Françoise LABORDE, M. Jean-René LECERF, Mme Claudine LEPAGE, MM. Jeanny LORGEOUX, Jean-Louis LORRAIN, Roland du LUART, Philippe MADRELLE, Jean-Pierre MICHEL, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-Jacques PIGNARD, François PILLET, Jean-Vincent PLACÉ, Jean-Pierre PLANCADE, Christian PONCELET, Hugues PORTELLI, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Roland RIES, Gilbert ROGER, Yves ROME, Robert TROPEANO, Raymond VALL, Jean-Marie VANLERENBERGHE, François VENDASI, Jean-Pierre VIAL, André VILLIERS, Richard YUNG, ainsi que par M. Michel BERSON, le 2 février 2012, par MM. Aymeri de MONTESQUIOU, Jean-Claude MERCERON, Jean-Jacques LASSERRE et le 3 février 2012, par M. Jean-Jacques LOZACH, sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Vu le code pénal ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 15 février 2012 ;

Vu les observations en réplique présentées par les députés requérants, enregistrées le 21 février 2012 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi ;

2. Considérant que l'article 1er de la loi déférée insère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un article 24 ter ; que cet article punit, à titre principal, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui « ont contesté ou minimisé de façon outrancière », quels que soient les moyens d'expression ou de communication publiques employés, « l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide défini à l'article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française » ; que l'article 2 de la loi déférée modifie l'article 48-2 de la même loi du 29 juillet 1881 ; qu'il étend le droit reconnu à certaines associations de se porter partie civile, en particulier pour tirer les conséquences de la création de cette nouvelle incrimination ;

3. Considérant que, selon les auteurs des saisines, la loi déférée méconnaît la liberté d'expression et de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe de légalité des délits et des peines résultant de l'article 8 de cette Déclaration ; qu'en réprimant seulement, d'une part, les génocides reconnus par la loi française et, d'autre part, les génocides à l'exclusion des autres crimes contre l'humanité, ces dispositions méconnaîtraient également le principe d'égalité ; que les députés requérants font en outre valoir que le législateur a méconnu sa propre compétence et le principe de la séparation des pouvoirs proclamé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; que seraient également méconnus le principe de nécessité des peines proclamé à l'article 8 de la Déclaration de 1789, la liberté de la recherche ainsi que le principe résultant de l'article 4 de la Constitution selon lequel les partis exercent leur activité librement ;

4. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale... » ; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ;

5. Considérant que, d'autre part, aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que l'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer ; qu'il lui est également loisible, à ce titre, d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers ; que, toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

6. Considérant qu'une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi ; que, toutefois, l'article 1er de la loi déférée réprime la contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française » ; qu'en réprimant ainsi la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution ; que son article 2, qui n'en est pas séparable, doit être également déclaré contraire à la Constitution,


D É C I D E :

Article 1er.- La loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la Constitution.

Article 2.-La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 février 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING et Pierre STEINMETZ."

Et voici le communiqué de presse qui l'accompagne : 

Par sa décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi. Il avait été saisi de cette loi, en application de l'article 61 de la Constitution, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs. Le Conseil a jugé cette loi contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a tout d'abord rappelé les normes constitutionnelles applicables. D'une part, en application de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit, par suite, être revêtue d'une portée normative. D'autre part, l'article 11 de la Déclaration de 1789 pose le principe de la liberté de communication des pensées et des opinions. Il est loisible au législateur d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Toutefois, les atteintes portées à l'exercice de cette liberté, qui est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés, doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.

En application de ces principes, une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi. Toutefois, en l'espèce, l'objet de l'article 1er de la loi déférée était de réprimer la contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française ». Le Conseil a jugé qu'en réprimant la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution l'article 1er de la loi déférée et par voie de conséquence son article 2 qui n'en est pas séparable.

Le Conseil constitutionnel ne s'est ainsi pas prononcé dans cette décision sur la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien. Cette loi ne lui était pas soumise et, a fortiori, il n'a formulé aucune appréciation sur les faits en cause. De même le Conseil n'avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe qui ne réprime pas la contestation de crimes « reconnus par la loi ».