"Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à
l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi visant à réprimer
la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, le 31 janvier
2012, par MM. Jacques MYARD, Michel DIEFENBACHER, Jean AUCLAIR, Jean-Paul
BACQUET, Jean BARDET, Christian BATAILLE, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER,
Claude BIRRAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Christophe BOUILLON, Bruno BOURG-BROC,
Loïc BOUVARD, Pascal BRINDEAU, Yves BUR, Christophe CARESCHE, Gilles CARREZ,
Gérard CHARASSE, Jean-Louis CHRIST, Pascal CLÉMENT, François CORNUT-GENTILLE,
René COUANAU, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Mme Sophie
DELONG, M. Jean-Louis DUMONT, Mmes Cécile DUMOULIN, Marie-Louise FORT, MM. Yves
FROMION, Jean-Paul GARRAUD, Daniel GARRIGUE, Claude GATIGNOL, Hervé GAYMARD,
Paul GIACOBBI, Franck GILARD, Jean-Pierre GORGES, François GOULARD, Mme Arlette
GROSSKOST, MM. Michel HEINRICH, Antoine HERTH, Mme Françoise HOSTALIER, MM.
Denis JACQUAT, Yves JÉGO, Jérôme LAMBERT, Jacques LAMBLIN, Mme Laure de LA
RAUDIÈRE, MM. Jacques LE GUEN, Apeleto Albert LIKUVALU, Jean-François MANCEL,
Alain MARTY, Didier MATHUS, Jean-Philippe MAURER, Jean-Claude MIGNON, Pierre
MORANGE, Jean-Marc NESME, Michel PIRON, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Jean-Luc
REITZER, Jean-Marie ROLLAND, Daniel SPAGNOU, Eric STRAUMANN, Lionel TARDY, André
WOJCIECHOWSKI, ainsi que par MM. Abdoulatifou ALY, Jean-Paul ANCIAUX, Paul
DURIEU, Mmes Sylvia PINEL, Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Philippe VIGIER et le 2
février 2012, par M. Gwendal ROUILLARD, Mme Laurence DUMONT, MM. Jean MICHEL,
Jack LANG et Mme Dominique ORLIAC, députés ;
Et le même jour par M.
Jacques MÉZARD, Mme Leila AÏCHI, MM. Nicolas ALFONSI, Alain ANZIANI, Mme Aline
ARCHIMBAUD, MM. Bertrand AUBAN, Gilbert BARBIER, Jean-Michel BAYLET, Mme Esther
BENBASSA, M. Michel BILLOUT, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Corinne BOUCHOUX, MM.
Didier BOULAUD, Christian BOURQUIN, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT,
Christian COINTAT, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, Mme Hélène CONWAY-MOURET,
MM. Ronan DANTEC, Jean-Pierre DEMERLIAT, Marcel DENEUX, Yves DÉTRAIGNE, Claude
DILAIN, Mme Muguette DINI, MM. André DULAIT, Jean-Léonce DUPONT, Mmes Josette
DURRIEU, Anne-Marie ESCOFFIER, M. Alain FAUCONNIER, Mme Françoise FÉRAT, MM.
François FORTASSIN, Alain FOUCHÉ, Christian-André FRASSA, René GARREC, Patrice
GÉLARD, Gaëtan GORCE, Mmes Nathalie GOULET, Jacqueline GOURAULT, Sylvie
GOY-CHAVENT, MM. François GROSDIDIER, Robert HUE, Jean-Jacques HYEST, Pierre
JARLIER, Mmes Fabienne KELLER, Bariza KHIARI, Virginie KLÈS, M. Joël LABBÉ, Mme
Françoise LABORDE, M. Jean-René LECERF, Mme Claudine LEPAGE, MM. Jeanny
LORGEOUX, Jean-Louis LORRAIN, Roland du LUART, Philippe MADRELLE, Jean-Pierre
MICHEL, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude
PEYRONNET, Jean-Jacques PIGNARD, François PILLET, Jean-Vincent PLACÉ,
Jean-Pierre PLANCADE, Christian PONCELET, Hugues PORTELLI, Mme Gisèle PRINTZ,
MM. Roland RIES, Gilbert ROGER, Yves ROME, Robert TROPEANO, Raymond VALL,
Jean-Marie VANLERENBERGHE, François VENDASI, Jean-Pierre VIAL, André VILLIERS,
Richard YUNG, ainsi que par M. Michel BERSON, le 2 février 2012, par MM. Aymeri
de MONTESQUIOU, Jean-Claude MERCERON, Jean-Jacques LASSERRE et le 3 février
2012, par M. Jean-Jacques LOZACH, sénateurs.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958
modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Vu le code pénal ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 15 février 2012 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés requérants,
enregistrées le 21 février 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil
constitutionnel la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des
génocides reconnus par la loi ;
2. Considérant que l'article 1er de la
loi déférée insère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un
article 24 ter ; que cet article punit, à titre principal, d'une peine d'un an
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui « ont contesté ou minimisé
de façon outrancière », quels que soient les moyens d'expression ou de
communication publiques employés, « l'existence d'un ou plusieurs crimes de
génocide défini à l'article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la
loi française » ; que l'article 2 de la loi déférée modifie l'article 48-2 de la
même loi du 29 juillet 1881 ; qu'il étend le droit reconnu à certaines
associations de se porter partie civile, en particulier pour tirer les
conséquences de la création de cette nouvelle incrimination ;
3.
Considérant que, selon les auteurs des saisines, la loi déférée méconnaît la
liberté d'expression et de communication proclamée par l'article 11 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe
de légalité des délits et des peines résultant de l'article 8 de cette
Déclaration ; qu'en réprimant seulement, d'une part, les génocides reconnus par
la loi française et, d'autre part, les génocides à l'exclusion des autres crimes
contre l'humanité, ces dispositions méconnaîtraient également le principe
d'égalité ; que les députés requérants font en outre valoir que le législateur a
méconnu sa propre compétence et le principe de la séparation des pouvoirs
proclamé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; que seraient également
méconnus le principe de nécessité des peines proclamé à l'article 8 de la
Déclaration de 1789, la liberté de la recherche ainsi que le principe résultant
de l'article 4 de la Constitution selon lequel les partis exercent leur activité
librement ;
4. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article 6 de
la Déclaration de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale... » ;
qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur
constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de
dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation
d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ;
5. Considérant que, d'autre part, aux termes de l'article 11 de la
Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est
un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi » ; que l'article 34 de la Constitution dispose : « La
loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ;
que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles
concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de
parler, d'écrire et d'imprimer ; qu'il lui est également loisible, à ce titre,
d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté
d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux
droits des tiers ; que, toutefois, la liberté d'expression et de communication
est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie
et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les
atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires,
adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
6. Considérant
qu'une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de
génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui
s'attache à la loi ; que, toutefois, l'article 1er de la loi déférée réprime la
contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de
génocide « reconnus comme tels par la loi française » ; qu'en réprimant ainsi la
contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il
aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une
atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de
communication ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres
griefs, l'article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la
Constitution ; que son article 2, qui n'en est pas séparable, doit être
également déclaré contraire à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- La loi visant à réprimer la contestation
de l'existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la
Constitution.
Article 2.-La présente décision sera publiée au Journal
officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil
constitutionnel dans sa séance du 28 février 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis
DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET,
Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING et Pierre
STEINMETZ."
Et voici le communiqué de presse qui l'accompagne :
Par sa décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi. Il avait été saisi de cette loi, en application de l'article 61 de la Constitution, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs. Le Conseil a jugé cette loi contraire à la Constitution.Le Conseil constitutionnel a tout d'abord rappelé les normes constitutionnelles applicables. D'une part, en application de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit, par suite, être revêtue d'une portée normative. D'autre part, l'article 11 de la Déclaration de 1789 pose le principe de la liberté de communication des pensées et des opinions. Il est loisible au législateur d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Toutefois, les atteintes portées à l'exercice de cette liberté, qui est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés, doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
En application de ces principes, une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi. Toutefois, en l'espèce, l'objet de l'article 1er de la loi déférée était de réprimer la contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française ». Le Conseil a jugé qu'en réprimant la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication.
Dès lors, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution l'article 1er de la loi déférée et par voie de conséquence son article 2 qui n'en est pas séparable.
Le Conseil constitutionnel ne s'est ainsi pas prononcé dans cette décision sur la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien. Cette loi ne lui était pas soumise et, a fortiori, il n'a formulé aucune appréciation sur les faits en cause. De même le Conseil n'avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe qui ne réprime pas la contestation de crimes « reconnus par la loi ».