Persépolis et Métropolis

Ci-dessous, les liens entre Persépolis, la BD de Marjane adpatée au cinéma et Métropolis ... décidément, les influences de Métropolis sont inépuisables ... au passage ça permet une redifinition du cinéma expressionniste ...

En adaptant sur grand écran son oeuvre, Marjane échange les fonds en noir et blanc par des fondus au noir, de grandes ombres qui viennent envahir le plan, des fondus enchaînés, retrouvant par à-coups l’esthétisme de l’expressionnisme, s’amusant dès lors à baptiser son oeuvre Persépolis, un clin d’oeil à Métropolis (Fritz Lang, 1927). Cependant, si l’auteur emprunte à l’expressionnisme allemand les décors aux perspectives faussées, le travail obsédant sur les ombres, la thématique de la folie des hommes, l’usage des ouverture et fermeture à l’iris cher au muet, elle ne compare pas Persépolis (ancienne capitale de la Perse) à Métropolis (délire visuel du cinéaste Fritz Lang).

Réalisme vs expressionnisme : la manière

Le dessin de Marjane est réaliste, il n’emprunte nullement au cartoon ou à l’esthétisme d’un Walt Disney. Il s’inscrit dans la droite ligne d’un réalisme imposé en bande dessinée, depuis les comic strips américains des années 20 jusqu’au travail d’un Spiegelman sur Maus. Si Marjane refuse la couleur en bande dessinée, elle a dû se plier aux exigences de l’animation, aux 24 images/seconde, à la durée. Ainsi Renaissance (C. Volkmann, 2006), qui use d’une esthétique noir et blanc, est une épreuve pour le spectateur : le contraste violent,  justement entre le noir et le blanc, et l’absence de dégradé indisposent l’oeil. L’utilisation de la couleur et du dégradé de gris en toile de fond dans Persépolis permet de reposer la vision tout en restant au plus près du réalisme imposé. Marjane n’encombre pas son décor. Lors des scènes dans l’aéroport, seuls quelques personnages sont taches de couleur et le ciel qui voit l’envol des avions est bleu.

Opposant la couleur du présent à une palette de gris pour traiter du passé, Persépolis garde son graphisme épuré et utilise la force des contours, la trace, pour faire mouvoir ses personnages. Les visages sont expressifs et l’émotion vient aussi de ce don pour rendre un sourire, une crainte, une colère sans exagérer, caricaturer les traits. Certaines idées visuelles sont réussies : les moments de danger sont toujours dessinés en ombres chinoises, la foule, silhouettes noires, vient souvent envahir l’écran et fondre l’image dans un noir endeuillé.

Tous les dessins ont été retravaillés au feutre suivant des empâtements différents, ils ont été tracés. La trace, en animation, correspond au moment où on finalise le trait, où on lui donne son épaisseur. Pour garder une identité graphique originale à Persépolis, ce tracé a été une étape importante et obligatoire. Le réalisme cher à Marjane Satrapi met alors en évidence le lieu de la rêverie. Les instants de douces envolées – et ce terme n’est point galvaudé puisque tous ces moments montrent Marjane volant, planant, ne touchant plus terre – sont incorporés, voire définissent la scène. Le rêve est de l’ordre de l’apparition, une incrustation possible dans l’espace de l’enfant (Dieu, Karl Marx). Mais certains plans, certaines scènes se tournent davantage du côté du fantasme dans le monde adolescent (Marji modifiant son apparence, Marji et Marcus, etc.).

Ainsi l’onirisme se révèle fantastique et s’attaque au graphisme qui se veut réaliste, modifiant une apparence et offrant un point de vue poétique sur la scène. Marjane Satrapi se sent très proche de l’expressionnisme allemand et du néoréalisme italien parce que ce sont deux cinémas qui ont vu leur essor dans une période d’immédiat après-guerre, le premier dès 1919, le second à partir de 1945 (même si le film fondateur, Ossessione de Visconti, date de 1943). Or, l’auteur se dit être quelqu’un « d’après-guerre ». Persépolis, pour elle, semble être une synthèse relative de ces deux courants cinématographiques : à des scènes quotidiennes, réalistes, presque documentaires, s’opposent des parties graphiques. Gardons cependant cette expression – réalisme stylisé – pour définir son travail et ajoutons-lui la manière. Celle de Vasari bien sûr qui emploie ce terme, synonyme de style, pour offrir une expression qui recouvre des qualités d’harmonie, de mesure, d’imagination et de fantaisie.

Extrait de http://www.cnc.fr/CNC_GALLERY_CONTENT/DOCUMENTS/ecole_college_lyceens/dossiers/college/College_Persepolis.pdf