Voici l'article publié sur le site de l'APHG, par Sophie Gaujal (http://www.aphg.fr/GeoPhotoGraphes)
GeoPhotoGraphes : ce qui était à l’origine un outil expérimental, élaboré en 2011 par deux enseignantes d’histoire-géographie, Ariane Jourdan et moi-même, a pris depuis 2013 une autre ampleur, puisque ce concours photo, destiné aux élèves en classe de géographie, est désormais proposé par le GEP d’histoire-géographie (Groupe d’Expérimentation Pédagogique) à tous les élèves de l’académie de Versailles, collégiens et lycéens. C’est l’histoire de cet outil que je propose de retracer ici, et partant, de ce qu’il permet de mettre en oeuvre : une manière différente de lire puis d’écrire la géographie à l’école, un partage des regards et des pratiques, aussi. [2]
GéoPhotoGraphes : une autre manière de lire puis d’écrire la géographie à l’école
Octobre 2011 : nous [3]venons de terminer l’étude du premier chapitre d’histoire et nous nous apprêtons à entamer celle des territoires de proximité. La question est nouvelle (BO spécial n°9, 30 septembre 2010). Sur le plan épistémologique, elle est en rupture avec les programmes précédents et d’aucuns diraient qu’elle constitue un changement de paradigme, en favorisant un apprentissage expérientiel de la géographie. Un nouveau « paradigme » qui caractérise déjà depuis 2008 les programmes de 6e introduits par l’étude de « mon espace proche » (BO spécial n°6, 28 août 2008), et qui y d’ailleurs plus affirmé qu’en première, en faisant de l’habiter le fil conducteur du programme [4]. Dans les deux cas, l’étude s’assortit d’une recommandation d’accompagner l’étude de ce chapitre d’une sortie sur le terrain. Face à cette demande institutionnelle, la réponse que nous apportons, Ariane Jourdan et moi, sur le terrain, est pragmatique. Nous décidons en effet d’organiser un concours photo avec nos deux classes de Première ES. Cela nous semble un bon moyen pour motiver les élèves à aller sur le terrain, et à y faire, à l’issue du cours sur les territoires des proximité, l’épreuve du réel en confrontant à posteriori les notions et savoirs appris en cours avec le terrain, à l’échelle 1/1. La consigne que nous leur donnons est la suivante : se rendre sur les anciens terrains Renault, [5] situés à une dizaine de minutes à pied du lycée – mais peu connus des élèves – afin d’y prendre une photo, qu’ils devront accompagner d’une note d’intention, sur le thème de l’aménagement. Les critères d’évaluation sont l’intérêt esthétique et la pertinence géographique de la production.
Et voilà, à l’automne 2011, nos élèves sur le terrain, armés de leur appareil photo et de leur cours de géographie, en quête d’un point de vue original. Voilà par exemple Maxime et Sarra qui quittent le lycée après le déjeuner, en route vers l’île Seguin. [6]. Le départ se fait à 13 h 10, leurs cours reprennent à 14 h 30, ils ont peu de temps. Hugues, un camarade d’une autre classe, les accompagne. Boîte à outil à la main, en bleu de travail, et coiffé d’une casquette, il dispose de tous les attributs d’un ouvrier. Une mise en scène se prépare…Ils parviennent sur les lieux à 13 h 22. Ils passent quarante-quatre minutes sur l’île, pendant lesquelles ils prennent soixante-trois photographies. Soixante-trois photographies sur lesquelles on les voit alternativement jouer, dans l’herbe, sur une aire de jeu, se mettre en scène, explorer aussi, se rendant à l’extrémité de l’île, n’hésitant pas même à aller dans l’usine en friche - sollicitant la permission d’un ouvrier présent sur les lieux. Soixante-trois photographies aussi pour expérimenter le point de vue et la mise en scène idéale, ici pastichant des ouvriers en train de prendre leur déjeuner, là en train d’aller au travail... De retour chez eux - l’histoire ne dit pas quand... -, ils trient les photos, ils les sélectionnent, il faut choisir, ils hésitent, il y en a deux qu’ils aiment bien. Finalement le choix est fait, la photo est retouchée, désormais sur la photo, couleur et noir et blanc alternent. Enfin le texte est écrit, et la photo envoyée par mail... à son destinataire, leur professeur d’histoire-géographie.
Tous les élèves de la classe ne réalisent pas le même parcours. Il y a, comme Maxime et Sarra, les mitrailleurs, qui font 200 photos qu’ils sélectionnent à la maison ; mais aussi les efficaces, qui se contentent d’une seule photo, les tenaces, qui reviennent plusieurs fois, les casaniers enfin, qui troquent l’excursion contre une incursion sur un moteur de recherche sur internet. Tous rendent une photo, accompagnée d’une note d’intention.
Pour cette forme inédite d’écriture de la géographie, les résultats sont inégaux. La tour Jean Nouvel, bâtiment emblématique du nouveau quartier du Trapèze, est un motif particulièrement apprécié, notamment en gros plan, et représente un quart des réponses apportées. Les notes d’intention quant à elles peinent à sortir du registre dénotatif, sur le modèle de l’analyse de paysage qu’on leur apprend depuis l’école primaire. Oubliant qu’ils sont les auteurs de la photo, les élèves commentent la photo plan par plan, dégageant des unités paysagères auxquelles ils attribuent, parfois artificiellement, un concept du cours. Une touffe d’herbe devient alors la preuve que le futur écoquartier du Trapèze répond à des préoccupations environnementales, un immeuble en construction incarne tout à la fois la mixité sociale, fonctionnelle et la durabilité assignée aux écoquartiers. Oubliant aussi qu’ils s’adressent à un jury, ils privilégient la restitution du cours. Qu’importe ! Nous apprécions, Ariane Jourdan et moi, ces devoirs qui nous changent de l’ordinaire. Quelques-unes d’ailleurs ne sont pas ordinaires du tout, telle celle de Maxime et Sarra. Mettant en scène un ouvrier venu des années 50 qui contemple médusé le paysage métamorphosé de ce qui était autrefois son outil de travail, leur photographie surprend et attire le regard. Elle permet au spectateur de se projeter dans une double temporalité, celle d’hier, du temps où Renault était en pleine activité, celle d’aujourd’hui, un territoire en pleine reconversion tourné vers l’avenir. L’alternance de noir et blanc et de couleur sur la photo vient appuyer cette juxtaposition de temporalités. Quelques brins d’herbe au premier plan facilitent l’entrée du spectateur dans l’image. La légende, quant à elle, éclaire sur les intentions des auteurs, et la manière dont la photo est construite. Le jury, composé de membres de l’équipe éducative, ne s’y trompe d’ailleurs pas et sélectionne cette photo (Doc.1), ex æquo avec une autre, comme lauréate de cette première session du concours.
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Doc 1. La photo de Maxime et Sarra, élèves en 1reES en 2011 - 2012, lycée J.Prévert, Boulogne-Billancourt
Notre photographie a été prise sur L’Île Seguin au milieu du « Jardin de l’Île Seguin » et est prise par vue d’ensemble séparée en deux plans : un premier, l’Île Seguin et un travailleur des usines Renault des années 1960 et un second, le Trapèze et le quartier du Pont de Sèvres. Nous avons trouvé judicieux de faire apparaître un contraste entre le travailleur des années 1960 qui est retouché par un effet de noir et blanc qui exprime une idée du passé et le nouveau paysage « Ile Seguin, Trapèze, Quartier du Pont de Sèvres » qui exprime une modernité. L’histoire que raconte cette photographie est qu’un travailleur des années 1960 se retrouve en plein milieu de l’île Seguin où il n’y a plus d’usines ni d’employés et se sent donc perdu et insatisfait.
GéoPhotoGraphes : partager les regards et des pratiques
Mais l’intérêt du concours photo ne s’arrête pas à ce versant de production de photos par les élèves. Grâce à la dimension intersubjective de l’image, il permet aussi de partager les regards... Un partage finalement assez rare, dans une culture scolaire qui interdit de « copier » sur son voisin, dans une forme scolaire qui favorise peu la rencontre entre les classes, encore moins entre les établissements, et dans une école pas toujours bien connectée avec le monde. C’est donc toutes ces échelles que le concours photo permet de relier, entre les élèves de la classe d’abord, entre les différentes classes et établissements participants ensuite, entre les classes et le monde enfin.
Entre les élèves de la classe tout d’abord, et entre les classes entre elles, il y a un changement d’échelle, mais pas de nature : dans les deux cas, la diffusion des photos, par le moyen d’une projection en classe, ou d’un blog [7]/, apporte des solutions nouvelles de remédiation. En associant un texte court à une image, les productions des élèves peuvent en effet, à la différence de copies classiques, être projetées et commentées en classe. La diversité des réponses possibles s’affiche alors, permettant tout à la fois une réflexion de nature épistémologique sur la définition de la thématique proposée et méthodologique, pour définir la stratégie gagnante.
A mesure que le nombre de classes participantes, et donc de photos augmentent, se pose cependant la question du volume. Ainsi, en 2013, lorsque le concours est lancé par le GEP à l’échelle de toute l’académie de Versailles, 42 classes provenant de 25 établissements différents y participent, ce qui représente un volume de plus de 100 photos. La médiation nécessite alors plus d’être plus élaborée, et prend la forme en 2014 d’un jeu proposé à l’ensemble des classes participantes, invitées à découvrir « la photo mystère », autour de trois manches successives : associer les photos à des sons, des mimes, des dessins, puis à leur légende, enfin résoudre une énigme [8] A l’issue du jeu, les élèves, se constituant alors en jury, sont invités à voter pour leur photo préféré. Des élèves de 6e découvrent les photos de leurs homologues de la commune voisine, mais aussi le travail fait par des élèves de bac pro photo, ou encore celui réalisé par des élèves de Seconde à l’autre bout de l’académie. Une variété de réponses et donc de stratégies possibles ...
Ces regards peuvent être partagés plus largement encore, auprès de l’ensemble de la communauté éducative, en direction des parents, et pourquoi pas, de l’ensemble de la sphère sociale. Après avoir permis de mettre le monde dans la classe, voici que le concours GéoPhotoGraphes permet à la classe de s’exposer dans le monde, l’occasion de lever, un peu, le voile sur la boîte noire de la classe... C’est en tout cas l’objectif de l’exposition numérique Voyage en GéoPhotoGraphie [9]. Comme les élèves avant eux, les spectateurs sont invités à explorer et à reconstituer le territoire livré par ces regards fragmentés, et qui, mis bout à bout, offrent une véritable vision de la banlieue parisienne. Pour en faciliter l’accès, une carte sert d’interface et organise ces regards sur des lignes.
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Doc 2. La carte du « Voyage en GéoPhotoGraphie »
Alors que certaines photographies montrent des espaces encore en friche (ligne 1, rien ne se perd), d’autres s’intéressent aux transformations urbaines, à ces opérations d’acupuncture qui font que la banlieue, loin de la conquête des grands espaces du passé, se recompose aujourd’hui sur elle-même. Les opérations sont d’envergure, écoquartier ici, réhabilitation des grands ensembles là (ligne 2, tout se transforme). Tous ne font pas cependant la promotion des récentes politiques urbaines. La ligne 2bis est celle des partis-pris : les élèves ne témoignent plus, ils dénoncent, ils s’inquiètent : et si la ville grignotait tout ? Et si, telle une tour de Babel, elle prenait trop d’altitude, négligeant les lois de la pesanteur ? Face à ce qu’ils voient comme une démesure urbaine, ils s’inquiètent. D’autres encore se veulent force de proposition : et si la solution était dans la densification de la ville ? Sur les conseils de leur professeur, les voilà qui dessinent alors, à même la photographie, proposant des solutions pour l’avenir (doc 3). Ligne 3, place au chantier. La transition est là, sous nos yeux. Ligne 4, le regard se fait optimiste, à nouveau, et une banlieue accueillante se dessine, porteuse de nouvelles aménités, de nouvelles connexités, après avoir longtemps été réduite au service minimum : les élèves sont fiers alors de montrer leur médiathèque, le tout nouveau centre aquatique ou le « mobipôle ».
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Doc 3. Photographie d’Ève, élève en 6e au collège A. Maurois en 2013-2014, Epinay-sur-Orge (91)
Petites maisons sur garages
La photo a été prise à Epinay sur orge, dans la rue Henri Dunant.
J’ai pris cette photographie à l’aide de mon appareil photo et j’ai ensuite dessiné des studios sur les garages, grâce au logiciel Paint.
L’objectif est de construire des petites maisons sur des garages pour éviter de construire en dehors de la ville ; en effet, en construisant en hauteur nous limitons l’expansion de la ville en créant de nouveaux logements pour de nouveaux occupants.
Et au fait, me direz-vous, qu’est-ce-qu’on gagne ? Ma réponse en décevra peut-être certains... avant tout le plaisir de faire de la géographie tous ensemble... Un plaisir à partager à nouveau en 2014-2015, sur le thème de la mobilité cette fois...
Voir en ligne : Mobilités 2014-2015 : les productions des élèves