lydie-salvayre-pas-pleurerPAS PLEURER : UNE GUERRE, DEUX TEMOIGNAGES

 

 

      Ce roman de Lydie Salvayre retrace les événements de l'été 1936 durant la guerre d'Espagne et met en avant deux témoignages totalement différents et contraires sur la perception de cette guerre : celui de Georges Bernanos, expatrié français vivant à Palma de Majorque, spectateur et conscient des dégâts de la guerre et celui de Montse, mère de l'auteure, qui n'était alors qu'une adolescente vivant dans un village reclus de Catalogne et pour qui la guerre est une chance lui permettant de s'émanciper.

 

Ces deux voix s'entremêlent tout au long du récit et se contredisent : lorsque Montse nous raconte la joie lorsqu'elle découvre pour la première fois Barcelone grâce à la guerre, Bernanos nous raconte les différents massacres perpétués par les franquistes. Les différences dans les discours tenus par ces deux personnes vivant dans le même pays, mais dans des provinces différentes, est d'autant plus flagrante lors des descriptions de l'ambiance les entourant : Montse nous parle de gaieté, de vie, de grands bâtiments, de soleils lorsque Bernanos, lui, nous décrit une atmosphère sombre, nous parle de « gens tirés hors de leurs lits durant la nuit » et de massacres.

 

Rien ne présageait que Montse allait s'investir dans le camp républicain lors de la guerre. C'est le jour du début de la guerre civile, le 18 juillet 1936, révoltée après que Don Jaime (le grand propriétaire terrien du village) l'a qualifiée de « bien modeste », elle se lie aux idées socialistes de son frère José qui tente de répandre ses idéaux dans tout le village. Elle décide alors de gagner Barcelone, tenu par le camp républicain et bastion anti-fasciste, accompagnée de son frère José. Celui-ci, en attendant d'être affecté sur le champ de bataille, apprend, en écoutant au bistrot deux hommes, les actions violentes menées par les communistes et plus qu'encouragées par Moscou (URSS). Il décide de regagner le village. Mais Montse ne le suit pas car pour elle, cet été et ce passage à la ville vont changer à tout jamais son existence. En effet, elle va découvrir la vie avec deux grands A : Amour et André. Son amour pour ce jeune combattant français ne va pas durer plus de vingt-quatre heures mais il aura changé sa vie à tout jamais. Après avoir rencontré cet homme et discuté avec lui, Montse passe la nuit à l'hôtel en sa compagnie. Le lendemain, au réveil, André se précipite pour partir car il est attendu pour partir à la guerre. Elle ne le reverra plus mais son empreinte la marquera à jamais puisque Montse tombe enceinte cette nuit-là. Elle décide de rentrer au village par la suite et de l'annoncer courageusement à sa mère. Montse doit épouser Diego, fils de don Jaime, maire de la ville et ennemi politique de son frère José. Cet amour n'est en rien comparable avec celui qu'elle porte à André. Mais pour une question d'honneur, ou plutôt de déshonneur (d'être tombée enceinte à la ville, hors mariage), elle se doit d'accepter cette solution.

 

Pendant ce temps, à Majorque, Georges Bernanos est témoin des crimes commis par les fascistes. Rien ne présageait non plus que Bernanos apporterait son soutien au camp républicain. Bien au contraire. C'est un fervent catholique, monarchiste. Ses idées rejoignent plus ceux du camp nationaliste que ceux des républicains. Son fils, Yves, est d'ailleurs engagé dans les Phalanges (milices nationalistes) et il apporte lui-même son soutien durant les premiers mois de la guerre aux nationaux. Cependant, il assiste de ses propres yeux aux horribles exactions commises par les miliciens nationaux (des massacres ont cependant eu lieu dans les deux camps, comme il le rappelle à plusieurs moments !) et soutenues par l’Église catholique espagnole, ce qui le répugne puisqu'il est un fidèle croyant. Il cherche à se rassurer sur ses convictions religieuses et parle souvent de Jésus, voulant montrer que ce que faisaient les nationaux avec l’Église n'avait rien à voir avec la vraie foi, sa foi.

 

Cette guerre aura marqué Montse à tout jamais (alors qu'elle est atteinte d'Alzheimer) car elle y a trouvé l'amour avec un grand A. Cette guerre aura marqué Bernanos à tout jamais car il y aura vu la mort avec un grand M. Et c'est ce qu'a souhaité nous montrer Lydie Salvaire à travers un roman incluant deux autobiographies, deux témoignages, deux points de vue tout autant émouvants l'un que l'autre. Elle qui a souvent eu honte du français de sa mère est aujourd'hui fière de ce qu'elle a été, et de ce qu'elle est devenue.

 

Anthony T. F.

 

 

L’Histoire dans l’histoire

Lydie Salvayre a réussi à nous raconter un récit historique à travers un récit personnel qui pourrait manquer de pudeur mais l’auteur qui joue le rôle de narratrice dans son roman a su s’y prendre pour nous offrir le témoignage d’une femme au caractère fort, parfois drôle, qui est sa propre mère.

« Je ne suis jamais allée faire la bonne ni chez les Burgos ni chez personne. La guerre, ma chérie, est tombée à pic nommé ».

 

 

Pas pleurer est un roman écrit par Lydie Salvayre et paru en 2014. Traitant de la guerre d'Espagne, il a remporté le prix Goncourt le 5 novembre 2014.

C’est un roman autobiographique qui met en scène Lydie Salvayre recueillant le témoignage de sa mère qui a vécu la guerre civile en Espagne l’été 1936.

Sa mère « Montse » est atteinte d’Alzheimer, elle est en maison de retraite à ce moment-là. Lydie Salvayre a écrit ce roman car elle est fière aujourd’hui de partager son histoire, son vécu, elle a longtemps eu honte d’une mère qui arrivée en France parlait avec un langage bancal appris sur le tas, mais sa fille qui a étudié en France et qui est maintenant écrivaine lui rend hommage en mettant à l’écrit les derniers souvenirs que sa mère a gardés malgré son handicap, « comme si, pour elle, le cours du temps s’était arrêté le 13 août 1936 »

On le voit dans le roman, on le vit, on partage les joies et les peines de Montse. Elle est originaire d’un petit village perdu dans les montagnes, rythmé par les saisons, la venue des idées révolutionnaires vient perturber le quotidien des paysans qui n’ont aucune ouverture d’esprit, et qui ne veulent aucun changement, leur vie se répète à l’identique, mais Montse qui n’a que 15 ans apprend qu’elle peut voir et avoir plus, elle veut découvrir le monde et le parcourir, elle veut se libérer de l’emprise de ses parents et de son village, elle et son frère José partent vers Barcelone où elle passe des moments inoubliables et uniques. Elle goûte à l’amour et à la liberté pour la première fois et c’est pour elle un bonheur exceptionnel.

Ce qui est intéressant dans cette œuvre c’est que l’on peut avoir deux visions différentes de cette guerre civile qui a ravagé l’Espagne, deux points de vue complètement opposés et contradictoires, d’un côté nous avons la mère, Montse qui a pu grâce à cette guerre se libérer, quitter son village. La guerre lui a donné une occasion de découvrir le monde qui l’entoure jusque-là inconnu pour elle. De l’autre côté on retrouve le point de vue de Bernanos qui est l’auteur des Grands cimetières sous la lune, qui décrit la même guerre et les mêmes événements mais sous un autre angle car Bernanos a vu sons fils partir combattre, il a pu constater la corruption de l’Église face aux massacres. Lydie a lu l’œuvre de Bernanos en parallèle quand elle a écrit Pas pleurer, elle a donc inséré dans sa propre histoire plusieurs extraits de l’œuvre de Bernanos, ce qui nous permet de voir deux ressentis différents et deux conséquences de cette guerre, d’une part la liberté, le bonheur, la joie du renouveau et du changement et de l’autre le dégoût, la peur, les massacres.

Lydie Salvayre a mérité son prix Goncourt grâce au style d’écriture spécial, parfois déstabilisant, elle est parvenue à intégrer différents langages, styles dans un même roman ce qui a permis de faire entendre plusieurs voix. Pas pleurer reste une œuvre exceptionnelle tout comme la vie de son personnage.

Mehdi N.