La classe de neige : texte de la deuxième lecture analytique
Par prof le 26 octobre 2015, 09:34 - textes des lectures analytiques - Lien permanent
"- Tu l’as échappé belle si ça se trouve », murmura Hodkann. Nicolas le sentait captivé 1, jouissait du rôle nouveau qu’il tenait. Cela lui était venu d’un coup, il improvisait, mais déjà toute une histoire prenait corps devant lui, tout ce qui s’était passé les derniers jours trouvait une explication, à commencer par sa propre maladie
La Classe de neige d’Emmanuel Carrère - 1995
2ème lecture analytique - extrait du chapitre 20
Après la disparition du petit René, Nicolas tente de convaincre Hodkann de mener l’enquête avec lui.
"- Tu l’as échappé belle si ça se trouve », murmura Hodkann. Nicolas le sentait captivé 1, jouissait du rôle nouveau qu’il tenait. Cela lui était venu d’un coup, il improvisait, mais déjà toute une histoire prenait corps devant lui, tout ce qui s’était passé les derniers jours trouvait une explication, à commencer par sa propre maladie. Il se rappela un livre où le détective faisait semblant d’être malade aussi, délirant2, pour endormir la méfiance des malfaiteurs et les surveiller du coin de l’œil. C’était exactement ce qu’il faisait, lui, depuis deux jours. Dans le livre, l’assistant du détective, plein de ressources mais quand même moins intelligent que lui, poursuivait seul l’enquête, de son mieux, en croyant son maître sur la touche3 . Pour finir, le maître jetait le masque, avouait la supercherie4, et il se révélait qu’en restant dans son lit il avait beaucoup plus progressé vers la solution du mystère que l’assistant en multipliant filatures et interrogatoires. Grisé par son récit, Nicolas en venait à juger plausible cette répartition des rôles entre Hodkann et lui, et le plus étonnant, c’est que Hodkann aussi semblait l’accepter. Ils imaginaient tous les deux les trafiquants d’organes en train de guetter le chalet, cette énorme réserve de foies, de reins, d’yeux, de corps frais, attendant l’occasion qui ne venait pas et se rattrapant sur un enfant du village voisin, le petit René qui avait eu le malheur de passer seul dans les parages. Cela se tenait. Cela se tenait terriblement.
- « Mais, s’inquiéta soudain Hodkann, pourquoi est-ce qu’il ne faut rien en dire à personne ? Si c’est vrai, c’est très grave. Il faudrait prévenir la police. »
Nicolas le toisa 5. Cette nuit, c’était Hodkann qui posait les questions de timide bon sens, et lui, Nicolas, qui le clouait avec des réponses sybillines6.
- « Ils ne nous croiront pas, commença-t-il ; puis, baissant encore la voix : et s’ils ne nous croient pas, ce sera pire. Parce que les trafiquants d’organes ont des complices dans la police.
- Comment tu sais ça ? demanda Hodkann.
- C’est mon père, répondit avec autorité Nicolas. A cause de son métier, il connaît beaucoup de docteurs. » Et tandis qu’il parlait, oubliant que tout reposait sur un mensonge de sa part, une nouvelle idée lui venait : peut-être que l’absence de son père avait quelque chose à voir avec l’histoire.
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1 Captivé : très
intéressé.
2 Délirant : sous l’effet d’une forte fièvre un
malade peut se mettre à délirer.
3 Sur la touche : hors d’état de mener
l’enquête.
4 Supercherie : tromperie
5 Le toisa : le regarda de haut.
6 Sybillines : mystérieuses.