- Où irons-nous ? gémit Olga en continuant de sangloter.

- Nous allons trouver une solution, ne t’inquiète pas.

- Que ferons-nous ?

- Ne retournons pas chez l’Eléphante ! Elle risque de nous battre, de nous traiter de (mot en russe) voleuses, de nous chasser!

Olga regarda sa sœur aînée d’un air désespéré.

- Mais comment survivrons-nous dans cette forêt sauvage ? demanda-t-elle en montrant la taïga toute proche, des sapins aux branches couvertes de neige s’étendant à perte de vue, et au milieu desquels on ne pouvait avoir que froid et faim.

Doussia dit d’un air convaincu, car c’était de sa responsabilité de rassurer sa petite sœur :

- Olga. Les animaux y survivent. Je pense qu’il a de la nourriture même en hiver, dans la forêt.

Olga, commençant à marcher sur le chemin enneigé, fit par dire :

- Partons sur-le-champ !

 

Toutes grelottantes de froid, elles traversèrent des lacs gelés et la taïga, en mangeant les quelques poignées de baies sauvages qu’elles trouvaient sur leur passage. C’était âpre, mais cela nourrissait. Elles essayaient de protéger du froid leur frêle et minuscule corps de leurs petits manteaux de laine, de chauffer leurs mains dans leurs moufles usées par le temps. Leurs pantalons étaient recouverts de givre et leurs vieux chaussons en fourrure étaient troués.

 

La nuit tombait, comme un couperet à l’horizon. Comment feraient-elles pour survivre à une nuit dans la taïga, par un froid sibérien ? Elles choisirent l’endroit où elles allaient se blottir l’une contre l’autre, au pied du plus grand des sapins, à l’abri d’épaisses branches tellement chargées de neige qu’elles ployaient jusqu’au sol…

 

Mais dans les buissons enneigés, elles aperçurent des yeux qui les observaient.

Un ourson craintif semblait égaré, il s’approcha lentement des petites filles et tomba dans la neige, épuisé. Les deux petites filles allumèrent un petit feu, avec quelques fagots secs et de la mousse, puis portèrent comme elles le pouvaient l’ourson pour le rapprocher de la chaleur. L’animal ouvrit les yeux, vit les deux inoffensives créatures qui l’avaient secouru, puis les referma et s’endormit.

 

Les petites filles somnolaient déjà elles quand, à la lueur du feu, une forme se leva. C’était l’ourson ou plutôt son âme. Les deux petites, réveillées, se pelotonnèrent l’une contre l’autre.

L’âme leur dit : Je suis un enfant ensorcelé par une pierre magique, aidez-moi à retrouver mon apparence. Ma mère et moi partageons le même sort, si vous retrouvez la pierre qui est dans notre caverne, nous serons sauvés… Promettez-moi de lever la malédiction si je vous mène à notre grotte…

Les fillettes, à la fois effrayées et émues par ce qu’elles avaient entendu, jurèrent de l’aider.

 

Au matin, l’ourson se leva, s’ébroua comme pour les inviter à le suivre, et partit à travers la forêt. Les deux petites suivirent ses traces longtemps à travers la taïga gelée. 

 

Soudain, flairant une odeur connue, il courut à travers les arbres, jusqu’à l’entrée à peine visible d’une caverne. Il s’y précipita sans se retourner.

Les petites filles décidèrent à leur tour d’entrer. Au fond de la grotte, l’ourson était déjà blotti contre sa mère, qui grogna à l’arrivée des intruses. Voyant qu’elles étaient inoffensives, elle se calma et les laissa s’approcher.

 

C’est alors que les deux petites se souvinrent de ce qu’avait dit l’âme du petit ourson.

Il fallait qu’elles aillent au fond de la caverne où étincèlerait une pierre précieuse sur un rocher. Elles s’y précipitèrent.

Elles virent la pierre, la touchèrent aussitôt de leurs petites mains encore glacées par leur course dans la forêt gelée. Un passage s’ouvrit aussitôt dans la paroi de la caverne. Les fillettes eurent l’intuition qu’il fallait y pénétrer.

 

Au bout d’un long tunnel, elles découvrirent des champs verdoyants et des arbres pleins de fruits.  Un jardin secret qui poussait par magie sous la taïga. Elles n’en croyaient pas leurs yeux. Emerveillées et excitées, elles s’approchèrent : pour lever la malédiction, il fallait trouver parmi les fruits et les légumes de ce jardin magique un chou au cœur rouge. Les petites filles se mirent à fouiller dans cette jungle de légumes, de fleurs et de fruits. Ce n’est que le soir venu qu’elles le trouvèrent, le chou au cœur rouge écarlate, qui sous son enveloppe verte était couleur de sang. L’une d’elles avait un petit couteau dans sa poche, elle le planta de toutes ses forces dans l’énorme légume. Une goutte de sang perla sur la feuille verte du chou, là où elle l’avait percée.

 

A ce moment-là, les ours se mirent à trembler, leurs pattes se transformèrent en pieds et en mains et leur fourrure disparut on ne sait comment. Ils étaient de nouveaux humains ; une mère et son fils qui s’embrassaient si heureux d’avoir retrouvé forme humaine.

La femme était belle et blonde, l’enfant bouclé et rieur, ils remercièrent tant et tant les fillettes que tout le monde en avait les larmes aux yeux.

Ils décidèrent aussitôt de quitter la caverne pour aller rejoindre le père, qui pleurait fidèlement depuis des années l’étrange disparition de sa femme et de son fils. Ils se promirent de rester ensemble pour fonder une famille unie et heureuse en ouvrant leurs bras aux deux petites orphelines.

Quant au chou à cœur de sang, il avait disparu, ainsi que le potager miraculeux sous la taïga. Mais chaque fois, qu’un enfant vêtu de guenilles faisait la queue au marché pour acheter un chou, Olga et Doussia lui donnaient un billet pour que plus aucun enfant ne puisse être traité de (mot en russe), de voleur.