Elles se dirigèrent vers la maison de mère Ipatiev. A chaque pas, Olga se remettait à pleurer. Arrivées au coin de la rue, elles reconnurent la voix, plutôt le barrissement de l’Éléphante. Elles s'arrêtèrent, paralysées par la peur de se faire battre. Olga répétait sans cesse: " Elle va tellement nous frapper que nous ne pourrons même plus nous assoir.".

 

Tout à coup, un grand coup de vent balaya les pavés de la rue et fit éternuer Olga. L'Eléphante entendit les petites filles et se dirigea vers elles à grands pas. Doussia et Olga, prisent de panique, se mirent à courir aussi vite que leurs petites jambes le permettaient. Au loin, la mère Ipatiev hurlait de sa grosse voix grave.

 

Bientôt, les fillettes se retrouvèrent en plein cœur d'une épaisse forêt. Elles arrêtèrent leur course et se retournèrent: l'Eléphante ne les suivait plus.

Les deux sœurs se mirent à marcher dans les bois sombres et inquiétants de la taïga. Sous leurs pas, les branches craquaient et les feuilles mortes se froissaient. Des bruissements se faisaient entendre parmi les buissons et il régnait une atmosphère peu rassurante. Des loups peut-être ?

 

Soudain, les petites filles entendirent des coups de hache réguliers. Ils devenaient de plus en plus présents et, tout à coup, quelque chose tomba. Des flocons de neige voletèrent et un lourd objet s’écroula sur le sol. Une voix grave lança alors :

-       Voyons, ne restez pas là ! Vous auriez pu vous prendre l'arbre !

Un homme s'avança et, bientôt, Doussia et Olga se retrouvèrent nez à nez avec un vieux bûcheron à l'apparence bienveillante.

-       Bonjour, mes petites, leur dit-il. Je suis Boris. Venez, vous m'avez l'air bien fatiguées.

Le bûcheron les conduisit vers une petite maison faite de rondins de bois, une isba. Elles entrèrent et ôtèrent leurs châles et leurs manteaux rapiécés. Sur une table se trouvait un beau samovar et des petits biscuits: des souchkis. Les fillettes raffolaient de ces petits gâteaux qu'elles trempaient dans du thé bien chaud. A côté de la table, un poêle réchauffait toute la petite maison. Les murs étaient décorés d'icônes.

-       Voilà, mes petites, fit-il. C'est chez moi. Ce n'est pas très grand mais vous devriez vous y sentir comme chez vous.

-       Merci de nous accueillir, monsieur le bûcheron, dit Doussia. Je m'appelle Doussia et voici ma petite sœur Olga.

-       Soyez les bienvenues, mes petites ! Mais… je ne vous ai toujours pas présenté mon fils. Val, nous avons des invitées !

Une porte s'ouvrit au fond de la pièce et un petit garçon brun apparu. Il devait être un peu plus âgé que Doussia, mais il était assez petit et maigre par rapport à son père qui lui, était plutôt trapu. Le dénommé Val lança un " bonjour " inaudible puis alla s'installer à la table où tout le monde l'attendait.

-       Alors, mes petites, que faites-vous à cette heure-ci dans la forêt ?

-       Nous nous sommes perdues, dit Olga.

-       Nous sommes des orphelines et notre grand-tante nous avait recueillies. Elle nous battait souvent. Nous devions aller acheter des choux mais nous avons perdu le billet. Alors, nous nous sommes enfuies et nous nous sommes retrouvées ici.

-       Ca alors, mes petites ! s'exclama Boris. Mais c'est affreux !

Val n'avait pas ouvert la bouche depuis le début et semblait triste. Puis, tout le monde soupa et partit se coucher. Boris dormait dans une petite pièce séparée tandis que les enfants se serraient sur un matelas à même le sol. Ce n'était pas très confortable, mais elles étaient contentes et rassasiées.

Puis, elles entendirent une petite voix, c'était Val, tremblant sur le seuil de la pièce.

-       Partez vite d'ici !

-       Pourquoi cela ? Tu as de la chance d'avoir un père comme Boris, dit Doussia à l'attention de Val.

-       Ce n'est pas mon père, répliqua celui-ci.

-       Que veux-tu dire par là ?

-       Moi, je suis son esclave, son prisonnier. Un jour, il m'a même demandé d'aller chercher de l'eau au puits alors qu'il faisait nuit et froid. Il n'a pas voulu me donner mon manteau et je suis resté malade une semaine. Bien sûr, ça ne l'a pas empêché de me donner des tonnes de corvées. Il vous a offert de la nourriture et un toit juste pour que vous le serviez à votre tour, répondit Val. Cela fait très longtemps que je cherche une solution pour me sortir de là mais je n'en ai toujours pas trouvé.

-       On pourrait fuir ensemble, dit doucement Olga.

-       Mais tu es folle ! dirent en cœur Doussia et Valiéra. On ne pourrait pas faire deux pas sans qu'il nous repère.

-       Si nous partons pendant la nuit avec des provisions, Boris ne nous verra pas.

-       C'est vrai. Finalement, ce n'est pas une si mauvaise idée, mais il faudrait établir un plan.

Durant la journée, ils réfléchirent à une méthode pour s'échapper. Ils amassèrent des biscuits et des fruits qu'ils trouvaient dans les placards de Boris et les mirent dans des sacs en toile.

 

Le soir venu, tandis que Boris ronflait bruyamment, Doussia, Olga et Val prirent chacun un sac de provisions dans une main et leur paire de chaussures dans l'autre. Ils sortirent discrètement par la porte de derrière, enfilèrent leurs souliers et partirent dans la nuit sombre en courant.

Lorsqu'ils furent loin de l'isba, ils s'arrêtèrent, s'assirent et grignotèrent sous un grand bouleau. Ils s'endormirent bientôt dans la froidure de la forêt.

 

Le lendemain, ils reprirent leur route à l'aube. Ils approchaient de la lisière de la forêt et aperçurent une ville vers laquelle ils se dirigèrent. Ils entendirent des bruits de rails et Val s'exclama :

-       Avant, j'allais souvent dans cette ville avec Boris. Je me souviens qu'il y a une gare de trains de marchandise à côté. Allons-y ! Nous pourrons y trouver plus de nourriture.

Doussia et Olga acquiescèrent et les enfants continuèrent leur chemin.

Arrivées là-bas, ils montèrent sans se faire voir dans un wagon rempli de cagettes fermées. Aussitôt les portes se refermèrent sur eux et la locomotive s’élança.

Il faisait noir, les petites filles avaient peur. Val regarda derrière lui et vit une lanterne qui dégageait une faible lumière. Il la prit et s'écria :

-       Venez voir ! J'ai trouvé quelque chose.

Les filles se dirigèrent vers Val dont la figure était maintenant visible. Tout à coup, le train freina bruyamment. Une cagette se renversa et les enfants eurent tout juste le temps de s'écarter. Des choses rondes roulèrent jusqu'à leurs pieds : c'était des centaines de choux.

-       Des choux ! s'exclamèrent Doussia et Olga en riant.

-       Ramassons-en, fit Val.

Quand le train s’arrêta, les enfants en profitèrent pour sortir du wagon, des choux plein leurs sacs.

-       Où sommes-nous ? demanda Olga.

-       Je n'en ai aucune idée, répondit Valiéra. On est dans une ville.

Tout trois déambulèrent dans les rues. Ils frappèrent à de nombreuses portes, mais personne ne répondit. Arrivés au bout de la rue, ils s'arrêtèrent devant une dernière porte et sonnèrent sans espoir. Une jeune femme souriante leur ouvrit et dit :

-       Mes pauvres petits ! Que faites-vous ici ?

-       C'est une longue histoire, dit Val. Nous sommes très loin de chez nous.

-       Entrez, mes enfants, n'ayez pas peur.

-       Nous avons des choux, dit Olga.

-       Quel miracle, mes petits bouts de choux ! dit la jeune femme. Je partais justement en acheter !