L'écriture ou la vie

Jorge Semprun est passé par Buchenwald.

Ça me fait toujours froid dans le dos, cette persistance de l'ironie des mots. Evidemment, non, Buchenwald ne veut pas dire forêt des Livres, comme je le croyais quand j'étais petite, mais de cette forêt des souvenirs, très douloureux, tout de même, émerge un livre.

C'est de celui là que je voudrais parler.

Pour étudier l'émergence d'un acte d'écrire fort, qui essaie de dire l'indicible, dans cette difficile anamnèse qu'est la découverte de celui qu'on a été avant, il faut ouvrir ce livre. On n'en sort pas indemne, non. Mais on se souviendra que le mal radical n'a pas besoin d'êtres d'exception pour exister: il se nourrit du banal, de l'ordinaire.

Malheureusement, le bourreau est un être ordinaire. Mais l'absence de limites qu'il se donnerait à lui-même fait qu'il en impose aux autres: et elles sont à la mesure de l'absence qu'il se donne, c'est donc la démesure des deux côtés.

Il faut s'en souvenir aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui, on sait se regarder, mais on oublie de regarder l'autre. On nous apprend à nous agiter, à nous préoccuper de nous, exclusivement de nous.

Savons-nous encore ce mot: un frère?

Jorge Semprun réussit ce pari admirable de nous dire les choses en filigrane, et surtout, il nous dit que la pire des choses, c'est cela: ce regard qui perd de vue l'autre, et qui pourtant, est le seul indice de notre humanité. Si je regarde, l'autre ne m'est plus indifférent.

N'oublions pas de regarder. C'est urgent.