La Vie devant soi (et l'élégance du Hérisson)

Ce sont des livres qui posent le décalage des générations, non sur le mode de la confrontation et de l'incompréhension, mais comme une bizarre alchimie qui fonctionne bien. Dans la vie devant soi, Romain Gary évoque l'improbable rencontre entre Momo, petit garçon arabe avec Madame Rosa, qui l'a recueilli. Chez Madame Rosa, tous les enfants sont sans père, et s'appellent Moïse ou Banania". Momo raconte avec sensibilité à la fois l'âge, mais aussi la différence: Madame Rosa est juive, il est arabe, mais c'est la seule mère qu'il a au monde et il l'aime de tout son coeur. La phrase de Gary est tordue à dessein, pour mieux faire jaillir à la fois le rire, l'innocence de l'enfant, mais aussi l'absurde de leurs existences amusantes et bancales. Ici un extrait pour savourer la prose inimitable de Gary/Ajar:

" Je m'appelle Mohammed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit. Pendant longtemps je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris à l'école.

La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur.

Madame Rosa était née en Pologne comme Juive mais elle s'était défendue au Maroc et en Algérie pendant plusieurs années et elle savait l'arabe comme vous et moi. Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la première fois. Au début je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin.