Un jeune artiste en rupture de ban

Né en 1890, d'une vieille famille bourgeoise de Vienne (père architecte, mère bourgeoisie juive autrichienne). Autrichien, et non Allemand. Veut devenir peintre (sens de la composition du plan). Etudes d’ingénieur (pendant 6 mois). Bohème artistique. Rupture avec son père. Influences : Schiele et Klimt. Intérêt pour les désordres de l’âme humaine.

Voyage en Europe (découvre le cinéma en 1909 en Belgique), puis l’Afrique, et l’Orient. Vit à Paris comme peintre et caricaturiste (pour les journaux). Guerre : armée autrichienne, blessé sur le front italien. Hôpital : écrit ses premiers scénarios, exotiques et orientalistes (cf « Le tigre du Bengale). Les vend à un producteur autrichien qui travaille en Allemagne et l'y attire.

Episode clé pour comprendre son oeuvre : sa première femme (qui l’a surpris en compagnie de sa scénariste Thea von Harbou) meurt brutalement (en 1919). Suicide? Meurtre? Pendant quelques temps, Fritz Lang est soupçonné par la police. Certains continuent à penser que Lang est vraiment coupable et voient son dernier film américain "Beyond a reasonable doubt" comme une confession filmée. Ce qui nous importe, c'est que cet épisode biographique influence la thématique ultérieure de son oeuvre : le soupçon, le sentiment de culpabilité, la pulsion, présente en chaque être humain, le désir de vengeance de l'innocent injustement accusé.

 

Metropolis (1927)

Metropolis (1927) - Official Trailer

Film d'anticipation, muet (mais avec composition d'une musique symphonique originale), en noir et blanc. Inspiré par un voyage à New York.

-Scénario écrit avec Thea von Harbou, la compagne de Lang, qui basculera plus tard du côté nazi. Plaide pour une réconciliation entre la ville haute et la ville basse (réconciliation "fasciste" plutôt que lutte des classes "marxiste").

-Extraordinaire travail sur l'image, et sur son lien avec la musique.

-Enorme échec commercial à sa sortie mais un film fondateur dans l'histoire du cinéma.

 

Lang et le fait divers

Après l'échec de Métropolis, Lang décide de se tourner vers le réel. 1929 : "Avec mon prochain film, je veux aller hors du studio, dans la réalité. Non que je souhaite renoncer totalement au film de fiction mais ce vers quoi je tends, c'est sortir du studio, pouvoir montrer quelque chose sans enjolivure ni exagération." Il est passionné depuis toujours par les faits divers. Il est un grand lecteur de la presse à sensation. Mais il mène aussi un travail d'enquête plus personnel, en accompagnant les policiers d'un commissariat de Berlin dans leurs enquêtes. C'est ce qu'il raconte,  plus de soixante après, au cinéaste américain W.Friedkin (le réalisateur notamment de French Connection), dans une interview mémorable.

Fritz Lang Interviewed by William Friedkin (1974)

 

M (1931) 

Dans M, Lang s'inspire, non pas d'un mais de plusieurs faits divers, dont l'affaire célèbre de Peter Kürten, surnommé le "vampire de Dusseldorf", qui est arrêté et exécuté quelques semaines avant la sortie du film.

C'est le premier film parlant de Lang (4 ans à peine après l'invention du parlant).

La scène d'ouverture : la façon dont Lang utilise le son et l'image pour créer une atmosphère angoissante.

Séq M le maudit ouverture

Plusieurs pistes passionnantes dans ce film

-dès cette séquence d'ouverture, pas seulement réalisme, mais aussi une atmosphère de conte expressionniste.

-se sert du fait-divers pour ausculter une société qui ne va pas bien et qui, quelques années plus tard, va basculer dans le nazisme (cf la séquence des réactions de la foule et des divers actes de délation).

-propose aussi une réflexion sur le bien et le mal, sur la pulsion meurtrière, celle de M mais aussi celles de la foule et de ses accusateurs (cf la séquence finale du procès).

-expérimente le son et les mouvements de caméra, invente la grammaire du cinéma moderne grâce aux possibilités du montage (cf la scène du coup de fil du préfet de police au ministre). Mais se sert des ces possibilités techniques pour construire son point de vue par la juxtaposition des différents points de vue (les enfants, les parents, le meurtrier, la foule, la police, la pègre etc...).

Nous reparlerons de M après l'avoir vu.

 

Das Testament des Dr Mabuse (1933)

Lang et Théa von Harbou s'inspirent ici d'un personnage créé par le romancier Norbert Jacques dans les années 20 et dont ils ont déjà tiré deux films muets (Mabuse le Joueur, Mabuse Inferno). Le docteur Mabuse est un génie du mal caractéristique de la littérature populaire de l'époque. Télépathe, il crée une association criminelle dans le but de détruire la société. Dans le "Testament", Mabuse est enfermé dans un asile mais continue à commanditer des attentats qui sèment la terreur. Le docteur Baum, le directeur de l'asile, tente de comprendre le mécanisme de sa folie en parcourant ses notes. Mabuse meurt mais Baum ne parvient pas à se déprendre de son influence.

The Testament of Dr Mabuse (Fritz Lang)

Le film est interdit par le pouvoir nazi, qui le juge "démoralisant". Peut-être, malgré la collaboration au scénario de la pro-nazie von Harbou, le parti au pouvoir redoute-t-il qu'on y voie une allusion trop transparente à Hitler, et la rédaction de "Mein Kampf" en prison? Lang est convoqué par Goebbels, le redoutable ministre de la propagande. 

 

La surprenante proposition du docteur Goebbels

Dans une interview savoureuse, Lang "reconstitue" son rendez-vous avec Goebbels (en allemand sous-titré en anglais, extrait de "Zum Beispiel Fritz Lang" 1968)

Fritz Lang Interview

 

Fury

Après un bref passage par la France, Lang se retrouve aux Etats-Unis, attiré à Hollywood par le fameux producteur, David O. Selznick, qui dirige la MGM.

Séquences

Fury (1936) Official Trailer - Sylvia Sidney, Spencer Tracy Crime Movie HD

1936, le premier film de Lang tourné aux Etats-Unis, dans un grand studio hollywoodien. Adaptation d'un roman, Mob Rule, de Norman Krasna. S'inspire d'un fait de société encore récurrent à l'époque, le lynchage (dans les années 30, notamment dans le Sud, on comptait deux lynchages par semaine). Un fait divers réel avait défrayé la chronique en 1933 : le lynchage à San José, en Californie, de Thurmond et Holmes, accusés de meurtre mais pas encore jugés. Ce lynchage, commis par une foule estimée à 10 000 personnes, avait été reporté et photographié en direct par plusieurs journalistes. L'Etat avait ensuite intenté un procès à certains meneurs mais aucune preuve n'avait finalement pu être retenue. 

Lang dépasse la simple dénonciation de la violence de la foule, ce qui apparait dans la construction de son film. Deux parties : un innocent, joué par Spencer Tracy, accusé à tort d'un meurtre est lynché par une foule, qui le fait brûler vif dans la prison. Mais il parvient à échapper à la mort. Il va alors voir ses deux frères et met avec eux au point une machination pour se venger des lyncheurs. Il continuera à se faire passer pour mort, ses deux frères intenteront un procès à ses assassins et obtiendront leur pendaison. A la dernière minute, il est reconnu par sa fiancée qui le persuade de se faire reconnaître et de renoncer à sa vengeance.

Lang met donc en accusation la violence de la foule américaine  mais aussi le désir de vengeance de l'individu.

 

-la confrontation entre la foule et le shériff et l'incendie de la prison

Fury [1936] - Lynch Mob

-la rencontre entre Joe et ses deux frères, à qui il révèle son désir de vengeance

Fury 1936 Spencer Tracy

-l'intervention finale.

Fury 1936, Scene , Spencer Tracy

 

Lang restera 27 ans aux Etats-Unis, tournant dans tous les genres, et se confrontant à la politique du director's cut, lui qui avait tout pouvoir sur ses films en Allemagne. A la fin des années 50, il reviendra en Europe, pour tourner les scénarii "indiens" de sa jeunesse et un dernier Mabuse.