Les P8S ont rencontré à l'Université de Cergy-Pontoise quatre écrivains dans le cadre du prix littéraire de la région. Il s'agissait de : Pierrette Fleutiaux, pour son roman Destiny, Miguel Bonnefoy pour Jungle, Antoine Choplin pour Une forêt d'arbres creux et Judith Perrignon pour Victor Hugo vient de mourir.

La suite du projet permettra de rencontrer François Ayrolles, auteur de BD avec L'amour sans peine.

Chaque élève votera ensuite pour son livre préféré. Les prix seront remis au salon du livre auquel nous nous rendrons.

Voici donc un résumé des entretiens, très riches et très intéressants.

Question : D'où proviennent vos titres ?

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : le titre provient d'un rapport de police. Ce sont les mots d'un brigadier qui informe sa hiérarchie simplement. Il y a alors 500 personnes devant l'hôtel particulier de Victor Hugo.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Ce roman est venu d'une proposition de l'éditeur qui a une collection de récits de voyage. Ils voulaient envoyer un écrivain dans la jungle vénézuélienne et lui demander d'écrire ce voyage. Je suis moi-même d'origine vénézuélienne et je parle donc l'espagnol.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : C'est venu d'une phrase que dit toujours cette jeune femme. Il me fallait trouver un autre prénom. Elle était d'accord pour dire son vrai nom mais je me suis dit qu'elle avait des enfants et qu'ils n'aimeraient peut-être pas voir plus tard dans un livre toute l'histoire de leur mère. Je voulais donc changer le prénom mais elle ne voulait pas. Finalement, on est tombé d'accord sur Destiny parce qu'elle dit toujours cette phrase que je trouve magnifique "I have a Destiny, I know it." Elle a vécu des choses très dures mais elle a toujours cette force de croire en son destin.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : C'est l'histoire de Bedrich Fritta, un artiste et caricaturiste déporté au camp-ghetto de Terezin (République Tchèque, 1941) avec sa femme et son fils. Ce camp-ghetto est la vitrine officielle du nazisme. Ils y reçoivent des représentants de la Croix Rouge pour montrer comment sont traités les juifs mais, en réalité, tout est faux, et les juifs qui y ont été emprisonnés ont à plus de 80% été exterminés dans les camps, notamment à Auchwitz. Cela vient d'une réflexion de Bedrich Fritta qui regarde la forêt et se dit que dans ce décor mensonger, les arbres, au moins, sont vrais. Puis il imagine ce que seraient des arbres vidés de leur substance, des arbres creux. C'est quelque chose qu'on connait aussi aujourd'hui. C'est en rapport avec la question de la tromperie.

Question : Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : J'ai eu du mal à trouver la façon d'écrire. On peut noter ce qui arrive mais c'est un journal et c'est ennuyeux. Et puis tout à coup, j'ai changé mon nom. Créer un nom de personnage, ça permet de faire un roman. Et tout à coup, c'est beaucoup plus simple. 

J'ai bien cru que le roman ne paraîtrait pas à cause de problème juridiques. Le roman devait paraître en février, ce qui aurait été plus facile mais, tout à coup, l'éditeur a eu peur de poursuites. On pense à des choses très graves comme "l'abus de faiblesse". Et puis, j'ai fait traduire en anglais 25 pages pour faire comprendre à Destiny ce que j'avais écrit. Elle ne comprenanait pas que j'ai changé les noms mais elle voulait que tout ce qui s'est passé soit dans le roman. On lui a bien expliqué et elle a compris ce que c'était qu'un roman et tout ce que j'avais raconté dedans. Puis, elle a signé un papier pour autoriser à publier cette histoire et le roman s'est fait.

C'est très bizarre l'écriture, difficile d'expliquer pourquoi on écrit. Je ne prends jamais de notes mais quand je vis des choses qui remuent, il faut écrire.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : J'ai bien aimé votre formulation "essayer d'écrire sur ce sujet-là". C'est bien ça, on essaye. Ce qui m'a intéressé dans ce sujet, c'est la question de la dignité. J'écris souvent sur des sujets durs, des périodes difficiles mais toujours, j'en reviens à ça : comment fraterniser face à l'horreur. Et je remarque toujours cette importance de l'art.

Terezin c'est presque "un laboratoire" pour ce travail : ce sont des artistes déjà et ils vont faire face à l'horreur par leur art. Leurs œuvres sont exposés aujourd'hui, il y a un mémorial. J'ai simplement attrapé la main tendue à travers la peinture. Chaque chapitre a été inspiré par une œuvre ou un dessin des prisonniers de Terezin.

Note : vous pouvez voir des exemples de ces œuvres sur ce site.

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : D'abord, il y a l'importance de Victor Hugo. Mais ce n'est pas un livre sur Victor Hugo, c'est un livre sur la foule qui pleure l'écrivain. Il y avait des ouvriers, des communards, même des analphabètes. Il a marqué son temps et c'est difficile de s'en rendre compte aujourd'hui. Alors, oui, c'est il y a 200 ans et pourtant, plus je fouillais cette période et plus j'avais l'impression de comprendre l'époque dans laquelle on vit. Le XIXe siècle, c'est un moment de révolte, de colère, de rêve d'une société plus juste et plus libre. On est les héritiers de cette période avec les lois sur l'école gratuite et obligatoire pour tous ou la laïcité. Mais avec Victor Hugo, tout cela était accompagné d'espoir. Victor Hugo a contaminé les gens avec l'espoir. J'ai l'impression que c'est cet espoir qu'on perd aujourd'hui.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : La seule chose que je sais faire, c'est écrire. Les trucs qui remuent, à un moment, j'ai le besoin d'écrire. Quand j'ai rencontré Destiny, je ne savais pas que j'allais écrire.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) nous raconte ensuite, pour répondre à un élève, comment il a vécu la sélection de son premier roman pour le Goncourt du premier roman qui a finalement été attribué à Meurseult, contre-enquête de Kamel Daoud. Il raconte cette rencontre entre les finalistes, au comptoir d'un bar à se prendre dans les bras et se promettre "c'est toi qui va l'avoir". Finalement, il se montre heureux pour Kamel Daoud dont il admire le travail, un vrai travail d'écrivain qui écrit depuis longtemps. Lui, dit-il, n'est qu'à "l''aube de sa plume".

Question : Combien de temps pour écrire vos livres ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Le voyage a eu lieu en décembre 2014 et le livre devrait paraître en septembre 2015 mais au retour, j'ai été pris dans la promotion du roman précédent et je passais mon temps dans les trains, les avions, etc. Le roman a été écrit ainsi, au dos de ticket de train ou de factures d'hôtels. J'avais aussi mon carnet, dont je parle dans le roman, sur lequel j'avais tout noté pendant le voyage mais un jour, dans un TGV, j'ai bavardé avec ma voisine et je suis parti en oubliant mon carnet. J'ai écrit à la SNCF pour le récupérer, je les ai suppliés, et, finalement, après trois semaines, ils m'ont renvoyé le carnet, en me précisant qu'ils espéraient que je leur enverrais le roman en retour. À ce jour, je ne l'ai pas encore fait.

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : Deux ans, deux ans et demi en comptant la recherche et l'écriture mais je suis aussi journaliste alors c'est une période qui a aussi été consacrée à autre chose.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : C'est une question qu'on pose souvent mais c'est difficile d'y répondre. Quand j'écris, c'est toute ma vie qui est là, toute mon expérience qui doit affleurer dans chaque phrase. Pour celui-ci, ça m'a peut-être pris un an. Pour un autre, j'ai pris 5 ans, le soir, sans jamais sortir. Je ne sortais pas mais c'était génial d'être prise dans un truc comme ça.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : Pour moi, il y a deux périodes dans l'écriture. Je note d'abord des choses mais il faut acquérir la certitude que le texte correspond à nos essentiels. C'est comme le travail d'un chimiste qui prépare une expérience. On s'inspire de ce qui a été fait et on change quelque chose. Avant d'arriver à la première phrase, il m'a fallu un an.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : Quand on écrit, on y pense tout le temps. Nos personnages, ils nous poursuivent un peu.

Question : Concrètement, sur quels supports écrivez-vous ? Sur carnet ? Sur papier, à la main ou directement sur ordinateur ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : Le carnet est plus pour se rassurer. J'écris assez peu en fait. Quand j'écris le roman, j'écris sur une feuille A4.

Si on se relève la nuit pour noter une idée géniale, ça rassure, mais en fait, si l'idée est vraiment géniale, on s'en souvient. Le carnet est inutile. L'essentiel reste en tête.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Je suis un obsédé du carnet. Pour écrire une scène de bataille navale, par exemple, je vais à la BnF (Bibliothèque Nationale de France) et je lis toutes les scènes de bataille navale dans les romans, je note le vocabulaire et après seulement j'écris. Pareil pour une scène de baiser. Bien sûr, on va essayer, embrasser une femme pour voir... Mais je chercher aussi dans les romans  ce qu'il y a dans une scène de baiser.

C'est comme Flaubert. Pour écrire Bouvard et Pécuchet, Flaubert aurait lu 1700 livres. Gautier disait de lui qu'il abattait une forêt pour faire une boite d'allumettes

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : D'accord pour la bataille navale mais pas pour le baiser ! L'auteur va aussi chercher dans sa vie.

Pour ma part, je suis incapable d'écrire à la main. Je crois que mon cerveau s'est adapté : il faut que je bouge mes doigts pour écrire.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : En fait, il faut séparer la prise de note et la documentation. Mes livres s'appuient sur un contexte historique très précis donc j'ai un travail de documentation à faire. Mais il faut aussi s'en méfier parce que la réalité historique étouffe l'univers fictionnel. Il faut travailler à minima pour garder le projet.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : C'est comme avec le dictionnaire. Si je prends la phrase "la maison était bleue". Je vais chercher le dictionnaire et relever les synonymes : mauve, bleuâtre, azurée... Je vais pouvoir écrire "la maison était mauve avec des reflets bleuâtres qui, sous le soleil, avaient des éclats azurés." Mais au fond, ce n'est pas ça. C'est vraiment dur d'écrire "la maison était bleue". J'essaye encore d'apprendre à le faire.

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : Pour ma part, les rapports des espions me fascinent. Ce sont des feuilles A4, justement. Quelques phrases, signée d'un numéro. Ça m'a beaucoup inspiré pour écrire le roman.

Question : Pourquoi choisir d'écrire, de devenir écrivain ?

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : Écrire, c'est un rêve de gamin. J'écrivais des poèmes à 8-9 ans, des trucs de gamins. C'est comme la musique. Les mots sont une musique. Ce n'est pas un choix de carrière. Écrire, c'est beaucoup de temps seul à ramer, beaucoup de pages écrites et déchirées le lendemain.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Tu choisis pas d'écrire, c'est l'écriture qui te choisit. J'ai participé à un concours de nouvelles. Je vivais au Venezuela. J'ai reçu un mail disant. Vous êtes dans les 1800 sélectionnés. Un mois après, vous êtes dans les 1600. Deux mois après, vous êtes dans les 800. Puis 400, 200, etc... Un jour, c'est 4 puis, finalement, j'apprends que j'ai gagné. On m'envoie un billet d'avion Caracas-Paris aller-retour pour venir rencontrer des éditeurs.

Là, je rencontre une éditrice qui me demande si j'ai un roman dans le tiroir. Je lui dis oui, mais je n'ai rien. Elle me demande de lui envoyer, je négocie un délai pour corriger quelques petites choses. Et me voilà à écrire mon roman. Je n'ai jamais pris le retour vers Caracas. J'ai appris plus tard que l'éditrice savait très bien que je n'avais rien. C'est ça les femmes, elles savent tout mais elles vous laissent croire que vous pouvez mentir.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : L'écriture m'a sauvée. Voir tous les gens, là, c'est trop. Est-ce qu'on se ressemble ? On pourrait se tuer, on pourrait s'aimer aussi. C'est trop pour moi. L'écriture, ça permet de poser tout ça. Un jour, j'ai envoyé un roman chez Gallimard. Réponse : "manque de qualité littéraire". Ça m'a rien fait. On écrit parce qu'on en a besoin.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : C'est une question qui revient souvent. Je note mes idées dans un carnet. Pour l'instant, j'ai 120 réponses à donner. Peut-être que ça fera un livre un jour.

C'est sans doute lié aux lumières et aux blessures de l'enfance. Ce n'est pas non plus statique, ça peut bouger. Ça aide en tout cas à distinguer quelque chose de plus juste, de plus pertinent sur le réel. J'ai l'impression que le réel m'échappe. L'écriture, c'est prendre une distance qui permet d'observer, comme, j'y reviens, un scientifique.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : En tout cas, ce n'est pas pour l'argent. Je ne sais pas ce que vous imaginez, mais quand on publie un roman, on n'en vend pas toujours beaucoup. Vous pensez combien ? Une élève propose 200. Rires. Je vois qu'en fait vous êtes au fait des réalités de l'édition ! Il faut savoir que la plupart des contrats d'édition, c'est 10%, puis 11, puis 12 si le roman se vend bien. Ça veut dire que sur un roman à 16€, on touche 1,60€. L'essentiel va au distributeur, qui ne l'a même pas lu ! 

Question pour Miguel Bonnefoy : Pourquoi autant de vocabulaire espagnol dans ce roman ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Pour ce projet, qui est une commande de l'éditeur, il fallait quelqu'un qui connait les deux cultures. L'espagnol est ma langue maternelle. Je rêve, je jure en espagnol. Le Français, c'est une langue apprise, la langue de l'école. Tout le voyage s'est fait en espagnol.

Les indigènes parlent en Pemon. Un ou deux peuvent traduire en espagnol. Si un rocher tombe et qu'ils me disent cuidado ! et que j'ai un interprète à côté qui doit me dire que cuidado, ça veut dire attention, je suis déjà sous le rocher.

Donc on parle espagnol et puis j'écris en français. Mais il y a des mots qui ne vont pas. Par exemple, un ara, vous savez ce perroquet majestueux, plein de couleurs, qui peut vivre 120 ans, qui vit en couple toute sa vie et si l'un meurt, l'autre meurt quelques jours après. Ara, c'est moche, ça ne dit pas toute cette majesté. En espagnol, c'est guacamayo. Vous entendez son vol, ses couleurs chatoyantes dans ces 3 a de guacamayo. Alors, c'est un choix d'écriture : soit je prends le mot qui évoque cet oiseau mais le lecteur risque de ne pas comprendre, soit je dit ara et je perds tout ça. C'est la frontière délicate de l'écriture.

Question pour Miguel Bonnefoy : Pourquoi avoir entrepris ce voyage ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : C'est un choix de l'éditeur, d'envoyer quelqu'un sans préparation, un rat de bibliothèque, un citadin, descendre en rappel la plus haute cascade du monde. Il fallait quand même pouvoir comprendre.

Question pour Miguel Bonnefoy : Est-ce que vous avez traduit vous-même vos romans ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Non, j'aurais tout réécrit. Si j'avais écrit ce roman en espagnol, ça aurait été un tout autre roman. C'est intéressant le rapport avec le traducteur. J'ai appris beaucoup sur mon écriture. Par exemple, j'écris "les citrons se confondaient au gui du feuillage". Mais je reçois un message du traducteur qui me dit, mon ami, le gui est un champignon qui ne pousse pas dans les régions tropicales. Est-ce que c'est un procédé d'écriture ? Non, c'est une erreur. Alors, on corrige.

De même quand tu écris, tu es emporté par ton personnage, tu ne sais pas ce qu'il fait. J'avais écrit ainsi "il se lève et il dit" et un peu plus loin "il se lève et il dit". Trois fois ! Le personnage se lève 3 fois mais il ne s'assoit jamais. Alors, là, on utilise une cheville d'écriture. On ajoute "il parle et il se rassoit".

Question : Vous avez évoqué un réalisateur parmi les participants du voyage ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Oui, le film s'appelle Les tables du ciel. Il sera diffusé prochainement sur la chaîne Voyages et après, il pourra être mis sur Internet.

Question : Est-ce que vous pensez à des adaptations cinématographiques ?

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : En fait, c'est les gens de cinéma qui choisissent. Ils lisent un roman et ils posent une option dessus. Ça veut dire qu'ils ont les droits d'adaptation pendant un certain temps et ils essayent ensuite de faire le film, de boucler le budget.

J'ai déjà eu des options mais ça n'a jamais rien donné. Le plus douloureux, c'était une co-production franco-américaine et ça n'a pas marché.

Le théâtre se fait plus facilement. Et chose extraordinaire, un opéra, à Metz en 2018. Ça s'appelle Nous sommes éternels.

Mais le cinéma, ce serait bien. Voir les personnages en vrai !

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : C'est quitte ou double le cinéma. L'adaptation est libre. On a notre imaginaire, on croit connaître notre personnage. Le cinéma peut changer ça.

Question : Quel livre vous a marqué, a fait de vous un écrivain ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : Un premier livre chez mon grand-père. Une expérience intense. Je me souviens du toucher du livre, mais pas de l'histoire. 1984 de Orwell a été une révélation pour moi.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : Il y a Perlette goutte d'eau, un album pour enfant. L'histoire d'une goutte d'eau curieuse dans un nuage qui veut aller voir le monde. Ça a été ma première prise de conscience féministe !

À 6 ans, j'ai écrit un roman. Une demi-page environ. Avec une princesse. Le prince arrive, elle est belle. Il lui demande de l'épouser, il ne descend même pas de cheval. Elle dit non !  Il est étonné. Il s'en va, il sent de l'eau sur son visage. Il n'a jamais pleuré, il ne sait pas ce que c'est. Et quand ça tombe par terre, ça fait pousser une fleur. Il revient avec la fleur. La princesse accepte.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : C'est un cliché mais Cent ans de solitude de Garcia Marquez. Ça commence avec cette phrase : « Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. » Dans le premier chapitre, on découvre une famille qui vit dans un village reculé et des gitans amènent des inventions. Les villageois payent pour découvrir des merveilles. À la fin du premier chapitre, les gitans ont amené de la glace. Le père amène toute la famille voir la glace et, le petit dernier, Aureliano, demande à toucher. Il faut payer un peu plus mais il a finalement le droit de le faire. Et quand il pose sa main sur la glace, il dit "c'est brûlant". Quand j'ai lu ça pour la première fois, je me suis dit "il triche, il n'a pas le droit de dire ça". Quand j'ai fini le livre, j'ai recommencé immédiatement. C'était incroyable. Je ne savais pas qu'on pouvait écrire des choses comme ça !

Ce qui est drôle c'est que Garcia Marquez raconte qu'il a eu la même expérience avec la Métamorphose de Kafka. Ça commence avec cette idée : le personnage se réveille, il est transformé en énorme insecte. Garcia Marquez, en lisant ça, il s'est dit comme moi : "Non ! Il n'a pas le droit d'écrire ça ! Il triche !". Mais en littérature, on peut tout dire. C'est ça qui est beau.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : C'est fascinant la littérature. Ce jeune gars, à côté de moi, je ne le connais pas, mais on a ça en commun, quelque chose qu'on partage !

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : Moi, je n'aimais pas la littérature à l'école. Je n'aimais pas qu'on m'oblige à décortiquer les textes, je voulais être dans l'émotion, simplement. Il faut vous dire que si vous êtes fâchés avec le français au lycée, vous n'êtes pas forcément fâchés avec le livre. 

Il y a un livre qui m'a vraiment marquée, c'est Beloved de Toni Morrison. C'est une histoire de fantômes mais c'est aussi sur les noirs en Amérique. Ça m'a fait quelque chose de difficile à expliquer. En tout cas, je vous le conseille : Beloved.

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : Il y a aussi l'importance de l'Oulipo (ouvroir de littérature potentielle) : c'est l'idée d'écrire en se posant une contrainte, une règle à suivre. Par exemple, La disparition (lisez un extrait ici) de Georges Perec est un roman autobiographique, écrit sans la lettre e !

Tiens, je vais réhabiliter le mot ara ! Ara, c'est un palindrome, un mot qui se lit dans les deux sens, comme radar, kayak... On peut aussi faire des phrases : "Ésope reste ici et se repose", "et la marine va venir à Malte". Ça se lit dans les deux sens. Georges Perec a écrit un palindrome de 1247 mots : c'est le grand palindrome.

Question pour Antoine Choplin : Pourquoi écrire sur la guerre ? Est-ce que c'est un thème qui vous touche personnellement ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : Je n'ai pas particulièrement été touché par la guerre dans ma famille ou mon histoire personnelle. C'est vrai qu'elle est très présente dans tous mes livres mais ce n'est pas par fascination pour la guerre, c'est pour la petite lueur des personnages. Mes personnages ne sont pas des héros et pourtant, ils font face, ils portent une lueur, une grandeur dans les périodes les plus sombres de l'histoire.

Question pour Miguel Bonnefoy : Comment sont les indigènes ? C'est un terme qui pour moi semble renvoyer à des sauvages. Est-ce qu'ils s'habillent normalement ? Comment communiquez-vous avec eux ?

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : En fait, les indigènes portent des maillots de foot, ils sont tout le temps sur leur portable avec leurs copines ou ils regardent les résultats du foot, de la Champions league ou du foot espagnol.

C'est horrible de voir qu'ils sont complètement colonisés. Toute leur vie, ils travaillent pour les blancs. Quand ils sont jeunes, ils plongent dans les rivières pour un salaire de misère. Il faut déplacer les pompes des mines d'or et il faut des poumons jeunes pour pouvoir le faire. Alors, au lieu d'aller à l'école, ils font ça. Quand ils sont trop vieux, ils font porteurs pour les blancs. Les mules ne peuvent pas passer dans la jungle, les racines sont trop hautes. Alors, ils portent les sacs des blancs, tout le matériel d'escalade, les cordes, très lourdes, les mousquetons, la nourriture...

Question pour Pierrette Fleutieux : Avez-vous participé au choix de la couverture ?

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : C'est souvent compliqué les couvertures. Les éditeurs ont un département pour ça. Généralement, ils disent "on n'a rien trouvé" et une semaine avant, ils proposent un truc et on n'a pas le temps de changer. Là, ça ne s'est pas passé comme ça. Ils avaient une photo de ville, sombre, triste. Ça ne me plaisait pas. Alors, ils m'ont proposé ça. J'ai fait rajouté le rouge à lèvre. Ça me semblait lui correspondre. C'est parfois difficile parce qu'il y a des questions de droit. Il faut que l'artiste autorise une modification. Un élève fait remarquer qu'elle n'a pas d'yeux. Tiens, c'est vrai, je n'avais jamais remarqué ! J'ai pourtant l'impression qu'elle nous regarde, pas vous ?

Question : Pourquoi écrire sur des personnages réels ?

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : Même dans une œuvre de fiction, on peut utiliser des personnages qui existent. Quand on écrit, on fait se croiser des bouts de vérité. J'aime bien dire pour ce roman que je n'ai rien inventé mais j'ai tout imaginé. Il faut faire les personnages, leur donner un corps dans notre tête. J'adore mélanger les deux.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Quand on écrit, c'est comme un puzzle gigantesque. Ça naît d'une rencontre, d'un souvenir, d'un film, etc. Un roman, c'est une fresque constituée de mille petites choses mises bout à bout.

En fait, on n'invente rien. Le monde est là, il suffit de le voir.

Question pour Antoine Choplin : Est-ce un choix délibéré d'avoir laissé une page blanche avant chaque chapitre ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : C'est systématique ? En tout cas, c'est intentionnel. Il fallait cette respiration. C'est un peu une approche pointilliste. Le récit n'est pas dans la continuité. Il fallait donc marquer ces césures.

Question pour Antoine Choplin : Pourquoi les titres de chapitres se succèdent sans lien entre eux ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : J'ai voulu donner des titres au plus près du contenu du chapitre. D'où parfois l'écart d'un chapitre à l'autre.

Question : Quels livres lisez-vous ?

Judith Perrignon (pour Victor Hugo vient de mourir ) : J'aime beaucoup la littérature américaine, latino-américaine et portugaise. Ils ont de grands auteurs.

Miguel Bonnefoy (pour Jungle) : Il faut lire tous les jeunes auteurs Bénech, par exemple, tous les jeunes qui font la littérature d'aujourd'hui et préparent aussi la place aux auteurs de demain.

Pierrette Fleutiaux (pour Destiny) : Les grands auteurs, c'est comme nos amis, ils nous accompagnent, on n'est jamais seul.

Moi, j'adore les romans policiers : c'est des codes, c'est reposant. Il y a aussi de très grands polars.

Question pour Antoine Choplin : Que signifie la femme-guéridon ?

Antoine Choplin (pour Une forêt d'arbres creux) : C'est un dessin de Bedrich Fritta. On le trouve sur Internet. Un visage de femme, en buste, sur un petit guéridon avec une toile qui fait écran. Et derrière cette toile, il y a un cadavre. C'est une très belle façon de dire le mensonge de ce camp qui voulait faire croire au monde que les juifs étaient bien traités, alors que derrière les apparences, c'était l'horreur, c'était la mort.