Qu'est-ce qu'un personnage, ou plutôt à quoi sert un personnage ?

Une question complexe pour commencer, car le personnage n'est pas toujours identique. Il faut déjà remarquer quand on parle de personnage de roman que le même mot est employé au théâtre ou au cinéma alors que les choses ne s'y passent pas de la même façon. Au cinéma et au théâtre, le personnage est incarné par le comédien mais il n'est pas décrit. Au contraire, dans le roman, il n'a pas de corps mais on peut accéder à ses pensées. 

Si on veut être précis et objectif, on va donc voir que le personnage de roman est une construction du texte formée par ses actions (dont ses paroles), les passages de description le concernant et les éventuels commentaires du narrateur. Il ressemble à une personne réelle mais n'en n'est jamais une, même lorsque son nom renvoie à une personne réelle. En effet, dans le cadre du roman, il est impossible de détailler toute la complexité ou toutes les pensées d'une personne. Le personnage est donc toujours, en quelque sorte incomplet.

De façon générale, on peut le définir comme actant du récit (celui qui agit, et donc support de la narration, personnage d'une histoire), comme un reflet du monde ou un effet de réel (porteur donc d'une référence au réel), mais aussi comme un support de lecture, guide du lecteur (support focal du point de vue), et support de l'empathie voire de l'identification du lecteur.

 

Antiquité et M-A :

Le roman, tel que nous le connaissons, n'existe pas encore réellement mais il existe bien sûr des personnages. Cependant, ils sont plus souvent encore des héros, c'est-à-dire des êtres extraordinaires, porteurs de valeurs collectives.

L'épopée antique représente des héros qui sont perçus comme des êtres réels malgré leurs exploits. Il faut se rappeler que l'Histoire est alors étudiée à travers la Religion et que l'Histoire des rois de France est une suite de miracles, comme dans les vies de Saints.

Dans les fabliaux, les personnages sont définis par une profession ou un emploi, comme au théâtre : on leur prête donc des traits généraux, supposés communs, avec quelques variations. Par exemple, un curé, personnage toujours négatif dans ce genre, peut y être gourmand, menteur ou être un séducteur...

Le roman de chevalerie, développe des personnages un peu plus complexes qui, là encore, sont perçus comme ayant existé. On trouve dans les romans de chevalerie les premières tentatives d'explications psychologiques aux actions des personnages, mais cela reste rudimentaire.

Du XVIe au XVIIIe siècle :

Dans le roman, le personnage se développe à travers la notion de clés de lecture, c'est-à-dire qu'un personnage représenterait une personne existante qu'il s'agirait de reconnaître. Dès lors, la psychologie n'a pas nécessairement besoin d'être justifiée mais il faut garder une certaine cohérence pour rendre le récit crédible. De plus, à travers la variation des points de vue et le développement du roman d'amour, destiné aux femmes, les auteurs tentent d'expliquer les actions actions des personnages masculins.

XIXe :

Le romantisme va créer des personnages très fortement opposés (pensez à Quasimodo et Esmeralda dans Notre-Dame-de-Paris, roman de Victor Hugo) mais, à travers la notion de "mal du siècle", il va développer aussi la psychologie. En effet,  les personnages souffrent d'une mélancolie profonde qui ne semble pas avoir de cause. Cela va pousser les auteurs à décrire avec précision les sentiments des personnages et à fouiller davantage leur psychologie. Cette notion est particulièrement développée dans René, de Chateaubriand et La confession d'un enfant du siècle, de Musset.

Dans la seconde partie du siècle, il semble alors acté que le personnage se distingue du personnage historique mais qu'il représente une réalité... De plus, le personnage est plus souvent complexe et peut avoir des aspects très négatifs (pensez à Jacques Lantier dans la Bête Humaine de Zola).

Chez Balzac, et davantage encore chez Zola, la psychologie du personnage repose sur son histoire (en particulier sur sa classe sociale et son hérédité chez Zola) et peut sembler, finalement, encore assez sommaire.

XXe :

Au cours du XXe siècle, la notion de personnage va être remise en cause progressivement. La simplicité apparente du lien entre les origines sociales et le caractère du personnage va être rapidement remis en cause. Ainsi, on voit apparaître des personnages plus complexes, plus mystérieux voire plus imprévisibles. On trompe souvent le lecteur, en s'appuyant sur sa représentation désuète du héros, par exemple dans Le meurtre de Roger Ackroyd d'A. Christie (1926) ou La planète des singes de P. Boule (1963).

 

Ainsi les écrivains du Nouveau Roman (Nathalie Sarraute, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet...), remettent en cause toute la profondeur du personnage (son histoire, sa psychologie qui tient en quelques lignes...) et n'en gardent qu'une silhouette impénétrable.

Par ailleurs, la critique contemporaine développe des idées nouvelles sur le personnage : d'une part, l'analyse dite sémiologique définit le personnage comme une coréférence grammaticale (un ensemble de mots du textes renvoient à ce personnage et, peu à peu, donnent un référent à ce qui n'en est pas) et prêtent la psychologie à des sources extérieures (représentations de l'auteur, analyses du lecteur...). D'autre part, à travers la notion d'« effet-personnage », on peut définir le personnage comme produit d’une coopération entre le lecteur et le texte : le lecteur s’appuie sur ses propres connaissances (inférences) pour se représenter le personnage du récit ; il comble les « blancs » à savoir des espaces d’indétermination qui laissent une certaine liberté d’interprétation au lecteur.