Après la rencontre, le 8/12, de Pierrette Fleutiaux, pour son roman Destiny, Miguel Bonnefoy pour Jungle, Antoine Choplin pour Une forêt d’arbres creux et Judith Perrignon pour Victor Hugo vient de mourir, les élèves de P8S ont rencontré François Ayrolles, auteur de bande dessinée qui concourt avec L’amour sans peine.
La rencontre a eu lieu à la bibliothèque Guillaume Apolinaire de Pontoise le jeudi 5/01 de 14h30 à 16h30.
Mon parcours
Je vais vous présenter mon travail, ma carrière, mes façons de travailler. Je vis à Bordeaux mais je viens du Val-de-Marne où j'ai vécu pendant 20 ans. Après le bac, j'ai fait une école de BD (une section spécialisée dans une école d'Art). En fait, cette école est une sorte d'atelier, on n'y apprend rien à part nettoyer son pinceau ! Je veux dire, au cinéma il y a plein de théorie, de techniques à connaître mais en BD, il n'y a pas grand chose de théorique. C'est une sorte de liberté cachée, parce qu'on a des sujets imposés ; on n'a pas d'autres contraintes éditoriales ou commerciales, on peut expérimenter.
Pour commencer dans la BD, c'est difficile. Avant, on publiait dans des revues mais dans les années 90, elles avaient toutes disparues. Ma première publication a donc été le retour de Dieu, un sujet imposé avec plusieurs auteurs, des jeunes, d'autres plus expérimentés. C'était une chance pour moi parce qu'à l'époque, il n'y avait que ce qu'on appelle le 48 pages couleurs, on n'avait pas encore des formats variés et des sujets aussi divers qu'aujourd'hui.
La maison d'édition L'association a donc été créée par de jeunes auteurs pour permettre de faire autre chose : des formats plus variés, du noir et blanc, des sujets autobiographiques. Depuis mes débuts, je fais des BD pour l'association qui est aussi l'éditeur de L'amour sans peine. Ils publiaient une revue, Lapin, qui m'a permis d'expérimenter beaucoup de choses et différentes techniques. J'ai essayé du pinceau, de la plume, avec des bulles, sans bulles, avec du texte en dessous des cases, etc.
Mon premier livre seul, c'était Jean qui rit et Jean qui pleure. C'est parti d'un devoir d'école où on nous demandait de partir d'une photo. J'avais trouvé une photo d'un philosophe et en face un ouvrier, dans la même position. Ça m'a donné l'idée de ce livre : à gauche, on a un personnage qui a réussi, qui a la belle vie, à droite, dans la même position, celui qui a la vie dure. Il nous présente une page avec un golfeur à gauche et un ouvrier à droite. Ils ont la même position.
J'ai fait aussi des histoires en une planche, 6 images avec le texte en dessous. Les images représentent ce que voit le narrateur. J'essaye de montrer des images insolites : ici, c'est un personnage qui, quand il voyage, au lieu de rapporter les souvenirs des boutiques, ramène les lieux eux-même, c'est-à-dire les plaques des villes, des rues... Il a même une table d'orientation ! Et donc la dernière image, on voit la table d'orientation qui montre des montagnes, mais ici il n'y a que des immeubles, c'est la banlieue.
Pour Incertain silence, c'est une autre forme d'écriture pour moi. J'ai un peu deux modes de création : les choses réfléchies, un peu cérébrales et les choses plus improvisées. Là, j'étais parti de l'idée des peintres itinérants en Russie au XIXe siècle. En fait, j'avais mal compris, ce sont les tableaux qui bougeait, pas les peintres. Mais ce n'est pas grave, ça m'a donnée l'idée de départ. J'avais aussi envie de faire quelque chose avec Buster Keaton.
Voir ici une petite sélection de ses meilleures scènes et de leur influence sur le cinéma contemporain, les commentaires sont en anglais avec sous-titres mais c'est du cinéma muet, alors vous comprendrez de toute façon :
Buster Keaton - The Art of the Gag
C'est un acteur de cinéma muet. Donc, j'ai fait un peintre muet qui est aussi Buster Keaton. Il y a un autre personnage, un poète qui, lui, parle tout le temps. C'est un escroc. Ça fait un contraste avec le peintre muet.
C'est une idée que j'avais eu dans Lapin : il y a des bulles mais le texte est gribouillé. En fait, peu importe ce que disent les personnages, ce qui compte c'est comment la parole se distribue. Au début, il n'y a que deux personnages, mais ils parlent beaucoup. Plus des personnages arrivent, plus le groupe grandit et moins il y a de paroles. C'est l'idée des Parleurs.
J'ai ensuite été contacté par Casterman, qui est un grand éditeur. L'avantage des grands éditeurs, c'est que ça rapporte plus d'argent. J'ai publié Enfer portatif, histoire d'un aveugle et d'un tétraplégique. Après deux albums, j'ai dû trouvé un autre éditeur. C'est amusant, tous les grands éditeurs chez qui j'ai travaillé, ça a toujours duré deux albums.
Pendant un temps, j'écrivais une histoire par jour. J'en ai fait 1001. Je me suis dit que ça faisait un bon nombre, comme les 1001 nuits. Elles ne sont pas toutes bonnes mais ça me fait une banque d'idée dans laquelle je puise quand j'ai besoin. Pour Enfer Portatif, je suis parti d'une de ces histoires.
Ensuite, Playback a été mon premier travail avec un scénariste. JE vous en reparle tout à l'heure.
J'ai fait ensuite Les penseurs chez L'association : le principe est le même que les parleurs mais il y a des icônes dans les bulles.
J'ai ensuite publié travail rapide et soigné, avec ce coiffeur en couverture, un peu à l'ancienne... C'est un recueil de mes planches publiées dans Lapin alors il fallait trouver un titre pour réunir toutes ces histoires très différentes.
Dans Les amis, ce sont des saynètes autour de l'amitié, un petit peu décalées.
J'ai ensuite publié chez Dargaud, un autre grand éditeur, pour deux albums. C'était Les plumes, un autre travail avec un scénariste mais là, c'est une amie, qui a écrit en pensant à moi pour le dessin : c'est quelque chose que j'aurais donc pu écrire mais que je ne suis pas capable d'écrire. C'est assez étrange comme sentiment.
Ensuite, chez Delcourt, autre grand éditeur, j'ai publié Une affaire de caractères, une histoire de meurtres dans une ville d'écrivains.
J'ai des œuvres finalement assez variées parce que je ne suis pas attiré par l'idée de faire des séries. Quand je dessine, je cherche toujours à répondre à ces questions : qu'est-ce que la BD ? Qu'est-ce qu'on peut faire en BD ?
Est-ce que vous ne vivez que de ça ? J'ai des activités complémentaires, en particulier de l'illustration et du dessin de presse. C'est intéressant de travailler pour la presse parce qu'on est lié au quotidien des lecteurs. Je publie un strip dans l'appli Le Monde. Je fais mon dessin le lundi et il paraît le mercredi. On est vraiment en direct avec le lecteur. Donc je ne vis pas que de la BD à proprement parler mais je reste toujours dans le dessin. Certains auteurs de BD font tout autre chose, ils sont profs par exemple. Moi, je tiens à ne vivre que de mes dessins.
Il y a 25 ans, il y avait 700 nouveautés par an. Aujourd'hui, il y en a plus de 5000. Du coup, il y a plus de choix pour les lecteurs mais chaque auteur vend moins, même les grosses séries se vendent moins. C'est pour ça aussi que c'est plus difficile d'en vivre.
Ma façon de travailler : l'exemple de Playback
Je vous l'ai dit, Playback a été mon premier travail avec un scénariste. C'est en fait à l'origine un scénario de Raymond Chandler, dans le style du roman noir. Il n'a jamais été tourné mais le scénario a été publié.
Ça se passe à Vancouver en 1948. Il fallait donc connaître les lieux et en même temps bien respecter l'époque de l'histoire.Ted Benoit l'a adapté. C'est un auteur de BD représentant du style de la ligne claire, style intitué par Hergé (Tintin) et Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer). À cette époque, il ne dessinait plus beaucoup dont j'ai été recruté pour le faire. Ça a demandé beaucoup de travail. Des recherches (on était heureusement au début d'Internet) sur les lieux, par exemple...
Le scénario décrit précisément chaque case (le type de plan, ce qu'on y voit, etc.). Voici par exemple la case 275 (qui est très simple) :
275. Gros plan. Il baisse les yeux et allume son cigare.
J'ai donc d'abord pris un carnet neuf et j'ai commencé à organiser mes pages. Je représente ainsi 4 pages par page de carnet et cela me permet de placer les vignettes, savoir où seront les personnages, les bulles, etc. C'est encore un dessin très rapide qui me sert uniquement à me situer. Les personnages et les lieux ne sont que des silhouettes.
Ensuite, j'ai une étape de recherche des personnages. Je les représente sur mon carnet, en variant certains détails, jusqu'à ce que ça corresponde à ce que je veux faire.
Il y a aussi un gros travail sur les décors. Par exemple, pour une scène dans un hôtel, j'ai réalisé un plan du bâtiment. J'ai aussi dessiné le hall selon plusieurs angles. J'ai fait des essais pour être sûr que l'action soit cohérente. C'est un travail qui prend beaucoup de temps !
Je passe ensuite au deuxième découpage, sur des feuilles A4 quadrillées, avec, cette fois, un dessin un peu plus précis.
Pour toutes les étapes de recherche, j'utilise beaucoup la table lumineuse pour décalquer mes recherches.
Il y a ensuite l'étape du crayonné. Je n'encre pas directement sur la page, pour ne pas prendre de risque en cas d'erreur, mais je travaille par transparence, à la table lumineuse, et directement au pinceau.
Il faut savoir que ce scénario a lui-même demandé beaucoup de travail. Il fallait traduire, adapter (inverser certaines parties, revoir l'ordre de certaines scènes) le travail de Raymond Chandler, qui était destiné au cinéma. En plus de cette adaptation, Ted Benoit m'a aussi accompagné dans tout le processus des dessins, de façon très agréable.
L'oubapo
L'oubapo est un héritier de l'Oulipo (visitez au passage cette page de la Bnf : http://classes.bnf.fr/queneau/reperes/courants/13quen.htm).
Vous en avez déjà entendu parler (par Antoine Choplin) : autour d'écrivains comme Raymond Queneau ou Georges Perec... Il s'agit d'inventer des contraintes d'écriture. Par exemple, La disparition (lisez un extrait ici) de Georges Perec est un roman autobiographique, écrit sans la lettre e !
Vous vous souvenez aussi sans doute du palindrome, un mot qui se lit dans les deux sens, comme radar, kayak... On peut aussi faire des phrases : "Ésope reste ici et se repose", "et la marine va venir à Malte". Ça se lit dans les deux sens. Georges Perec a écrit un palindrome de 1247 mots : c'est le grand palindrome.
Depuis les années 60, il existe d'autres ouvroirs, pour la photo http://www.ouphopo.org/, la cuisine, les catastrophes (ou plutôt leur théorie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouvroir_de_catastrophe_potentielle).
Je fais donc partie de l'Oubapo, qui réunit les auteurs publiés à l'Association.
On s'impose donc une contrainte. Par exemple, il y a l'itération iconique partielle (on a des noms compliqués à l'Oubapo) : c'est un procédé où une partie de l'image est reprise. C'est ce que j'ai utilisé dans Jean qui rit et Jean qui pleure. Je l'utilise aussi dans cette planche, minuit/midi. Sur chaque ligne, c'est le même lieu, à midi dans la colonne de droite, à minuit dans la colonne de gauche. Ce qui est amusant, c'est de repérer des personnages qu'on retrouve à un autre endroit à minuit...
Autre forme d'itération : résumer un roman en une page. Pour faire cela, j'ai pris le plus long que j'ai lu, À la recherche du temps perdu. Et puis, j'ai une certaine méfiance vis-à-vis du verbiage alors je me suis dit : « enlevons le texte ». Et les personnages. Et puis gardons le même lieu ! Ainsi, on voit l'évolution du personnage en fonction des accessoires et des meubles qui changent. Il y a la période des voyages quand il est jeune, par exemple. À la fin, il devient écrivain. Là, j'en ai fait un peintre : on voit donc le travail de la mémoire avec la toile finale qui reprend la première case mais avec quelques variantes (par ex. la lampe) parce que c'est ainsi que fonctionne la mémoire. Par la fenêtre, on voit le temps passer avec l'arbre qui pousse.
On a aussi fait dans l'album de l'Oubapo, des pages avec pliage. Si on plit correctement la page, deux cases se rejoignent et donnent la fin de l'histoire.
On a fait aussi des palindromes. L'unité, en BD, c'est la case. Alors, il faut imaginer une symétrie des cases mais, en changeant le sens et le contexte, on comprend autre chose. Par exemple, cette bulle « la ferme » dans un sens désigne une ferme avec des animaux et dans l'autre sens, ça veut dire tais-toi.
Il y a aussi l'upside-down. On doit pouvoir lire la BD dans les deux sens. Selon le sens de lecture, le dessin n'a pas le même sens. Le site d'Etienne Lécroart montre ça très bien : http://e.lecroart.free.fr/oubapo.html
J'avais fait des BD sans bulles, j'ai expérimenté des BD sans personnages. Les bulles sont très au-dessus d'eux et on a donc que le texte.
Dans l'Oubapo, il existe deux types de contraintes, héritées de l'Oulipo : les contraintes génératives, qui permettent de créer des BD nouvelles, et les contraintes transformatives, qui permettent de transformer les œuvres existantes.
Ainsi, à partir de BD, on peut travailler sur une planche existante et réécrire les bulles pour faire une nouvelle histoire. Par exemple, dans cet extrait de Michel Vaillant, les parents de Michel se rendent compte qu'ils sont des personnages de BD, ils se trouvent mal dessinés, ils ne ressentent rien, etc.
On peut aussi faire un digest. C'est un résumé qui rétrécit l'œuvre sans la changer. Par exemple, j'ai fait tous les albums de Tintin en deux cases. On voit que dans les premiers, c'est surtout de la bagarre !
Actuellement les neufs membres de l'Oubapo sont : Anne Baraou, Lewis Trondheim, Thierry Groensteen, Killoffer, Jean-Christophe Menu, Gilles Ciment, Jochen Gerner, François Ayroles et Etienne Lécroart et les oubapiens suisses (Alex Baladi, Ibn El Rabin, Andréas Kündig).
On a aussi fait un indigest : il s'agit de sélectionner toutes les cases les plus verbeuses et de les réunir. (Le résultat, très drôle est effectivement peu engageant !)
Au contraire de ces contraintes de réduction, il y a les contraintes d'expansion. Par exemple, en partant de ce dessin de Spirou (on voit une voiture avec un personnage qui dit « voici l'invention » mais cette dernière est hors-champ, au niveau de la remorque). Le hors-champ est alors développé sur deux pages.
On a aussi un jeu, le ScrOUBAbble. C'est comme un Scrabble mais avec de la BD. Il s'agit de faire des strips avec les petites cases de BD. On ne compte pas les points, c'est juste pour le plaisir mais ça permet d'inventer de nouvelles histoires avec des cases déjà faites.
L'amour sans peine.
Dans Les amis, j'avais écrit des saynètes alternées avec des personnages variés qui parlent de l'amitié. J'avais aussi des idées sur l'amour. Mais je ne voulais pas non plus refaire la même chose.
Comme toujours, quand je commence un nouveau projet, j'ai pris un nouveau carnet.
Pour moi, le travail est assez ritualisé. Je m'asseyais tous les jours au même endroit, chez moi, et je travaillais une heure ou deux. C'est comme un footing.
J'écris tout de suite en BD, sans passer par une étape de scénario, comme le faisait par exemple Hergé (l'auteur de Tintin). C'est l'avantage d'être un auteur complet. D'abord, j'écris pour moi, avec un dessin rapide. Ça me permet néanmoins de parler immédiatement en BD.
Ensuite, je reprends le dessin sur des feuilles A4. Ici, c'était du papier de récupération d'un groupe pharmaceutique !
Je passe ensuite à l'étape du crayonné.
J'utilise beaucoup la table lumineuse. Ça permet de calquer le dessin et, comme ça, si je me trompe, je peux recommencer. Quand on voit le résultat final, on n'imagine pas les mauvaises planches qui sont passées à la poubelle !
Après le crayonné, c'est l'étape de l'encrage, toujours avec la table lumineuse.
Après cette étape, j'ai eu le problème de la construction. Je devais identifier les personnages récurrents, organiser leur réapparition, regrouper les personnages qui vont ensemble… J'ai donc tout étaler devant moi pour avoir une vision d'ensemble.
Ensuite c'est l'étape du chemin de fer, comme on l'appelle dans l'édition. Cette grille permet de voir la répartition des parties.
J'ai ensuite réfléchi au titre. Je ne voulais pas que ce soit simplement L'amour parce que ça aurait fait série et aussi parce que c'était trop sec. Il me fallait rajouter quelque chose avec. J'ai pensé à l'amour sans peine, en souvenir des manuels de langue, par exemple l'anglais sans peine.
Quand j'ai le titre je passe au lettrage sur la couverture en faisant plusieurs essais. C'est quelque chose d'important pour moi.
Enfin, il me faut choisir un dessin pour la couverture. J'aimais bien l'idée de quelque chose de dynamique comme ici, avec une sorte de mouvement.
Questions/réponse
Combien de temps de travail pour L'amour sans peine ? Je date toujours mes carnets. J'ai donc commencé en mars 2014 et j'ai du finir en août. La parution a eu lieu en mais 2015. Mais je faisais d'autres choses en même temps !
Pour L'amour sans peine, les dessins sont plus faciles que, par exemple, dans Playback : il y a moins de recherches, moins de décors. Mais je jette quand même toujours des planches ratées.
Une élève réagit à l'image négative de l'amour véhiculée par ce livre : Pour moi, ce n'est pas totalement réaliste. Il ne s'agit pas d'une étude sociologique ou exhaustive de l'amour, ni même d'observations réelles ou autobiographiques. Je cherche plutôt à transformer le réel de façon décalée, en désinhibant les personnages. Par exemple, il y a ce personnage qui en voyant le nouveau couple s'exclame « Non, pas toi avec elle ! Ça ne va pas du tout, vous n'allez pas du tout ensemble ! » Dans la vie réelle, on peut penser quelque chose comme ça mais personne ne dit ça ! Ça crée un ton décalé, c'est un peu drôle du coup, ou surprenant.
J'ai aussi travailler le texte dans ce sens. Je refuse une langue trop banale ou vulgaire. Ici, tout le monde parle comme un livre et ça renforce cet effet d'étrangeté et de comique.
En fait, ce n'est pas un reflet de la réalité mais un miroir déformant.
Est-ce que vous dessinez chez vous ou ailleurs ? Je ne dessine que chez moi, en tout cas pour mes livres. En fait, je reste beaucoup chez moi. Mais les idées viennent partout. Quand je voyage, je fais des dessins de voyage, mais c'est pour moi.
Où trouvez-vous l'inspiration ? J'ai cru, à l'époque de mes 1001 histoires chaque jour, qu'il fallait travailler l'imagination comme un muscle. Mais en fait, cela m'a plutôt donné une banque d'idées. Je note mes idées mais parfois, je ne sais pas ce que je vais en faire, comment les utiliser.
J'aime recomposer un monde familier et étrange à la fois en piochant un peu partout. Par exemple, pour créer une ville dans une BD, je vais utiliser des éléments de Bordeaux mais aussi d'autres d'ailleurs et cela va créer un lieu qui n'est ni Bordeaux, ni Paris, ni Bruxelles mais qui, en même temps, évoque tous ces lieux.
Est-ce qu'il y a un message dans votre œuvre ? Non. Pour moi, le sens, il arrive à la fin. Sinon, il n'y a pas d'intérêt de le faire. Bien sûr, je comprends le rôle des œuvres engagées et ce genre de création mais ce n'est pas ce que je recherche. Si je savais à quoi va ressembler une œuvre avant de la faire, je n'y verrais pas d'intérêt. Borgès disait « il n'y a qu'un cas où un livre est raté. C'est quand il correspond aux intentions de l'auteur. » Et puis, l'interprétation du lecteur s'ajoute à ça.
Comment est-ce que les situations vous viennent ? Ça part généralement de peu, un mot, une phrase. C'est le travail de l'imagination. Je pense à un groupe de filles par exemple. Elles parlent d'amour. Qu'est-ce qu'elles se disent ? En réfléchissant, je trouve quelques chose d'intéressant. Et puis plus on fait ça, plus ça vient vite.
Au début, on ne sait pas trop et puis quand les idées arrive, ça vient vite. C'est un peu comme détricoter un pull en tirant sur un fil.
Pourquoi avoir choisi une construction par saynètes ? Il s'agit de rendre l'ensemble moins lourd, plus lisible.
Est-ce que vous envisager de refaire un livre dans ce genre ? J'essaye de me renouveler, de varier ce que je fais. J'ai déjà deux livres assez proches, donc je vais chercher à faire autre chose.
Vous avez un prochain projet en cours ? J'ai une histoire avec deux pages parallèles. À gauche, une fille, à droite, un garçon. Au début, ils échangent leurs valises par accident. Ensuite, ils visitent les mêmes lieux mais ils ne se croisent jamais.
Quel sentiment ça fait, quand c'est fini ? Vous êtes content, soulagé, déçu peut-être ? Au moment d'envoyer les pages, je ressens toujours un vide. Quand je reçois le livre publié, c'est encore plus étrange. Au début, je n'arrivais pas à les ouvrir, je ne pouvais pas les lire. Maintenant, j'arrive à les relire mais j'ai l'impression que ce n'est pas de moi. Souvent, j'ai surtout envie de les déchirer…
Est-ce que vous avez des projets autobiographiques ? Ce n'est pas mon tempérament. Pour moi, de toute façon, ça reste toujours une fiction. L'autobiographie, c'est un chantage au réel. Écrire, c'est un travail de transformation du vécu. En fait l'autobiographie peut se cacher de façon décalée dans les livres.
Depuis quand dessinez-vous ? C'est un peu un cliché chez les dessinateurs : je dessine depuis toujours. Petit, je dessinais. Et puis j'ai continué. En fait, la vraie question c'est pourquoi les autres arrêtent-ils de dessiner ? Et puis j'ai lu beaucoup de BD. Ce rapport à la lecture est donc prolongé par la pratique.
Note et références : les crayonnés sont de Devig et sont publiés sur ce blog très intéressant : http://klarelijninternational.midiblogs.com/archive/2016/10/16/echec-au-roi-des-belges-entretien-avec-devig-859047.html
Sur l'Oubapo et F. Ayroles, vous pouvez aussi aller voir :
http://www.mouv.fr/diffusion-la-folle-bd-facon-queneau
Toujours sur l'Oubapo, Etienne Lécroart, un des complices de F. Ayroles, présente tout sur son blog : http://e.lecroart.free.fr/oubapo.html
Vous pouvez aussi visiter le blog de M. Thimon du collège Daubigny pour des explications et des exemples très clairs sur l'Oulipo et un prolongement sur les effets visuels dans l'art.