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"plaisante justice!": contingence, variabilité du droit, coutume dans "les Pensées" de Pascal

La « plaisante[1] justice » des hommes 

 

           

« Plaisante justice qu’une rivière borne » : alors que la loi naturelle est rationnelle et universelle et que la justice de Dieu (justitia) est une évidence qui ne relève pas de l’analyse, celle des hommes (jus) est une illusion risible ou une convention variablement utile.

 

I- Pourquoi ? Parce que la justice, toujours déjà perdue, est absente, et ce pour deux raisons.

1- La 1ère, déjà commentée dans le cours d’introduction, est liée à la perte du point[2], à partir duquel la discrimination du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste peut s’opérer : « et il n’y a qu’un seul point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut, trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture, mais dans la vérité et la morale, qui l’assignera ? » (fr21). Depuis que l’homme s’est détourné, par une injustice 1ère, fondatrice de la condition humaine, de la véritable justice, parfaite, absolue, universelle, « constante » (fr 60), éternelle et transcendante, il vit en injuste dans un monde injuste[3] et ne peut + approcher le mystère du justeque négativement[4], à travers l’intuition de l’injuste, parce que cette « belle raison corrompue a tout corrompu » et ne peut + « assigner le juste ». La véritable justice est donc absente, parce que l’idée de justice est désormais inaccessible à la raison[5], corrompue par l’imagination, qui « dispose de tout » et de tous. Le tragique de la condition humaine réside donc dans le fait qu’il existe bien une loi naturelle, rationnelle et universelle[6], mais qu’il est impossible à l’homme de la connaître, partant de s’y référer pour en faire le garant des lois +tives en déterminant leur contenu en fonction d’elle.

 

2- A cela s’ajoute que la justice est, comparée à la force, une « qualité spirituelle dont on dispose comme on veut » (fr 85). En effet, à la différence de la force qui, comme qualité « palpable », est immédiatement identifiable, manifeste, et s’impose à  tous de manière universelle, la justice, en tant que « qualité spirituelle », n’a pas ce caractère d’évidence et de visibilité : il lui manque « l’éclat de la véritable équité » (fr 60). Parce que l’idée de justice est confuse depuis la Chute, elle est, comme la raison, « ployable en tous sens » (fr 530) : c’est une « qualité spirituelle dont on dispose comme on veut » (fr 85) et qui, malléable, risque à tout instant d’être instrumentalisée, falsifiée et contrefaite : « l’affection ou la haine changent la justice de face, et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il + juste la cause qu’il plaide. Combien son geste hardi la fait-il paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence ? » (fr 44). Les hommes lui ont donc donné la définition et le contenu qui leur convenaient le mieux indépendamment de toute idée de justice : « de cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente, et c’est le + sûr[7] » (fr 60).

ó Déclinaison de cette vérité hors d’atteinte, la critique pascalienne des lois découle de la misère de l’homme, qui n’a accès qu’à cette parodie de la justice qu’est la coutume.Dans es liasses « vanité » et « misère », Pascaldémystifie simulacres de justice en s’opposant aux tenants du droitnaturel, persuadés de l’existence de lois invariables, générales, constitutives de l’humanité et à ce titre universellement répandues + connaissables. Pour Pascal il y a un droit naturel, mais l’homme est, depuis la Chute, si peu capable de le connaître que c’est comme s’il n’existait pas. Pour mener son attaque, P suit de près les passages que Montaigne consacre à la relativité des lois dans son Apologie de Raymond Sebond (Essais, II, 12) : nos facultés ne nous donnent accès à rien de sûr, nous prenons le relatif pour l’absolu, l’apparence pour l’être, le mot pour la chose, l’abominable pour le juste.

 

II- La justice humaine, produit de l’imagination, n’a pas de fondements naturels.

 

1-      de la vanité des « Grands » : un ordre fondé sur « une infinité de hasards »

a) hasard de la naissance, hasards de la richesse

-> DCG Nous avons vu, en étudiant le 1er DCG, que pour battre en brèche la théorie du droit naturel, selon laquelle la possession des biens, l’occupation de positions de pouvoir et la domination seraient des « titre[s] de nature », Pascal démonte les lois qui  instaurent la domination de la noblesse afin de montrer qu’elles ne reposent pas sur des principes raisonnables ou naturels, mais sur « une infinité de hasards » (1er DCG), doublée des caprices de la « fantaisie des hommes ». Le commentaire qui explicite l’apologue inaugural du 1er DCG souligne la contingence de la naissance [8] et des lois légitimant la constitution du patrimoine[9] : « Ce n’est que cette rencontre de hasards qui vous a fait naître avec la fantaisie des lois favorable à votre égard, qui vous met dans la possession de tous ces biens ».

 

-> « Vanité »

- On peut rapprocher ces analyses de fragments de la liasse « Vanité » : l’ironie du fragment 30 («on ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison ») rappelle ainsi que le mérite et la compétence ne sont pas sollicités pour constituer la classe dirigeante, dans la mesure où son pouvoir ne découle pas de sa capacité à gouverner, mais des prérogatives de la naissance.

- Dans le fragment 28 de la liasse « vanité », Pascal rappelle que seule « la fantaisie des hommes » et non la justice, est au fondement de la possession des biens (« toutes les occupations des hommes vont à avoir du bien, et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes. Ni force pour le posséder sûrement »).

- Le fragment 9 souligne ironiquement le caractère arbitraire de la primogéniture dans la succession des biens et du pouvoir : « la plaisanterie des aînés, qui ont tout. Mon ami, vous êtes né de ce côté de la montagne, il  est donc juste que votre aîné ait tout ». Objet ou auteurs (ils prendraient alors à partie leurs victimes dans moquerie adressée aux naïfs croyant encore à la force des lois) de la plaisanterie, les bénéficiaires  du statut de légataire universel sont ainsi désignés à la raillerie publique.

 

b) « le hasard a semé les lois humaines »

Pascal complète son éclairage des fondements arbitraires du pouvoir en élargissant l’analyse à l’ensemble des lois de l’Etat, montrant que ce qui est au fondement des lois, c’est la fantaisie humaine, « ce qui a plu aux hommes » (2ème DCG). Pour représenter, contre l’opinion commune, l’absence de motivation rationnelle des lois, Pascal substitue systématiquement au principe de raison le hasard « qui a semé les lois humaines « (fr 60). Ce hasard constitue ainsi le refoulé des lois humaines, ce que l’on se refuse à voir et que Pascal s’efforce, à la suite de Montaigne, de mettre sous les yeux, débusquant, en lieu et place de la raison, le hasard, savamment déguisé sous le masque de la raison. L’étonnement du personnage de la saynète du fragment 51 figure ainsi la surprise du lecteur devant le défaut de rationalité, l’absence de valeur des lois +tives, qui ne sont pas justes en ce qu’elles ne satisfont pas aux exigences de la justice, mais relèvent de la contingence : « ‘Pourquoi me tuez-vous ?’- ‘Et quoi, ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin et cela serait injuste de vous tuer de la sorte Mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis brave et cela est juste ». La moindre frontière topographique, purement géographique et accidentelle, peut en changer la valeur (la montagne du fr 9, qui devient les Pyrénées dans le fr 60 ; la rivière des fragments 20  - « il demeure au-delà de l’eau »- et 51). Non seulement l’état de guerre légitime le meurtre entre habitants de pays voisins, mais le même acte, tuer quelqu’un, a, dans un même état, deux valeurs opposées : si je tue un compatriote, je suis un assassin ; mais si je tue un étranger, qui est mon ennemi en raison de la guerre, je suis un « brave », dont le courage sera salué en dépit de la lâcheté des moyens employés (« je suis sans armes ».)[10]

 

Fragment 60

 

« Sur quoi fondera-t-il l’économie du monde qu’il veut gouverner? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la + générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies des Perses et des Allemands. On la verrait plantée dans tous les Etats du monde, et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui le change de qualité en changeant de climat. 3° d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. En peu d’années de possession les lois fondamentales changent, le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisance justice qu’une rivière borne ! Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

                Ils[11]confessent[12] que la justice n’est pas dans ces coutumes mais qu’elle réside dans les lois naturelles communes en tous pays[13]. Certainement ils la soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est que le caprice des hommes s’est si bien diversifié qu’il n’y en a point.

                Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de + plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au-delà de l’eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui ?

                Il y a sans doute des lois naturelles, mais celle belle raison corrompue a tout corrompu.

              De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente, et c’est le + sûr. Rien suivant la seule raison n’est juste de soi, tout branle avec le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes obéit à la justice qu’il imagine, non à l’essence de la loi. Elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage. Qui voudra en examiner le motif ne trouvera si faible et si léger que s’il n’est accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination humaine, il admirera qu’un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L’art de fonder et de bouleverser les Etats est d’ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. « Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’Etat qu’une coutume injuste a abolies ». C’est un jeu sûr pour tout perdre : rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu’ils le connaissent, et les grands en profitent à sa ruine, et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. C’est pourquoi le + sage législateur disait que pour le bien des hommes, il faut souvent les piper. Il ne faut pas qu’il sente la vérité de l’usurpation, elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable. Il faut la faire regarder comme authentique, éternelle et en cacher le commencement si on ne veut pas qu’elle prenne bientôt fin ».

 

Commentaire   linéaire du fragment 60

 

Idée directrice (cours de licence de Tony Gherraert)

Pascal emprunte à l’Apologie de Raymond Sebon de Montaigne l’idée d’une absolue impossibilité pour l’homme de parvenir à aucune justice véritablement équitable: faute de pouvoir trouver une règle universellement valable, nous sommes réduits à suivre la coutume du pays où nous vivons.

 

Cible visée : les tenants du droit naturel

Après Montaigne, Pascal s’en prend ici aux défenseurs du droit naturel, qui croient en l’existence de lois générales, d’origine naturelle ou divine, gravées dans le coeur de tous les hommes, quels que soient l’époque dans laquelle ils vivent ou le pays qu’ils habitent : Sophocle, Cicéron dans l’Antiquité ; Grotius et Puddendorff pour l’époque classique ; les tenants de l’universalité des Droits de l’Homme aujourd’hui .

Pascal estime lui aussi qu’il existe des lois naturelles, mais il explique que l’homme pécheur ne peut absolument pas les connaître ; tout se passe donc comme s’il n’y en avait pas… Certes, au moment de sa création par Dieu, Adam possédait dans son âme une étincelle divine qui lui donnait une claire conscience du bien et du mal : ces lois naturelles imprimées dans son coeur lui permettaient de correctement se conduire. Mais le péché originel a effacé l’image de Dieu et aussi, par conséquent, ces lois. C’est pourquoi la justice est devenue inaccessible : les lois naturelles existent, mais on ne peut plus les atteindre depuis que le péché a éteint la flamme divine et obscurci l’image de Dieu dans notre âme. Nous restons assoiffés de justice, mais nous sommes prisonniers d’une coutume qui n’a rien à voir avec la justice dont nous éprouvons toutefois la nostalgie : animés du désir sincère de construire des systèmes juridiques cohérents, notre délirante raison nous fait échafauder des lois toutes plus arbitraires les unes que les autres, quand elles ne sont pas tout simplement abominables (« larcin, inceste, meurtre, des enfants et des pères »).

 

1-Pascal lance le débat par une introduction abrupte (prolepses, //, anaphores) composée de plusieurs questions oratoires remettant en cause les fondements juridiques de l’organisation sociale (« économie » signifie ici organisation. Les ponctuations émotives attestent d’emblée une forte dramatisation du texte : le ton est donné dès les premières lignes. Homme pris en flagrant délit de péché d’orgueil, désireux de « gouverner » le monde alors que tt lui échappe. 2 pcipes également impossibles :

 

a) fder la société sur des lois aussi ponctuelles et précaires que « le caprice de chaque particulier » => « confusion », formulation euphémisée pour désigner une situation comparable cet « état de guerre » décrit par Hobbes dans le Léviathanó Anomie, contraire du gvt et de la société. 

 

b) La fder sur la j = radicalement impossible, car l’homme « l’ignore ó thèse principale :  l’homme ne peut accéder à une justice authentique .

 

2-La preuve (raisonnement par l’absurde)  : la seule « maxime » générale érige le particulier en norme universelle : « que chacun suive les mœurs de son pays », c.à.d. les manières de vivre dans leur rapport avec les règles collectives distinguant l’autorisé de l’interdit, le partage juste/ in-, bien/mal, licite/ il-, qui fluctue. Noter l’ironie qui veut que la maxime contraignant chacun à suivre les coutumes de son pays soit le seul principe « général » : cela signifie que la seule loi générale sera « qu’il n’y en a point (de générale) ».

 

ó Pascal oppose l’idée d’une justice absolue, qu’il appelle « la véritable équité » et « cette justice constante », à la réalité décevante à laquelle tous les peuples ont dû se

soumettre : le respect des coutumes de chaque pays.

 

a)      La justice véritable (« Véritable équité », « justice constante », « lois fdamentales ») est introuvable, comme le montrent les conditionnels ; elle est implicitement comparée un drapeau « planté » sur la terre, dans une fixité absolue, aussi bien dans le temps que dans l’espace : une fois de plus, nous voyons Pascal rêver à cette immobilité parfaite qui est une constante de son imaginaire.

 

b)      À cette introuvable bannière, il oppose la pauvre justice humaine, dont il parle à l’indicatif (« on ne voit rien ») en insistant sur son inconstance (« qui ne change...en changeant. »). Les coutumes  n’ont rien de juste : elles sont au mieux relatives et variables, au pire cruelles et inacceptables.

 

-> Relativité des lois dans l’espace cf allusions  aux « degrés d’élévation du pôle », qui renvoient à la latitude, et au « méridien », qui renvoie à la longitude, qu’on ne sait pas calculer avec précision au XVIIème siècle. Parallèle et méridien, en position de sujet, donnent l’impression d’édicter eux-mêmes les lois : laisser un méridien décider des lois est encore plus ridicule que de borner la justice par des fleuves : un fleuve, au moins, possède quelque réalité, alors que le méridien est un cercle imaginaire ó : « l’imagination dispose de tout », y compris du droit. Noter aussi la disproportion ironique entre la petitesse de la cause (« trois degrés d’élévation du pôle ») et l’énormité de l’effet (« toute la jurisprudence »).

 

-> La variabilité des lois est aussi temporelle : elle nous met sous la coupe du Zodiaque avec « l’entrée de Saturne au Lion » – Pascal appartient à une génération où les savants ont cessé de croire à l’astrologie.

 

ó formulation brillante, elliptique à force de concision, et tout à fait propre à s’imprimer dans l’esprit : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au- delà ». Ce proverbe, emprunté à Montaigne, renvoie probablement à la paix des Pyrénées, qui met fin à la guerre franco-espagnole en 1659.

§ suivant expose l’idée selon laquelle les lois naturelles sont introuvables.

 

3-« ils » renvoie aux défenseurs du droit naturel, dont Pascal montre qu’ils sont impuissants à trouver « au moins une » loi universelle : Pascal use ici d’une forme de raisonnement a fortiori.

a) spectacle navrant de cette diversité, sur laquelle Pascal ironise en enchaînant poussivement les propositions consécutives, pour illustrer la vanité d’une raison incapable de déduire par ses propres forces la voie de la vraie justice – d’autant que ces conjonctives débouchent sur le néant du « il n’y en a point », le moraliste conclut que c’est le « hasard » qui a produit les lois humaines : voilà l’effort patient des grands législateurs réduit à néant.

b) Le péché et cette concupiscence poussent l’homme à faire le mal, et lui font inscrire dans la loi des préceptes aussi ignobles que le vol, l’inceste et le parricide – Pascal met en valeur l’horreur de telles lois dans un brillant rythme ternaire repris et concentré dans l’indéfini « tout » ; il choisit également d’employer des périphrases (« meurtre des enfants et des pères » plutôt que parricide et infanticide), par souci évident d’expressivité, et pour donner du souffle à l’attaque de ce paragraphe.

 

c)  continue par une brève mais éloquente saynète l’impliquant dans son discours (« me tuer »), afin de montrer que le droit des gens, qui règle les relations entre étrangers, est tout simplement absurde : il dresse les uns contre les autres des sujets indifférents, et légitime l’atrocité du meurtre en le déguisant sous les couleurs de l’héroïsme, alors même que la Bible porte : « tu ne tueras point » ; en filigrane de cet exemple, Pascal oppose ainsi déjà la vanité des lois humaines aux seuls commandements vraiment universels, ceux que Dieu propose à ses fidèles dans la Bible.

 

óPascal ne nie pas que de des lois rationnelles et générales soient souhaitables, ni même qu’elles n’existent pas : il constate seulement qu’on ne peut en trouver une seule d’universelle sur terre. Il conclut plutôt que les lois naturelles existent, mais que l’homme les pervertit tellement qu’il les rend méconnaissables ; la responsable de cet état de fait est, une fois encore, cette « raison corrompue » qui n’est « belle » que par la grâce suspecte d’une ironie cinglante : « Il y a sans [aucun] doute des lois naturelles ; mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. »

 

4- Le fondement de l’autorité, c’est le consensus : le souverain légitime est celui que tous reconnaissent comme tel (c’est ce que signifie la phrase « la coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue »).

a)  La loi n’est en définitive autre chose qu’un pur produit de « l’imagination », cette « maîtresse d’erreur et de fausseté » : droit et politique ne sont que des artéfacts produits non pas la sagesse des juristes raisonnables, mais par la souveraine des puissances trompeuses, l’imagination, plus que jamais reine du monde.

 

b/ demi-habile qui prendrait conscience du caractère scandaleux et injuste des coutumes conclurait à l’imposture et dénoncerait un pareil système. Mais l’habile préfère se plier à la coutume tout en sachant qu’elle ne vaut pas grand’chose : « c’est le plus sûr ».

 

c/ Ironie de la phrase « c’est le fondement mystique de son autorité » : saint Paul avait dit que « tout pouvoir vient de Dieu », et qu’en tant que tel il fallait s’y soumettre, mais Pascal ironise en montrant que ce pouvoir, bien que conféré par Dieu, n’est que le fruit d’une coutume irrationnelle – on comprend qu’un tel système ne soit pas goûté dans une monarchie absolue qui fait du souverain un monarque de droit divin, lieutenant de Dieu sur terre…

 

d/ En effet, celui qui voudrait établir la vraie justice ferait tomber les États dans

l’anarchie des guerres civiles, qui est le pire des maux, bien plus en tout cas que ne l’est un système politique stable, quel qu’il soit, même imparfait : dès qu’on se met à examiner les lois, on s’aperçoit qu’elles n’ont que peu de fondement, et si l’on veut les remplacer par d’autres meilleures, on court à la catastrophe car, d’une part, personne ne connaît la vraie justice ; d’autre part, chacun prétendra la posséder : vouloir rétablir les lois fondamentales (et non écrites) du royaume, comme avaient voulu le faire les Frondeurs entre 1648 et 1652, « c’est un jeu sûr pour tout perdre ». Le peuple ou l’honnête législateur qui voudraient redresser des injustices plongeraient le pays dans le chaos, ou serviraient malgré eux les intérêts des Grands de ce monde qui les manipulent – c’est ce qui s’était passé lors de la Fronde, lorsque Condé et Gaston d’Orléans voulaient s’appuyer sur le Parlement, gardien de la Constitution non écrite du royaume, pour remettre en cause le centralisme croissant du pays.

En effet, ce paragraphe sur « l’art de fronder » est un souvenir des événements survenus pendant la Fronde (1648-1652) ; mais on peut aussi y voir un souvenir de la Révolution anglaise (1640-1660), au cours de laquelle des mouvements extrémistes démocratiques (les « Niveleurs ») prétendaient instaurer un régime fondé sur un retour à la loi fondamentale du royaume. Les images, enfin, servent également à frapper l’imagination du lecteur : nous avons déjà commenté celle du drapeau, nous pouvons encore noter celle de « la balance », qui fait songer à l’allégorie de la justice –baudruche que Pascal dégonfle avec une visible jubilation.

 

e/ Aussi est-il très dangereux d’expliquer au peuple que la justice n’existe pas, et que les lois qu’on le force à suivre n’ont aucune valeur « mystique » : il aura forcément envie des les enfreindre ou de les renverser, et toute la paix civile serait compromise. Il faut donc tromper le peuple (« pour le bien des hommes il faut souvent les piper »). L’habile fera tout comme le peuple: lui aussi connaît désormais la vanité de tous les systèmes politiques et juridiques, mais il fera comme si celui dans lequel il vit était parfaitement juste. La seule attitude convenable est donc de respecter les coutumes de son pays, mais en sachant qu’elles n’ont rien en commun avec la vraie justice : la vraie justice, de toute façon, est ailleurs que dans les codes de lois : il vaut mieux renoncer à se compromettre dans des réformes politiques ou juridiques qui ne tendent qu’à fomenter le désordre, et se mettre en quête du vrai Bien et de la vraie Justice, celle de Dieu.

 

Conclusion : un texte violemment polémique dans lequel Pascalse propose de contester l’opinion des tenants du droit naturel. Pour critiquer ces rationalistes (ils affirment en effet que la raison peut déterminer des principes universellement valables), Pascal n’utilise pas un discours rationnel : plutôt que de procéder par des déductions destinées à convaincre l’esprit du lecteur, il préfère asséner une série d’arguments-exemples, dans un texte paratactique qui omet souvent les liens logiques, ce qui produit un puissant effet martèlement, d’où le lecteur sort tout étourdi. Pascal procède affectionne les généralisations et les exagérations, dont le but est de marquer le lecteur ; il emploie ainsi les indéfinis (« un jeu sûr pour tout perdre », « tout corrompu »), les intensifs (« si léger que »), les exemples hyperboliques (« larcins, incestes »), ainsi que les synonymies (« fantaisie et caprice »). Le but de ces techniques est bien de toucher et fléchir (flectere) le destinataire de l’Apologie. Les allusions historiques, prudentes mais bien lisibles, que Pascal a semées dans son texte, suggèrent un arrière-plan concret au texte :; de même,

 

ó Effondrement de la justice humaine et ds illusions du droit naturel ne remet pas en cause le principe même de la justice, mais rend + universelle et + impérative la justice de Dieu vers laquelle il convient de se tourner.

 

 

2- La variabilité du droit

Fondée sur le hasard, sur l’intérêt du moment et par des législateurs ou des puissants désireux de se maintenir en place, la justice, contingente et diverse, repose sur des lois qui varient d’un lieu et d’un temps à l’autre. Des exemples empruntés à Montaigne, Pascal tire la conclusion qu’il n’existe pas de loi universelle, valable partout et de tout temps, mais un nombre infini de coutumes établies, c.à.d. de choix arbitraires (« les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands ») qui se sont sédimentés avec le temps : « les lois prennent leur autorité de la possession et de l’usage ; il est dangereux de les ramener à leur naissance. Elles grossissent et s’ennoblissent en roulant, comme nos rivières : suivez-les contremont jusqu’à leur source, ce n’est qu’un petit surgeon à peine reconnaissable, qui s’enorgueillit ainsi et se fortifie en vieillissant », écrit Montaigne dans les Essais (II, 12) ; « plaisante justice qu’une rivière borne » ; « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » dit Pascal (fr 60). La variation de ce qu’on appelle grandeur dans un pays et dans un autre vient compléter cet argument dans le second des 3 DCG : « en un pays on honore les nobles, en l’autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets ». Pascal comme Montaigne, assure qu’il n’y a pas une seule loi +tive qui soit universelle : quand le peuple croit reconnaître une justice essentielle dans ces coutumes, il se trompe et vénère ces lois coutumières pour des vertus qu’elles n’ont pas. Tout oppose ces coutumes à la véritable justice : d’abord l’inconstance, alors que l’essence de la justice se caractérise par sa « constance » (fr 60). Le moraliste énonce sous la forme d’aphorismes ironiques et paradoxaux la versatilité et l’injustice des lois : « comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice » (fr 61). Il souligne aussi la relativité des lois, qui n’ont pas de valeur intrinsèque ni de contenu universel, mais sont déterminées par des facteurs extrinsèques et soumis aux aléas du temps (« tout branle avec le temps ») et de l’espace : si les législateurs n’ignoraient pas la justice, « ils n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et des Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat ». De l’idée universelle de justice à ses réalisations concrètes que sont les lois le caractère absolu et intangible de la justice s’est perdu. La multitude des lois met donc en évidence la variabilité du droit et la non-universalité de la justice dans le temps et dans l’espace : en s’incarnant dans la cité terrestre, la justice se corrompt et se dilue en des manifestations multiples qui, par leur nombre, finissent par contredire l’idée même de justice. L’absence de fondement logique et rationnel des lois, ce que Pascal appelle leur « vanité », suscite le rire (« plaisante justice ») et provoque la raillerie par son absurdité, son aberration insaisissable aux yeux du commun, persuadé du bien-fondé et de la légitimité des lois du pays. La coutume est l’adjuvant de l’imagination en tant qu’elles participent toutes les deux à justifier dans l’opinion publique ce qui ne peut pas l’être, à savoir le contenu des lois établies par l’arbitraire de la justice des hommes, et du bon plaisir des Grands. En effet, une loi qui a traversé le temps n’est + examinée, sa résistance au changement valant comme la preuve populaire de sa justesse. La coutume, comme l’imagination, efface l’arbitraire de la loi, qu’elle dissimule sous l’habit de l’habitude, seconde nature : »la justice est ce qui est établi ; et ainsi toutes nos lois établies sont nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu’elles sont établies » (fr 645). La puissance de la coutume consiste donc à rabattre l’artificiel sur la nature : »la coutume est une seconde nature qui détruit la 1ère » (fr 127). Autrement dit, les lois héritées du passé ne sont pas critiquées, tout comme il ne nous viendrait pas à l’idée de blâmer ou de louer la loi du cycle des saisons. Les cordes de nécessité sont cordes d’imagination et la justice est dépourvue de fondements naturels.

 

3- Les « puissances trompeuses » de l’imagination

a) les « cordes de nécessité » : des « cordes d’imagination »

La fable qui ouvre les DCGsuggère en effet que la ressemblance perçue est en réalité imaginée par les habitants qui désirent retrouver une force qui les domine, mais aussi les protège : l’absence de toute institution politique et juridique les rendrait à leur jungle initiale, où le désir de dominer est général. Le fragment 828 est encore + explicite : « et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France les gentilshommes, en Suisse les roturiers etc. Or ces cordes qui attachent donc le respect à  tel et à tel en particulier sont cordes d’imagination ». La genèse de la formation politique commence ainsi par la victoire du + fort qui, pour perpétuer sa domination, recourt à l’imagination : il transforme la nécessité, qui veut que le + fort l’emporte, en discours politique et substitue à la force un ordre imaginaire qui flatte le peuple. Ainsi la force se trouve établie et la violence brutale s’érige, se déguise en droit. La seule manière de contenir la libido dominandi, l’un des 3 concupiscences qui gouvernent le monde, est de convertir la force en discours de justice et de masquer que cette justice instaurée est réduite à sa légalité : « et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste » (fr 103). Justification de la force victorieuse, la justice politique imaginaire n’a donc aucun fondement naturel, n’est donc pas juste.

 

b) La justice humaine, une construction imaginaire

 La justice humaine n’est qu’une construction imaginaire. Ainsi les Grands et l’appareil de l’Etat imposent-ils leur autorité en produisant une image extérieure de cette autorité et en exploitant la crédulité du peuple. Les robes rouges et les hermines dont les magistrats « s’emmaillotent », les palais qui les abritent, les laquais dont s’entourent les Grands, les troupes, les trompettes et les tambours qui précèdent les rois sont autant d’images de substitution de qualités qu’ils n’ont peut-être pas : « s’ils avaient la véritable justice, ils n’auraient que faire des bonnets carrés » (fr 44) ; dans le 1er des 3 DCG, le moraliste rappelle au jeune duc auquel il s’adresse qu’il n’est grand que par une erreur du peuple qui croit voir en lui des qualités qui n’y sont pas et qu’il doit lui-même ne pas se fier à cette image que lui donne le peuple en lui accordant des honneurs qui ne lui sont pas dus. Le peuple croit en effet que les magistrats sont justes et leur obéit à ce titre, au lieu qu’il n’est qu’impressionné par leur faste, pourtant qualifié par Pascal de « vains instruments », c.à.d. d’instruments vides de toute signification, d’artifices trompeurs, de « grimaces » qui abusent l’imagination du public qui prend l’attribut pour l’essence. Dans le fr 60, P écrit : « qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, et non à l’essence de la loi ». Les rapports sociaux et politiques sont eux aussi régis par un jeu des apparences, qui pousse le peuple à attribuer au visage même du roi une force et une majesté qui ne sont que celles de son armée : « la coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire jointe. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : ‘le caractère de la divinité est empreint sur son visage’ » (fr 25). Ainsi nous ne mettons pas la vérité où elle est et les détenteurs de ces signes finissent par croire eux aussi à la réalité de ce pouvoir feint.  Les pensées 92 et 93 confirment que le peuple pense la vérité où elle n’est pas et vit dans l’illusion, qu’il croit que la justice est juste, ce qui le rend heureux : « il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l’illusion, car encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête. Car il pense que la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non point où ils se figurent. Il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non point parce que la naissance est un avantage effectif, etc » ; « le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines, parce qu’il n’en sent pas la vérité où elle est et que, la mettant où elle n’est pas, ses opinions sont toujours très fausses et très mal saines ».

 

c) C’est bien montrer que l’imagination, prestidigitatrice, «  fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le tout du monde », même quand ils n’y sont pas, que seule elle est capable de « donner du prix aux choses ». L’imagination dispense aussi la réputation et forge l’opinion, sur laquelle la +part se reposent : « qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son contentement» (fr 44). Le préjugé règne, jusque dans le choix d’une vocation (fr 35, 634[14]) et toute opinion paraît préférable à la vie elle-même (fr 29[15], 37[16]). « Reine du monde », l’opinion, associée à l’imagination, fonde un « empire » (665) : « l’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire. Celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran ».  « Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire » (806) aux dépens de notre être véritable et cela nous rend vulnérables à l’opinion.

 

Commentaire du fragment « imagination » (fr 44)

 

L’analyse des mécanismes de croyance collective relatifs à la justice et à son exercice s’inscrit dans le cadre + vaste du procès généralisé de l’imagination, « folle du logis » chez Malebranche, « puissance trompeuse » dont Pascal souligne le pouvoir de vicier le cœur[17] et de dérégler le jugement. Sa puissance, révélant la faillibilité de la raison, explique pourquoi le peuple accepte de se soumettre aux lois, dans la mesure où le règne de l’imagination, loin d’être tyrannique ou coercitif, s’exerce au contraire par la douceur et de manière insensible : « la coutume, l’opinion, l’imagination agissent par impression », présidant à l’élaboration des liens sociaux et de la croyance en une hiérarchie naturelle de conditions en réalité coutumières (fr 25). L’imagination contribue à sacraliser la loi et ses représentants, les magistrats, en les baignant dans un halo presque divin ou religieux. En créant une confusion entre la véritable justice et ses signes, des images qui suggèrent sa présence, l’imagination renforce les lois humaines. En substituant à la réalité, que le magistrat ne possède pas, son simulacre, elle contribue à fonder l’autorité de ceux qui sont censés incarner la justice, bien que leur autorité ne découle pas de leur connaissance de la justice véritable, mais de l’illusion de la connaissance, leurre élaboré par les magistrats et reçu par le peuple. A l’intersection de l’âme et du corps, elle reçoit des sens des impressions qu’elle communique au cerveau qui, en retour, agit sur les sens. Fonctionnant de manière impressive, elle fait prévaloir des signes qui suggèrent l’existence d’une vérité, d’une autorité, d’une idée de justice en réalité absentes.  

 

è    P transforme cette faculté neutre en « puissance trompeuse », car produisant des simulacres qui ne sont pas des reflets fidèles de la réalité, mais qui égarent la raison (« puissances ennemies de la raison »), incapable d’accéder à la vérité. Ces représentations collectives font de la société une nef des fous, une illusion généralisée. Idéologie, « représentation du rapport imaginaire des individus à leurs conditions d’existence ». La description de la justice en termes d’imagination permet le dévt d’une réflexion sur l’essence du pv.

 

è    L’imagination > raison parce que paraître > être, forme > fond : ton de voix de l’orateur > contenu de son discours => cour de justice = théâtre : avocats payés pr rôle ; juges = spectateurs pris par « illusion comique ». Là où tribunal de Dieu juge en vérité, tribunal des hommes juge selon apparences.

 

è    Si le consensus était le « fondement mystique » de l’autorité, la représentation est le « mystère » de l’exercice du pouvoir. Juges et médecins ne possèdent qu’une « science imaginaire », sans fondement rationnel, sans légitimité épistémologique : médecine au mieux empirique ; justice = coutume ; les 2 opèrent dans l’ordre des représentations. L’instrument du juge n’est pas la loi, mais les signes qu’il exhibe. La justice n’existe qu’en tant que signes, n’est qu’une montre, qu’une représentation : les juges st figures de carnaval [18]. Satire. Seule violence concrète du soldat peut briser mécanisme d’autoconfirmation de l’imagination.

 

ó Le magistrat fait l’objet d’une double critique, à la fois comme victime de l’imagination et comme créateur d’illusions. D’une part, alors que sa fonction, symbole de rigueur et d’impartialité, nous laisse croire à l’excellence de son jugement, Pascal met en scène un personnage troublé par un détail dans l’apparence du prédicateur –simple vétille qui fausse cependant son jugement- ou encore impressionné par un avocat hardi, « dupé par cette apparence ». D’autre part, le magistrat est dépeint comme un illusionniste, dans la mesure où, faute de posséder la véritable justice, il développe en compensation une « science imaginaire »  qui repose sur des simulacres de justice. Telle est la fonction des ostentatoires vêtements d’apparat des magistrats  et du décor fastueux et imposant des palais de justice : »leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys » s’adressent à l’imagination du peuple qu’il faut impressionner par les signes fallacieux de la justice : »mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont affaire, er par là en effet ils s’attirent le respect ».

 

è    Métaphore du déguisement rend compte de la mascarade à laquelle participent les magistrats qui, en jouant le rôle (« la grimace ») de ceux qui connaissent l’essence de ce qui est juste, mettent en scène, par le décorum et le cérémonial, l’illusion de justice précisément là où elle est absente : dans les tribunaux. Mais l’imagination est si puissante que les magistrats, auxquels le peuple renvoie cette image, finissent par être eux-mêmes victimes de leur propre leurre et croient qu’ils sont détenteurs d’une véritable justice, confondant leurs attributs avec des qualités réelles. A la manière de certains comédiens, ils se sont complètement identifiés à leur rôle en oubliant leur identité propre.

è    Contre-exemple du pv militaire : le pv ds princes trouve son origine dans la force, qui limite le pv de la « grimace ». Les signes de la force ont une puissance effective, objective, de contrainte, qui sont indices de force. Vs signes de la justice st symboles. Troupes armées incarnent force réelle, qui peut se déchainer sur un seul mot vs effets de manche d’avocat/ hermine de magistrat st ds symboles qui n’engagent que ceux que ceux qui y croient. Scandale de l’imagination : faire passer symboles pour indices. Justice usurpe privilège de la force : pv être signifiée, sans déperdition ni affaiblissement.

 

ó 2 puissances dominent le monde : l’imagination et la force, qui fait loi

 

è    Avec l’intérêt, la vocation universelle de la justice < subjectivité d’une justice défini comme ce qui est juste pour soi, ce qui va ds le sens de l’intérêt d’un individu, qui le flatte ds son amour-propre ou lui offre une récompense égoïste. Justice injuste : l’égoïsme est la négation de l’équité. Justice ici bas hors d’atteinte, mêlée d’erreur et d’injustice.

 

ó « L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur naturelle et ineffaçable sans la grâce » : anthropologie doit être dépassée grâce à religion. Faiblesse et misère de l’homme = cséq de Chute cf « nous naissons donc injustes et dépravés ». Ms cette déchéance n’est pas complète : ho condamné à espérer grâce de Dieu qui seule le mettra en état de combler désir d’infini.

 

4-la coutume

 Or la forme la + aboutie de l’imagination et de l’opinion est la coutume, qui « fait toute l’équité » et « sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses et incline notre croyance » (821). « Seconde nature qui détruit la 1ère », la coutume fait de nous des  automates et nous fait prendre la loi établie, entretenue par la coutume, comme une vérité naturelle.

« De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente, et c’est le + sûr. Rien suivant la seule raison n’est juste de soi, tout branle avec le temps » (fr 60). Pour Pascal, ce qui comble le mieux l’impossible fondement objectif des lois humaines, c’est la coutume, habitude individuelle sédimentée en croyance collective, dont le résultat est l’idéologie, l’habitude se déployant dans un imaginaire propre à une société. La coutume est l’adjuvant de l’imagination en tant qu’elles participent toutes deux à justifier dans l’opinion publique ce qui ne peut pas l’être : le contenu des lois établies par la justice des hommes et la soumission au pouvoir.

En effet, pour Pascal, seul un phénomène de croyance collective de ce type peut expliquer que, comme par instinct, le peuple se soumette au roi (fr 25). L’habitude prise à l’échelle collective, d’origine ancestrale et transmise de génération en génération, fonctionne à la manière d’une imprégnation culturelle fondée sur la répétition et constitue un « habitus » à l’échelle de la société, puisque tous reconnaissent spontanément le pouvoir et la force du roi. Le mécanisme de la coutume (Pascal emprunte à Descartes le terme « machine ») repose sur un triple effet d’entraînement, de transfert (on attribue la force de l’escorte du prince au prince lui-même) et d’idéologie qui relève du préjugé collectif, oblitèrent l’origine de la loi et permet de comprendre comment les insignes de la justice confèrent du prestige à ceux qui l’incarnent.

En effet, l’examen des lois découvre, en lieu et place de la véritable justice, « les coutumes établies », c.à.d. l’établissement des normes d’une communauté à partir de ses usages locaux, ces usages acquérant, avec le temps, force de loi. Rabattre la justice sur la coutume permet donc à Pascal de disqualifier les lois humaines en arguant de « leur défaut d’autorité et de justice » (fr 60). Car la coutume est ce qui est sans garant, sans auteur : fruit anonyme de la multitude, elle n’émane pas d’une autorité légale. Elle n’est donc pas autorisée par son origine, mais seulement par son cours. Ce qui confère sa valeur à la loi n’est donc pas la justice ni la vérité, mais la coutume, c.à.d. l’antiquité, l’ancienneté de la loi. C’est son institutionnalisation qui permet le passage du fait au droit. L’autorité d’une loi découle du travail du temps et de l’histoire, qui transforme le fait en droit. Dans ces conditions, + le temps passe, + une loi semble juste aux yeux du peuple, qui confond l’antiquité et le principe de justice de la loi : le peuple croit aux lois et « prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité » (fr 525). Une loi qui a traversé le temps n’est + examinée, sa résistance aux changements valant comme la « preuve » populaire de sa justesse: «la justice est ce qui est établi ; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu’elles sont établies »(645).

Comme l’imagination, la coutume efface l’arbitraire de la loi, qu’elle dissimule sous l’habit de l’habitude. La puissance de la coutume consiste donc à rabattre l’artificiel sur le naturel : »la coutume est une seconde nature qui détruit la 1ère » (fr 127), c.à.d. qu’il nous viendrait aussi peu à l’idée de critiquer les lois héritées du passé que de blâmer ou de louer la loi du cycle des saisons. Par exemple, dans la France contemporaine de la monarchie de droit divin où Pascal écrit, la transmission héréditaire apparaît aussi bien pour les princes que pour le peuple une nécessité, c.à.d. une loi qu’on ne peut remettre en question : « la coutume fait toute l’équité, par cette raison seule qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son principe » (fr 60) : après Montaigne, Pascal s’étonne devant la puissance trompeuse de la coutume, capable de faire tenir pour juste et légitime ce qui relève tout simplement d’une décision hasardeuse et arbitraire des hommes. La variété des lois, dépendant de nos habitudes et de nos façons subjectives de voir le monde, selon qu’on habite d’un côté ou de l’autre d’un fleuve ou d’une montagne confirme ainsi l’impossibilité d’une justice parfaite : « veri juris. Nous n’en avons +. Si nous en avions nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les mœurs de son pays » (fr 86).

           

Conclusion : anthropologie et politique

La variété et la pluralité des lois, coutumières, sont donc le reflet, le symptôme de la variabilité, de l’inconstance, de la propension des hommes à changer pour rien, seulement pour jouer, c.à.d. pour se divertir de leur néant (« vanité ») et de leur « misère » : « plaisante justice, qu’une rivière borne. Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (fr 60). Cette idée, récurrente, qu’on peut être innocent d’un côté du monde et coupable de l’autre côté tend à montrer que la justice humaine n’est soumise à aucun principe universel, pas même à des règles éthiques et morales qui pourraient être communes[19] . C’est la dimension infiniment humaine de la justice en son ensemble qui rend à jamais impossible l’idée même d’une justice parfaitement juste. Il n’y a pas d’objectivité de la justice parce que ce sont les hommes qui la font et que ces derniers sont toujours influencés, que cela soit par le sentiment ou l’intérêt personnel : «l’affection ou la haine changent la justice de face, et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il + juste la cause qu’il plaide » (fr 44) ; « quand il est question  de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d’hommes, condamner tant d’Espagnols à la mort, c’est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devrait être un tiers indifférent » (fr 59). Ce qui empêche notre justice d’être essentiellement juste, c’est donc notre subjectivité, ce « moi haïssable » qui se met au centre et qui voit tout en fonction de l’image qu’il veut créer aux yeux des autres, incapable qu’il est de s’oublier. Les hommes qui font les lois et la justice sont identiques à tous les autres hommes en ce qu’ils ne seront jamais capables de produire un jugement neutre, de ne pas tenir compte d’abord d’eux-mêmes et de leurs avantages personnels.  Pascal écrit en même temps les conditions d’une justice authentique et l’impossibilité anthropologique pour nous autres, hommes, de les remplir : « qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité » (fr 617).

La justice humaine ne peut et ne pourra donc jamais éradiquer la corruption des hommes de la seconde nature. Avec toutes ses imperfections, elle peut au mieux couvrir de paix un ordre en soi mauvais, ordre qu’elle équilibre non pas pour le sauver, mais pour le maintenir selon une cohésion viable, comme le montre le fragment adressé à l’honnête homme : «  Le besoin de justice provient donc du péché, qu’on ne pourra jamais abolir, mais dont on peut en revanche contenir les effets. La justice des hommes est une réparation imparfaite de leur mauvaiseté. Elle évite les déchaînements de la concupiscence et de la haine de tous contre tous en assignant des limites et des sanctions à ceux qui ne les respectent pas. Mais elle ne répare en aucun cas le mal dont elle naît : « c’est dont une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire » (fr 617).

On ne peut donc comprendre le sens de la justice des hommes si l’on ne tient pas compte du projet apologétique des Pensées et de sa conception théologique de l’ordre politique. Celui-ci peut être lu comme une punition de la corruption des hommes abaissés à se soumettre à la force et à une apparence de justice, dont le mérite paradoxal est de régler les concupiscences, même si ce « tableau de charité » la contrefait.

 

 



[1] Terme récurrent dans les 1ères liasses des Pensées, cet adjectif ironique caractèrise des objets qui suscitent la réprobation, voire l’indignation, et aucunement le plaisir. Mais est  d’abord « plaisant » au XVIIème siècle ce qui fait rire, ce dont on se gausse. Pascal confond ainsi les deux registres et glisse de l’horrible au risible. Héritée de Montaigne, cette jubilation devant les « bizarreries » humaines, devant la force comique des lois permet aussi de faire éclater la disproportion cocasse des situations (fr 51) ou l’instabilité de lois dues au hasard (« le hasard qui a semé les lois » ne pousse-t-il pas la « plaisanterie » jusqu’à n’en laisser subsister aucune universellement ?

[2] « et il n’y a qu’un seul point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut, trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture, mais dans la vérité et la morale, qui l’assignera ? » (fr21).

[3] « C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire » fr 617

[4] « encore qu’on ne puisse assigner le juste, on voit bien ce qui ne l’est pas » (729)

[5] « la justice et la vérité sont deux pointes si subtiles que nos instruments sont trop émoussés pour y toucher exactement. S’ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, + sur le faux que sur le vrai » (fr 44) ; « ce n’est point ici le pays de la vérité, elle reste inconnue parmi les hommes » (fr 840) ; « sur quoi fondera-t-il l’économie du monde qu’il veut gouverner ? […] Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore ».

[6] « il y a sans doute[6] des lois naturelles » (fr 60)

[7] Protagoras et Ariston, cités par Montaigne dans l’Apologie de Raymond Sebon : » Protagoras et Ariston ne donnaient autre essence à la justice des lois que l’autorité et opinion du législateur ; et que, cela mis àà part, le bon et l’honnête perdaient leurs qualités et demeuraient des noms vains de choses indifférentes. Thrasymaque, en Plation, estime qu’il n’y a d »autre droit que la commodité du supérieur »

[7] Ironie moqueuse de l’aîné ou absurdité de la situation qui le favorise

 

[8] : la succession de hasards par quoi le naufragé, échoué sur l’île, devient roi par la puissance de l’imagination des sujets, qui voient indûment en lui l’image de leur roi perdu, renvoie le destinataire du discours à « l’infinité de hasards » à quoi il doit d’être né grand. Ainsi réduite à un nombre infini de circonstances fortuites, aléatoires et contingentes, la naissance ne saurait fonder légitimement la supériorité de l’aristocratie

[9] les richesses s’acquièrent et se conservent par la vertu du hasard et des décisions arbitraires du législateur, qui a choisi, en fonction de son caprice, de transmettre les biens de père en fils, alors qu’il aurait été tout aussi possible d’imaginer que les richesses retournent « à la république après leur mort ».

[10] « Quelle bonté est-ce que je voyais hier en crédit, et demain +, et que le trajet d’une rivière fait crime. Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà » écrivait Montaigne0

[11] Figures antiques comme Cicéron aussi bien que modernes : penseurs de l’école de Salamanque au début du XVIème s ; Grotius (1583-1645), Pufendorf (1632-164).

[12]«  Professent »

[13] Ensemble de règles naturellement inscrites en l’homme, universellement admises, constituant l’essence de la justice.

[14] « La chose la + importante à toute la vie est le choix du métier : le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C’est un excellent couvreur, dit-on. Et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on. Et les autres au contraire : ils n’y a rien de + grand que la guerre, le reste des hommes sont des coquins. A force d’ouïr louer en l’enfance ces métiers et mépriser tous les autres, on  choisit. »

[15] « Ils aiment mieux la mort que la paix, les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l’amour paraît si fort et si naturel ».

[16] « La douceur de la gloire est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, même à la mort, on l’aime »

[17] Non seulement les hommes prennent « souvent leur imagination pour le cœur », faculté intuitive qui livre les 1ers principes de la géométrie mais aussi l’intuition de Dieu, mais ils ne distinguent pas ce qu’ils sentent de ce qu’ils imaginent sentir : »tout contre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment, de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre, mais elle est ployable en tous sens ; et ainsi, il n’y en a point » (fr 530). Il n’y a donc pas moyen de distinguer entre une passion que nous sentons et une passion que nous croyons sentir.

[18] Cf Rabelais 5ème livre : « grippeminaud » + La Fontaine : » le chat la belette et le petit lapin »