Théâtre STI2D 2016

Théâtre et Technique

Objet d’étude : LE TEXTE THEÂTRAL ET SA REPRESENTATION

du XVIIème siècle à nos jours

Corpus :

Texte A – COCTEAU, La voix humaine, 1930

Texte B – TARDIEU, Une voix sans personne, 1956

Texte C – BECKETT, La dernière bande, 1959

 

Texte A – Jean Cocteau, La voix humaine (1930),

pièce en un acte.

                        [Le rideau s’ouvre sur une chambre. Une femme est assise à côté d’un téléphone.]

            Allô, allô… Mais non, Madame, nous sommes plusieurs sur la ligne, raccrochez… Vous êtes avec une abonnée… Mais, Madame, raccrochez vous-même… Allô, Mademoiselle… Mais non, ce n’est pas le docteur Schmit… Zéro huit, pas zéro sept… Allô !... c’est ridicule… On me demande, je ne sais pas.

            (Elle raccroche, la main sur le récepteur. On sonne.)

            Allô… Mais, Madame, que voulez-vous que j’y fasse ?.... Comment, ma faute… pas du tout…Allô, Mademoiselle… Dites à cette dame de se retirer.

            (Elle raccroche. On sonne.)

            Allô, c’est toi ?... Oui, très bien… C’était un vrai supplice de t’entendre à travers tout ce monde… Oui… oui… non… c’est une chance… Je rentre il y a dix minutes… Tu n’avais pas encore essayé d’appeler ?... Ah !... non, non… J’ai dîné dehors… chez Marthe… Il doit être onze heures un quart… Tu es chez toi ?... Alors, regarde la pendule électrique… C’est ce que je pensais… Oui, oui, mon chéri… Hier soir ? Hier soir, je me suis couchée à neuf heures… J’avais un peu mal à la tête, mais je me suis secouée. Marthe est venue. Elle a déjeuné avec moi. J’ai fait des courses. Je suis rentrée à la maison. J’ai…Quoi ?... Très forte… J’ai beaucoup, beaucoup de courage… Après ? Après, je me suis habillée, Marthe est venue me prendre… Je rentre de chez elle. Elle a été parfaite… Elle a cet air, mais elle ne l’est pas. Tu avais raison, comme toujours… Ma robe rose… Mon chapeau noir… Oui, j’ai encore mon chapeau sur la tête… Et toi, tu rentres ?… Tu es resté à la maison ?... Quel procès ?... Ah ! oui… Allô ! Chéri… Si on coupe, redemande-moi tout de suite… Allô ! Non… Je suis là… Le sac ?... tes lettres et les miennes. Tu peux le faire prendre quand tu veux… Un peu dur… je comprends… Oh ! mon chéri, ne t’excuse pas, c’est très naturel et c’est moi qui suis stupide… Tu es gentil… Tu es gentil… Moi non plus, je ne me croyais pas si forte…

            Quelle comédie ?... Allô… Qui ?... Que je te joue la comédie, moi ! Tu me connais, je suis incapable de prendre sur moi… Pas du tout… Pas du tout… Très calme… Tu l’entendrais… Je dis : Tu l’entendrais. Je n’ai pas la voix d’une personne qui cache quelque chose… Non. J’ai décidé d’avoir du courage et j’en aurai… J’ai ce que je mérite. J’ai voulu être folle et avoir un bonheur fou… Chéri… écoute… Allô !... chéri… laisse… allô… laisse-moi parler. Ne t’accuse pas. Tout est ma faute. Si, si… Souviens-toi du dimanche de Versailles et du pneumatique[1]… Ah !... Alors !... C’est moi qui ai voulu venir, c’est moi qui t’ai fermé la bouche, c’est moi qui t’ai dit que tout m’était égal… Non… non… là, tu es injuste… J’ai… j’ai téléphoné la première… Un mardi… J’en suis sûre. Un mardi 27. Tu penses bien que je connais ces dates par cœur… Ta mère ? Pourquoi… Ce n’est vraiment pas la peine… 

            … Je ne savais pas encore… Oui… peut-être… Oh ! non, sûrement pas tout de suite, et toi ?... Demain ?... Je ne savais pas que c’était si rapide… Alors, attends… C’est très simple… Demain matin, le sac sera chez le concierge. Joseph n’aura qu’à passer le prendre… Oh ! moi, tu sais, il est possible que je reste comme il est possible que j’aille passer quelques jours à la campagne, chez Marthe… oui, mon chéri... Mais oui, mon chéri… Allô.. et comme ça ? Pourtant je parle très fort… Et là, tu m’entends ?... Je dis : et là, tu m’entends ?...

 

Texte B – Jean Tardieu, Une voix sans personne (1956),

pièce en un acte.

                        [Le rideau s’ouvre sur un salon, dont une porte-fenêtre donne sur un corridor. Aucun personnage n’apparaît sur scène. La voix du récitant est diffusée par haut-parleur.]

       
 

 

Au lever du rideau, la scène est plongée dans l’obscurité.

 

 

 

Là, deux lampes

 

 

s’éclairent

 

 

par degrés.

 

 

 

Les deux lampes sont maintenant éclairées. Il fait nuit dans le corridor.

 

Voix du récitant

De l’autre côté d’une cloison

d’une cloison pour moi transparente

ou par le temps abattue

de l’autre côté de cette cloison

de ce mur ou de cette fenêtre

éclairée dans la nuit

et qui de moi se rapproche lentement

à travers ce mur disparu

à travers cette cloison par le temps abattue

à travers les vitres de cette grande fenêtre

mes yeux regardent – et je vois

je vois une pièce où il se pourrait qu’autrefois quelqu’un ait demeuré

quelqu’un qui pourrait être moi,

une pièce où j’aurais vécu il y a très longtemps

une pièce où je sais

que j’ai vécu il y a très longtemps

et que pourtant je ne reconnais pas.

Un silence.

C’est un salon où des meubles

sont disposés toujours dans le même ordre et de telle façon qu’ils semblent prendre un sens

à force d’être toujours là

sans que personne apparaisse :

Ils sont assemblés en face de moi

comme un conseil de famille

devant lequel je suis amené de force

pour comparaître

pour être interrogé, pour être accusé, pour être jugé

et cependant je ne comprends pas,

non, malgré tout l’effort de ma mémoire

pour retrouver cette langue oubliée,

je ne parviens pas à comprendre

ce qu’ils ont à me dire.

Un silence.

 

 

Texte C – Samuel Beckett, La dernière bande (1959),

pièce en un acte.

                        [Le rideau s’ouvre : sur scène, une petite table à tiroirs, sur laquelle est posé un magnétophone. Krapp est un vieil homme, il est assis à la table, et a posé devant lui un grand registre.]

 

            Krapp (avec vivacité). – Ah ! (il se penche sur le registre, tourne les pages, trouve l’inscription qu’il cherche, lit.) Boîte… trrois… bobine… ccinq. (Il lève la tête et regarde fixement devant lui. Avec délectation.) Bobine ! (Pause.) Bobiiine ! (Sourire heureux. Il se penche sur la table et commence à farfouiller dans les boîtes en les examinant de tout près.) Boîte… trrois… trrois… quatre… deux… (avec surprise)… neuf ! nom de Dieu ! sept… ah ! petite coquine ! (Il prend une boîte, l’examine de tout près.) Boîte trrois. (Il la pose sur la table, l’ouvre et se penche sur les bobines qu’elle contient.) Bobine… (il se penche sur le registre)… cinq… (il se penche sur le registre)… ccinq… (il se penche sur les bobines)… ccinq… ccinq… ah ! petite fripouille ! (il sort une bobine, l’examine de tout près.) Bobine ccinq. (Il la pose sur la table, referme la boîte trois, la remet avec les autres, reprend la bobine.) Boîte trrois, bobine ccinq. (Il se penche sur l’appareil, lève la tête. Avec délectation.) Bobiiine ! (Sourire heureux. Il se penche, place la bobine sur l’appareil, se frotte les mains.) Ah ! (Il se penche sur le registre, lit l’inscription en bas de page.) Maman en paix enfin… Hm… La balle noire… (Il lève la tête, regarde dans le vide devant lui. Intrigué.) Balle noire ?... (Il se penche de nouveau sur le registre, lit.) La boniche brune… (Il lève la tête, rêvasse, se penche de nouveau sur le registre, lit.) Légère amélioration de l’état intestinal… Hm… Mémorable… quoi ? (Il regarde de plus près, lit.) Equinoxe, mémorable équinoxe. (Il lève la tête, regarde dans le vide devant lui. Intrigué.) Mémorable équinoxe ?... (Pause. Il hausse les épaules, se penche de nouveau sur le registre, lit.) Adieu à l’a… (il tourne la page)… mour.

Il lève la tête, rêvasse, se penche sur l’appareil, le branche et prend une posture d’écoute, c’est-à-dire le buste incliné en avant, les coudes sur la table, la main en cornet dans la direction de l’appareil, le visage face à la salle.

            Bande (voix forte, un peu solennelle, manifestement celle de Krapp à une époque très antérieure). – Trente-neuf ans aujourd’hui, solide comme un – (En voulant s’installer plus confortablement il fait tomber une des boîtes, jure, débranche l’appareil, balaye violemment boîtes et registre par terre, ramène la bande au point de départ, rebranche l’appareil, reprend sa posture.) Trente-neuf ans aujourd’hui, solide comme un pont, à part mon vieux point faible, et intellectuellement, j’ai maintenant tout lieu de le soupçonner, au… (il hésite) … à la crête de la vague – ou peu s’en faut. Célébré la solennelle occasion, comme toutes ces dernières années, tranquillement à la Taverne. Personne. Resté assis devant le feu, les yeux fermés, à séparer le grain de la balle. Jeté quelques notes sur le dos d’une enveloppe. Heureux d’être de retour dans ma turne, dans mes vieilles nippes. Viens de manger, j’ai regret de le dire, trois bananes et ne me suis abstenu d’une quatrième qu’avec peine. Du poison pour un homme dans mon état. (Avec véhémence.) A éliminer ! (Pause.) Le nouvel éclairage au-dessus de ma table est une grande amélioration. Avec toute cette obscurité autour de moi je me sens moins seul. (Pause.) En un sens. (Pause.) j’aime à me lever pour y aller faire un tour, puis revenir ici à… (il hésite)… moi. (Pause.) Krapp.

            Pause.

            Le grain, voyons, je me demande ce que j’entends par là, j’entends… (il hésite)… je suppose que j’entends ces choses qui en vaudront encore la peine quand toute la poussière sera – quand toute ma poussière sera retombée. Je ferme les yeux et je m’efforce de les imaginer.

 

I. QUESTIONS SUR LE CORPUS (6 POINTS)

  1. Justifiez le rapprochement de ces trois textes.
  2. Comment ces trois textes jouent-ils avec les possibilités et les limites du genre théâtral ?

 

II. ECRITURE (14 POINTS) :

         • COMMENTAIRE

            Vous rédigerez le commentaire du texte de Cocteau (texte A), en fondant vos analyses sur le parcours de lecture suivant :

  1. Vous analyserez l’originalité de cette scène d’exposition.
  2. Vous montrerez comment une tension dramatique se construit dans la situation du personnage principal.

 

      • DISSERTATION

            Le recours à des moyens techniques permet-il d’enrichir le sens d’une œuvre théâtrale ?

            Vous composerez votre développement en vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur des exemples précis tirés des œuvres lues et étudiées en classe.

 

     • ECRIT D’INVENTION

            Imaginez la scène qui suit immédiatement l’extrait de Tardieu.

            Vous veillerez à conserver la même présentation et à accorder une importance toute particulière aux didascalies.

 

[1]. pneumatique : lettre rapide expédiée à travers des canaux à air comprimé.

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