Objet d’étude :
Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe siècle à nos jours.
Corpus : Texte A – Racine, Iphigénie (1674), acte IV, scène 1. Texte B – Marivaux La Double inconstance (1723), acte III, scène 5. Texte C – Victor Hugo, Le Roi s’amuse (1832), acte III, scène 3. Texte D – Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe (1963), acte I, scène 5. |
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Texte A – Racine, Iphigénie (1674), acte IV, scène 1. Agamemnon, chef de l’armée grecque, a reçu un ordre des dieux : s’il veut des vents favorables pour conduire sa flotte jusqu’à Troie et être vainqueur, il doit leur donner en sacrifice sa fille Iphigénie. Il cache un temps cet oracle à sa famille, avant que Clytemnestre, son épouse, mère d’Iphigénie, ne le découvre. Sur scène, sont présents Clytemnestre, Agamemnon et Iphigénie.
CLYTEMNESTRE. […] Mais non ; l’amour d’un frère[1] et son honneur blessé Texte B – Marivaux, La Double inconstance (1723), acte III, scène 5. Dans un certain pays, la tradition veut que le Prince épouse une jeune fille du peuple. Le Prince tombe amoureux de Silvia, une villageoise qui devait se marier avec Arlequin. Mettant tout en œuvre pour la séduire, le Prince fait en sorte de détourner Arlequin de Silvia. LE PRINCE – Tu te plains donc bien de moi, Arlequin ? ARLEQUIN – Que voulez-vous, monseigneur ? il y a une fille qui m’aime ; vous, vous en avez plein votre maison, et cependant vous m’ôtez la mienne. Prenez que je suis pauvre et que tout mon bien est un liard[4] ; vous qui êtes riche de plus de mille écus, vous vous jetez sur ma pauvreté et vous m’arrachez mon liard ; cela n’est-il pas bien triste ? LE PRINCE, à part. – Il a raison, et ses plaintes me touchent. ARLEQUIN – Je sais bien que vous êtes un bon prince, tout le monde le dit dans le pays ; il n’y aura que moi qui n’aurai pas le plaisir de dire comme les autres. LE PRINCE – Je te prive de Silvia, il est vrai ; mais demande-moi ce que tu voudras ; je t’offre tous les biens que tu pourras souhaiter, et laisse-moi cette seule personne que j’aime. ARLEQUIN – Qu’il ne soit pas question de ce marché-là, vous gagneriez trop sur moi. Parlons en conscience ; si un autre que vous me l’avait prise, est-ce que vous ne me la feriez pas remettre ? Eh bien ! personne ne me l’a prise que vous ; voyez la belle occasion de montrer que la justice est pour tout le monde ! LE PRINCE, à part. – Que lui répondre ? ARLEQUIN – Allons, monseigneur, dites-vous comme cela : « Faut-il que je retienne le bonheur de ce petit homme parce que j’ai le pouvoir de le garder ? N’est-ce pas à moi à être son protecteur, puisque je suis son maître ? S’en ira-t-il sans avoir justice ? N’en aurais-je pas du regret ? Qui est-ce qui fera mon office de prince, si je ne le fais pas ? J’ordonne donc que je lui rendrai Silvia. » LE PRINCE – Ne changeras-tu jamais de langage ? Regarde comme j’en agis avec toi. Je pourrais te renvoyer et garder Silvia sans t’écouter ; cependant, malgré l’inclination que j’ai pour elle, malgré ton obstination et le peu de respect que tu me montres, je m’intéresse à ta douleur ; je cherche à la calmer par mes faveurs ; je descends jusqu’à te prier de me céder Silvia de bonne volonté ; tout le monde t’y exhorte, tout le monde te blâme et te donne un exemple de l’ardeur qu’on a de me plaire ; tu es le seul qui résiste, tu reconnais que je suis ton prince ; marque-le-moi donc par un peu de docilité. ARLEQUIN – Eh ! monseigneur, ne vous fiez pas à ces gens qui vous disent que vous avez raison avec moi, car ils vous trompent. Vous prenez cela pour argent comptant ; et puis vous avez beau être bon, vous avez beau être brave homme, c’est autant de perdu, cela ne vous fait point de profit. Sans ces gens-là, vous ne me chercheriez point chicane[5] ; vous ne diriez pas que je vous manque de respect parce que je réclame mon bon droit. Allez, vous êtes mon prince, et je vous aime bien ; mais je suis votre sujet, et cela mérite quelque chose. LE PRINCE – Tu me désespères. ARLEQUIN – Que je suis à plaindre ! LE PRINCE – Faudra-t-il donc que je renonce à Silvia ? Le moyen d’en être jamais aimé, si tu ne veux pas m’aider ? Arlequin, je t’ai causé du chagrin ; mais celui que tu me laisses est plus cruel que le tien. ARLEQUIN – Prenez quelque consolation, monseigneur ; promenez-vous, voyagez quelque part ; votre douleur se passera dans les chemins. LE PRINCE – Non, mon enfant ; j’espérais quelque chose de ton cœur pour moi, je t’aurais plus d’obligation que je n’en aurai jamais à personne ; mais tu me fais tout le mal qu’on peut me faire. N’importe, mes bienfaits t’étaient réservés, et ta dureté n’empêche pas que tu n’en jouisses. Texte C - Victor Hugo, Le Roi s’amuse (1832), acte III, scène 3. Triboulet, valet bossu de François Ier, amuse le roi par ses moqueries contre les courtisans, dont le roi séduit les épouses. Apprenant que Triboulet rend visite à une femme le soir, les courtisans décident de se venger en enlevant cette femme pour la conduire dans le lit du roi. Ils croyaient que cette femme était la maîtresse de Triboulet : elle n’est autre que sa fille cachée. TRIBOULET, reculant avec désespoir. Courtisans ! courtisans ! démons ! race damnée ! C’est donc vrai qu’ils m’ont pris ma fille, ces bandits ! – Une femme à leurs yeux, ce n’est rien, je vous dis ! Quand le roi, par bonheur, est un roi de débauches, Les femmes des seigneurs, lorsqu’ils ne sont pas gauches, Les servent fort. – L’honneur d’une vierge, pour eux, C’est un luxe inutile, un trésor onéreux. Une femme est un champ qui rapporte, une ferme Dont le royal loyer se paye à chaque terme. Ce sont mille faveurs pleuvant on ne sait d’où, C’est un gouvernement, un collier sur le cou, Un tas d’accroissements que sans cesse on augmente ! Les regardant tous en face. – En est-il parmi vous un seul qui me démente ? N’est-ce pas que c’est vrai, messeigneurs ? – En effet, Il va de l’un à l’autre. Vous lui vendriez tous, si ce n’est déjà fait. Pour un nom, pour un titre, ou toute autre chimère, À monsieur de Brion. Toi, ta femme, Brion ! À monsieur de Gordes. Toi, ta sœur ! Au jeune page Pardaillan. Toi, ta mère ! Un page[6] se verse un verre de vin au buffet, et se met à boire en fredonnant : Quand bourbon vit Marseille, Il a dit à ses gens : Vrai Dieu ! quel capitaine… TRIBOULET, se retournant. Je ne sais à quoi tient, vicomte d’Aubusson, Que je te brise aux dents ton verre et ta chanson ! À tous. Qui le croirait ? des ducs et pairs, des grands d’Espagne, Ô honte ! Vermandois qui vient de Charlemagne, Un Brion, dont l’aïeul était duc de Milan, Un Gordes-Simiane, un Pienne, un Pardaillan, Vous, un Montmorency ! les plus grands noms qu’on nomme, Avoir été voler sa fille à ce pauvre homme[7] ! – Non, il n’appartient point à ces grandes maisons D’avoir des cœurs si bas sous d’aussi fiers blasons ! Non, vous n’en êtes pas ! – Au milieu des huées, Vos mères aux laquais se sont prostituées ! Vous êtes tous bâtards ! MONSIEUR DE GORDES. Ah ! ça, drôle ! TRIBOULET. Combien Le roi vous donne-t-il pour lui vendre mon bien ? Il a payé le coup, dites ! S’arrachant les cheveux. Moi qui n’ai qu’elle ! – Si je voulais. – Sans doute. – Elle est jeune, elle est belle ! Certes, il me la paierait ! Les regardant tous. Est-ce que votre roi S’imagine qu’il peut quelque chose pour moi ? Peut-il couvrir mon nom d’un nom comme les vôtres ? Peut-il me faire beau, bien fait, pareil aux autres ? – Enfer ! il m’a tout pris ! – Oh ! que ce tour charmant Est vil, atroce, horrible, et s’est fait lâchement ! Scélérats ! assassins ! vous êtes des infâmes, Des voleurs, des bandits, des tourmenteurs de femmes ! Messeigneurs, il me faut ma fille ! il me la faut À la fin ! allez-vous me la rendre bientôt ? – Oh ! voyez cette main, – main qui n’a rien d’illustre, Main d’un homme du peuple, et d’un serf, et d’un rustre, Cette main qui paraît désarmée aux rieurs, Et qui n’a pas d’épée, a des ongles, messieurs ! – Voici longtemps déjà que j’attends, il me semble ! Rendez-la-moi ! – La porte ! ouvrez-la ! Il se jette de nouveau en furieux sur la porte, que défendent tous les gentilshommes. Il lutte contre eux quelques temps et revient enfin tomber sur le devant du théâtre, épuisé, haletant, à genoux.
Tous ensemble Contre moi ! dix contre un ! Fondant en larmes et en sanglots. Hé bien ! je pleure, oui Texte D – Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe (1963), Acte I, scène 5. Ancien esclave haïtien, Christophe a participé à la lutte pour l’indépendance de l’île, à l’issue de laquelle il est nommé roi. Mais il exerce son pouvoir avec une autorité toujours plus dure : des opposants s’organisent contre lui, dont Metellus est le chef.
(Un coin du champ de bataille. Le soir tombe. Images de la guerre civile haïtienne.) Magny – Ne vous avais-je pas dit d’achever les blessés ? L’officier – Celui-ci, général, est le chef des révoltés et il m’a semblé devoir consulter à son sujet. Magny – C’est bon ! C’est vous Metellus, le chef des révoltés ? Metellus – Moi-même. Magny – Pourquoi ce soulèvement ? Quel grief nourrissez-vous contre Christophe ? Parlez ! Metellus – Mené au dur fouet d’un rêve de pierre en pierre j’ai buté, jusqu’à ton seuil, ô Mort, dévalant et te citant Bedoret, Ravine à Couleuvres, la Crête-à-Pierrot Plaisance[8] lieux où il n’était pas plaisant d’être, j’ai connu cela : percé jusqu’aux os par les pluies, par l’épine, par la fièvre, par la peur, avoir faim dormir les yeux ouverts dans la rosée du matin dans le serein du noir, la fuite, l’angoisse ayant, quand nous prîmes au collet le sort, combattu avec Toussaint[9] ! C’était du beau sang à combat. Partout dans les sentiers sauvages, sur la pente des gorges dans l’aboi des fusils nous voyions la Fille Espérance (les paumes de ses mains luisaient dans la nuit de sa peau, comme la dorure au creux des feuilles sombres du caïmitier[10]) nous la voyions nous (notre pus séché par la rouge feuille-corail) danser les seins nus inexorables et le sang sans brisure (C’était elle la Folle qui hors-peur hélait notre sang timide l’empêchant d’être pris dans la pouture[11] ou l’aise et la pitance) C’était un beau sang rauque et le manioc amer, sans charpie, nous refermait nos plaies ! Foutre ! nous allions fonder un pays tous entre soi ! Pas seulement le cadastre de cette île ! Ouvert sur toutes les îles ! A tous les nègres[12] ! les nègres du monde entier ! Mais sont venus les procurateurs divisant la maison portant la main sur notre mère aux yeux du monde la défigurant trivial pantin piteux ! Christophe ! Pétion[13] ! je renvoie dos à dos la double tyrannie celle de la brute celle du sceptique hautain et on ne sait de quel côté plus est la malfaisance ! Grande promission pour te saluer d’un salut d’homme nous avons veillé aux crêtes des mornes[14], dans le creux des ravins. Veillé à même ce noir terreau, le rougissant de notre sang agraire selon la régence et la transe de l’impérieuse conque. Maintenant ô Mort je veux tomber comme un rêve hors-parage ! Et je ne remercierai point du sursis ! Magny, à l’officier. – Faites ! – Exaucez le vœu de ce malheureux. Qu’on lui donne le coup de grâce ! (L’officier tire. Mort de Metellus. Autre coin du champ de bataille : Drapeaux, tambours, trompettes.)[1]. L’enlèvement d’Hélène, épouse du roi ménélas, par le berger Pâris, est le déclencheur de la guerre de Troie : Ménélas convoque ses frères, et parmi eux Agamemnon, pour le venger. [2]. soins : soucis. [3]. Iphigénie devait se marier avec Achille avant le départ de ce dernier à la guerre. [4]. liard : unité de monnaie. [5]. Chercher chicane : chercher des problèmes. [6]. page : serviteur. [7]. ce pauvre homme : Triboulet se désigne lui-même. [8]. Noms de batailles livrées pendant la guerre d’indépendance d’Haïti [9]. Toussaint-Louverture (1743 – 1803) : chef de la Révolution haïtienne qui a conduit à la décolonisation et à l’indépendance de l’île d’Haïti. [10]. caïmitier : arbre à fruits. [11]. pouture : bouillie servant de nourriture aux animaux d’élevage. [12]. le mot n’a ici aucune connotation péjorative ni raciste. [13]. Christophe et Pétion se partagent l’administration d’Haïti après l’Indépendance. [14]. morne : colline, petite montagne.
I. Question sur le corpus (4 points) : Vous répondrez à la question suivante : Comment s’exprime la révolte dans chacun des textes du corpus ?
II. Ecriture (16 points) : Vous traiterez, au choix, l’un des trois exercices suivants :
• Commentaire : Vous ferez le commentaire du texte C (Victor Hugo, Le Roi s’amuse, acte III, scène 3).
• Dissertation : Selon vous, le genre théâtral se prête-il particulièrement à l’engagement ? Vous répondrez à cette question dans un développement composé, en vous appuyant sur des références littéraires choisies dans les textes du corpus, dans les lectures faites en classe et dans vos lectures personnelles.
• Invention : Un personnage d’une pièce que vous connaissez se révolte contre l’auteur de la pièce, en se plaignant du rôle qui lui est donné dans la pièce. Vous rédigerez une scène de théâtre opposant le personnage et l’auteur : soit sous la forme d’un monologue du personnage, soit en insérant une tirade du personnage dans un dialogue. |