Théâtre STI2D 2016

Théâtre et Regard

Objet d’étude : Le texte théâtral et sa représentation

 

Corpus :

Texte A – Musset, On ne badine pas avec l’amour, Acte III, scène 8 (1834).

Texte B – Ghelderode, La mort du docteur Faust, Premier épisode (1925).

Texte C – Anouilh, Le Voyageur sans bagage, Tableau IV (1937).

Texte D – Césaire, La tragédie du roi Christophe, Acte II, scène 8 (1963).

 

Texte A – Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, Acte III, scène 8 (1834).

[Revenu après ses études sur les lieux où il a passé son enfance, Perdican retrouve Camille, avec qui il est prévu qu’il se marie. Mais Camille a d’autres projets : elle souhaite devenir religieuse. Par dépit, Perdican séduit alors Rosette, la sœur de lait de Camille, tout en essayant de reconquérir le cœur de cette dernière. La scène 8 de l’acte III est la dernière scène de la pièce.]

Acte III, scène 8

(Un oratoire.)

Entre Camille, elle se jette au pied de l’autel.

M’avez-vous abandonnée, ô mon Dieu ? Vous le savez, lorsque je suis venue, j’avais juré de vous être fidèle ; quand j’ai refusé de devenir l’épouse d’un autre que vous, j’ai cru parler sincèrement devant vous et ma conscience, vous le savez, mon père ; ne voulez-vous donc plus de moi ? Oh ! pourquoi faites-vous mentir la vérité elle-même ? Pourquoi suis-je si faible ? Ah ! malheureuse, je ne puis plus prier !

(Entre Perdican.)

Perdican

Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? La voilà pâle et effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son cœur et son visage. Elle aurait pu m’aimer, et nous étions nés l’un pour l’autre ; qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ?

Camille

Qui m’a suivie ? Qui parle sous cette voûte ? Est-ce toi, Perdican ?

Perdican

Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l’autre ? Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ! pourquoi encore y mêler les nôtres ? Ô mon Dieu ! le bonheur est une perle si rare dans cet océan d’ici-bas ! Tu nous l’avais donné, pêcheur céleste, tu l’avais tiré pour nous des profondeurs de l’abîme, cet inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier qui nous amenait l’un vers l’autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon ! Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait conduits à toi dans un baiser ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. Ô insensés ! nous nous aimons.

(Il la prend dans ses bras.)

Camille

Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton cœur. Ce Dieu qui nous regarde ne s’en offensera pas ; il veut bien que je t’aime ; il y a quinze ans qu’il le sait.

Perdican

Chère créature, tu es à moi !

(Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel.)

Camille

C’est la voix de ma sœur de lait.

Perdican

Comment est-elle ici ? je l’avais laissée dans l’escalier, lorsque tu m’as fait rappeler. Il faut donc qu’elle m’ait suivi sans que je m’en sois aperçu.

Camille

Entrons dans cette galerie ; c’est là qu’on a crié.

Perdican

Je ne sais ce que j’éprouve ; il me semble que mes mains sont couvertes de sang.

Camille

La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s’est encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas ! tout cela est cruel.

Perdican

Non, en vérité, je n’entrerai pas ; je sens un froid mortel qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille sort.) Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi un meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur est pur ; ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute, elle est jeune, elle sera heureuse ; ne faites pas cela, ô Dieu ! vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu’y a-t-il ?

(Camille rentre.)

Camille

Elle est morte. Adieu, Perdican !

 

Texte B – Michel de Ghelderode, La mort du docteur Faust, Premier épisode (1925).

[Faust est un vieux savant qui, après avoir étudié tous les domaines du savoir, prend conscience que ses connaissances ne lui sont d’aucune utilité. Dépité, il se rend dans une taverne où il fait la rencontre de Diamotoruscant, qui n’est autre que le diable, et où il aperçoit Marguerite, une jeune fille qu’il désirerait aborder. Dans la taverne, sur une petite scène, on donne un spectacle de théâtre ce soir-là : « La tragédie de Faust » [1].]

               

Diamotoruscant – Je lis dans vos yeux que vous mourrez bientôt !…

Faust – Que dites-vous ? Mourir ? Dans quel siècle, celui-ci ou l’autre ?...

Diamotoruscant – Je l’ignore !...

Faust – Oh, la mort ! Mauvais plaisant ! Dites, diable, comment l’aborder ?...

On frappe quelques coups sur la petite scène.

Diamotoruscant – Profitez de l’obscurité qui va régner. Racontez-lui par exemple que le temps est mauvais !

Faust – Ne suis-je pas trop laid, ni dépareillé ?

Diamotoruscant – On vous prendrait pour un passant quelconque qui a voulu se travestir. Rien d’autre.

Les lustres s’éteignent. La petite scène au fond de la taverne s’éclaire.

Faust – Allons ! (Dans la pénombre, il va vers Marguerite, la salue et dit :) Mademoiselle, il ne fait pas beau ce soir… je sais que vous avez dix-sept ans et que vous cherchez un ami.

Marguerite, se lève brusquement puis se rassied. – Ce n’est pas vrai ! Pourquoi me poursuivez-vous ?

Faust se met à côté d’elle. Les trois coups[2]. Le rideau de la petite scène s’ouvre.

Simultanément

Dans la taverne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faust – Il[3] exagère ! Tous les hommes ne sont pas des salauds ! Quelle mauvaise pièce !

Marguerite – Qu’est-ce que c’est, un salaud ?...

Faust – C’est un monsieur qui… qui… regarde ! Le diable entre ! Moi aussi je m’appelle Faust…

 

Marguerite – C’est curieux ! Moi je m’appelle Marguerite !...

Faust – Quel nom charmant ! Il fallait que nous nous rencontrions !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faust – Mais je ne suis pas vieux !

 

 

 

 

Marguerite – Que c’est beau !...

 

 

 

Diamotoruscant, crie du fond de la taverne. – Finissez ! C’est stupide ! Assez ! C’est grotesque ! Qui vous a conseillé de débiter ces foutaises ?

Sur la petite scène

On voit entrer Marguerite – très fardée, et semblable à la petite fille qui se trouve dans la salle.

Même voix.

Marguerite – J’ai dix-sept ans, et je voudrais bien un ami !

Faust, semblable dans le costume et la physionomie, au Faust qui regarde le spectacle : entre à son tour. – La voilà ! Quelle beauté ! Mademoiselle, il ne fait pas beau aujourd’hui !

Marguerite – Ça ne va pas durer j’espère !

Faust – Quoi, le temps ?

Marguerite – Vos assiduités, vieux marcheur !

Faust – Pardonnez-moi ! Je croyais que vous vouliez un ami !...

Marguerite – Quelle blague ! Tous les hommes sont des salauds !

Faust, désespéré – Je n’ai pas de chance !

Il sanglote. Marguerite sort. Faust gesticule dans le vide et exprime sa douleur.

Le diable entre en scène. – Il a copié le costume de Diamotoruscant et, pour se moderniser, mis des manchettes et un chapeau melon.

 

Le diable – Faust ! je te vois en proie à de sombres méditations !

Il ricane longuement.

Faust – Hélas ! je vais mourir pour l’amour de Marguerite ! Ce chagrin m’est insupportable !

Il pleure.

Le diable s’approche de lui.

Le diable – Tu veux rire. Faust ! Mourir pour une femme !...

Faust – Je ne suis que trop ridicule, vieillard amoureux, aux yeux de cette enfant candide !

Le diable le prend dans ses bras.

Le diable – Faust ! J’ai pitié de toi. Faisons un pacte ! Veux-tu la jeunesse ? La force ? la fortune ? L’amour ?

Faust – tais-toi, enchanteur !

Le diable – Tout cela, pour quoi ? (Le diable salue et poursuit.) Pour ton âme !...

Faust – La voilà…

Le diable – hein !... que dites-vous ?

 

Texte C – Jean Anouilh, Le Voyageur sans bagage, Tableau IV (1937).

Quatrième tableau

                Le chauffeur et le valet de chambre grimpés sur une chaise dans un petit couloir obscur et regardant par un œil-de-bœuf.

 

Le valet de chambre

Hé ! dis donc ! Y se déculotte…

 

Le chauffeur, le poussant pour prendre sa place.

Sans blagues ? Mais il est complètement sonné, ce gars-là ! Qu’est-ce qu’il fait ? Il se cherche une puce ? Attends, attends. Le voilà qui grimpe sur une chaise pour se regarder dans la glace de la cheminée…

 

Le valet de chambre

Tu rigoles ? Y monte sur une chaise ?

 

Le chauffeur

Je te le dis.

 

Le valet de chambre, prenant sa place.

Fais voir ça… Ah ! dis donc ! Et tout ça c’est pour voir son dos. Je te dis qu’il est sonné. Bon. Le voilà qui redescend. Il a vu ce qu’il voulait. Y remet sa chemise. Y s’assoit… Ah ! dis donc… Mince alors !

 

Le chauffeur

Qu’est-ce qu’il fait ?

 

Le valet de chambre, se retourne, médusé.

Y chiale…

 

Le rideau tombe

 

Texte D – Césaire, La tragédie du roi Christophe, Acte II, scène 8 (1963).

[Pour asseoir la puissance de son règne et se protéger d’une éventuelle attaque des anciens colons, le roi Christophe fait construire une immense citadelle sur les hauteurs d’Haïti.]

Acte II, scène 8

(Décor : la Citadelle. Travaux pharaoniques.)

[…] (Entrent Christophe et ses familiers.)

Contremaître

Majesté, il faut dire qu’on n’y tient plus, avec un temps comme ça. Faudrait peut-être songer à faire rentrer les équipes. Il fait un vent à décorner les bœufs.

Christophe

Ça se rencontre, des bœufs qui ne se laissent pas décorner. Tenez, je m’en vais vous montrer comment travaille un nègre[4] conséquent.

(Il s’empare d’une truelle et se met à travailler.)

Ouvriers, chantant, las.

A manger de ce pain-là

On ne nous y prendra plus

Pour les beaux yeux de personne

Plus nous ne mourrons

Plus nous ne mourrons.

Christophe

Je n’aime pas cette chanson-pointe (1). Il n’y a pas à mourir. Il y a à faire, comprenez-vous ?

(Chantant)

Si le maître n’est pas bon

Le Bon Dieu est bon

Haïti c’est pour les Haïtiens.

Contremaître

Majesté, la difficulté est de hisser les pièces. La pente est dure et glissante : douze degrés par mètre. J’ai mis là-dessus une équipe de cent hommes. Ça ne donne rien.

Christophe

Faites-en sortir cinquante des rangs : cela ira mieux.

Contremaître

Oh ! Hisse

Oh ! Hisse

Ouvriers, chantant.

Ne me lave pas la tête, papa,

Ne me lave pas la tête, maman,

Quand la sueur s’en charge, papa

Quand la pluie s’en charge, maman.

(Le temps s’est gâté de plus en plus. Pluie, éclairs et tonnerre.)

Christophe

C’est un homme qui a fait la guerre qui vous parle et vous assure que c’est toujours le moins drôle de décaniller de morne en morne, de buisson en buisson. C’est pourquoi j’ai décidé de donner à mon peuple une bonne parade de pierre contre les buffles, ce bon chien de pierre dont la seule gueule découragera la meute de loups.

Hugonin

Et s’ils viennent quand même les Français, qu’est-ce qu’ils recevront sur le paletot ! Des tomates ? Des mangues ? Des cirouelles[5] ? Non et non ! De bons boulets de fer dans le ventre, de la bonne mitraille de papa Christophe et de bons feux de billebaude dans leur maudit cul blanc.

(Fracas de tonnerre et d’explosions. Spectacle de confusion.)

Christophe

Mais qu’y a-t-il ? Hein ! La foudre ! Allons les gars. Nous n’avons pas aujourd’hui le temps de nous arrêter au feu d’artifice. Contremaître, faites donner les tambours. Frappez et soufflez, de tous bras, de tous poumons : la grosse vaxine(2) pour dire le canon au tonnerre et que nous lui parlerons désormais sourcils contre sourcils ; la cymbale pour opposer l’éclair à l’éclair ; le lambi, notre viscérale conque, pour déchaîner contre l’aveugle violence, la violence mieux assurée de nos poitrines, plus vif, allons, plus vif le petit tambour rabordaille(3) pour cravacher les pluies et faire assavoir[6] à la nue que nous l’irons provoquer à vif pour dégager le soleil.

 

Aide de camp

Majesté, la foudre est tombée sur la poudrière : le bâtiment du Trésor est détruit ; le gouverneur de la place et une partie de la garnison sont ensevelis sous les décombres.

 

Christophe

Garçons, cœur !

C’est une bataille comme une autre !

Agonglo !

Toutes feuilles en dent de scie

rassemblées autour du cœur

l’ananas résiste.

Ainsi le roi du Dahomey salue l’avenir

de sa récade !

So yé djé : la foudre tombe !

Agonglo : résiste l’ananas !...

 

(Il brandit son épée contre le ciel)

 

Saint- Pierre, Saint-Pierre[7], voudrais-tu

nous faire la guerre ?

 

Notes de l’auteur :

(1) Chanson-pointe : couplet satirique qui donne le ton au travail collectif

(2) Vaxine : instrument de musique constitué d’un tronc de bambou (espagnol : bocina : trompe).

(3) Rabordaille : petit tambour cylindrique à deux peaux ; désigne aussi le rythme rapide comme pour « l’abordage » joué sur cet instrument.          

 

[1]. L’histoire de Faust, celle d’un vieux savant qui vend son âme au diable en échange d’une nouvelle jeunesse, a été racontée par de nombreux auteurs depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours : Ghelderode reprend et adapte cette histoire. 

[2]. Les trois coups, au théâtre, signalent le début du spectacle.

[3]. Le pronom « il » désigne l’auteur de la pièce de théâtre.

[4]. nègre : dans ce texte, terme sans connotation péjorative.

[5]. cirouelle : prune (de l’espagnol : ciruela).

[6]. faire assavoir : forme ancienne pour dire : « faire savoir ».

[7]. Saint-Pierre : Dans la légende chrétienne, personnage qui porte les clefs du paradis.

 

I. Questions sur le corpus (6 points) :

Vous répondrez aux deux questions suivantes :

  1. En quoi peut-on dire que les textes du corpus sont écrits à destination de la scène ? (3 points)
  2. Quelle place est donnée au regard dans la composition de chacune de ces scènes de théâtre ? (3 points)

 

II. Ecriture (14 points) :

Vous traiterez, au choix, l’un des deux exercices suivants :

  • Commentaire :

Vous ferez le commentaire du texte D (Césaire, La tragédie du roi Christophe), en vous aidant du parcours de lecture suivant :

1) Vous montrerez tout d’abord comment s’expriment les relations du roi Christophe et de son peuple.

2) Vous étudierez par la suite les moyens par lesquels la démesure du roi Christophe est représentée.

  • Dissertation :

Vous répondrez à la question suivante dans un développement composé :

Selon vous, le texte théâtral n’est-il écrit que pour être lu ?

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