Roman S-ES 2015

Roman et Incipit

Objet d’étude : Le personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours

Corpus :

Texte AVictor HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, Première partie, Livre premier, chapitre I.

Texte BGustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, 1881, incipit.

      Texte CMarguerite DURAS, L’Amour, 1971, incipit.

 

Texte A – Victor HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, Première partie, Livre premier, chapitre I.

Il avait neigé depuis minuit jusqu’à l’aube. Vers neuf heures, peu après le lever du soleil, comme ce n’était pas encore le moment pour les anglicans d’aller à l’église de Saint-Sampson et pour les wesleyens d’aller à la chapelle Eldad, le chemin était à peu près désert. Dans tout le tronçon de route qui sépare la première tour de la seconde tour, il n’y avait que trois passants, un enfant, un homme et une femme. Ces trois passants, marchant à distance les uns des autres, n’avaient visiblement aucun lien entre eux. L’enfant, d’une huitaine d’années, s’était arrêté, et regardait la neige avec curiosité. L’homme venait derrière la femme, à une centaine de pas d’intervalle. Il allait comme elle du côté de Saint-Sampson. L’homme, jeune encore, semblait quelque chose comme un ouvrier ou un matelot. Il avait ses habits de tous les jours, une vareuse de gros drap brun, et un pantalon à jambières goudronnées, ce qui paraissait indiquer qu’en dépit de la fête il n’irait à aucune chapelle. Ses épais souliers de cuir brut, aux semelles garnies de gros clous, laissaient sur la neige une empreinte plus ressemblante à une serrure de prison qu’à un pied d’homme. La passante, elle, avait évidemment déjà sa toilette d’église ; elle portait une large mante ouatée de soie noire à faille, sous laquelle elle était fort coquettement ajustée d’une robe de popeline d’Irlande à bandes alternées blanches et roses, et, si elle n’eût eu des bas rouges, on eût pu la prendre pour une parisienne. Elle allait devant elle avec une vivacité libre et légère, et, à cette marche qui n’a encore rien porté de la vie, on devinait une jeune fille. Elle avait cette grâce fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence, les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un enfant. L’homme ne la remarquait pas.

            Tout à coup, près d’un bouquet de chênes verts qui est à l’angle d’un courtil, au lieu dit les Basses-Maisons, elle se retourna, et ce mouvement fit que l’homme la regarda. Elle s’arrêta, parut le considérer un moment, puis se baissa, et l’homme crut voir qu’elle écrivait avec son doigt quelque chose sur la neige. Elle se redressa, se remit en marche, doubla le pas, se retourna encore, cette fois en riant, et disparut à gauche du chemin, dans le sentier bordé de haies qui mène au château de Lierre. L’homme, quand elle se retourna pour la seconde fois, reconnut Déruchette, une ravissante fille du pays.

            Il n’éprouva aucun besoin de se hâter, et, quelques instants après, il se trouva près du bouquet de chênes à l’angle du courtil. Il ne songeait déjà plus à la passante disparue, et il est probable que si, en cette minute-là, quelque marsouin eût sauté dans la mer ou quelque rouge-gorge dans les buissons, cet homme eût passé son chemin, l’œil fixé sur le rouge-gorge ou le marsouin. Le hasard fit qu’il avait les paupières baissées, son regard tomba machinalement sur l’endroit où la jeune fille s’était arrêtée. Deux petits pieds s’y étaient imprimés, et à côté il lut ce mot tracé par elle dans la neige : Gilliatt.

            Ce mot était son nom.

            Il s’appelait Gilliatt.

            Il resta longtemps immobile, regardant ce nom, ces petits pieds, cette neige, puis continua sa route, pensif.

 

Texte B – Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, 1881, incipit.

                Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.

            Plus bas, le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses, étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques.

            Au delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers, le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait au loin dans l’atmosphère tiède ; et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été.

            Deux hommes parurent.

            L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue.

            Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent, à la même minute, sur le même banc.

            Pour s’essuyer le front, ils retirèrent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut, écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet.

            – Tiens, dit-il, nous avons eu la même idée, celle d’inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.

            – Mon Dieu, oui, on pourrait prendre le mien à mon bureau !

            – C’est comme moi, je suis employé.

            Alors ils se considérèrent.

 

Texte C – Marguerite DURAS, L’Amour, 1971, incipit.

Un homme.

Il est debout, il regarde : la plage, la mer.

La mer est basse, calme, la saison est indéfinie, le temps, lent.

L’homme se trouve sur un chemin de planches posé sur le sable.

Il est habillé de vêtements sombres. Son visage est distinct.

Ses yeux sont clairs.

Il ne bouge pas, il regarde.

La mer, la plage, il y a des flaques, des surfaces d’eau calme isolées.

Entre l’homme qui regarde et la mer, tout au bord de la mer, loin, quelqu’un marche. Un autre homme. Il est habillé de vêtements sombres. A cette distance son visage est indistinct. Il marche, il va, il vient, il va, il revient, son parcours est assez lent, toujours égal.

Quelque part sur la plage, à droite de celui qui regarde, un mouvement lumineux : une flaque se vide, une source, un fleuve, des fleuves, sans répit, alimentent le gouffre de sel.

A gauche, une femme aux yeux fermés. Assise.

L’homme qui marche ne regarde pas, rien, rien d’autre que le sable devant lui. Sa marche est incessante, régulière, lointaine.

Le triangle se ferme avec la femme aux yeux fermés. Elle est assise contre un mur qui délimite la plage vers sa fin, la ville.

L’homme qui regarde se trouve entre cette femme et l’homme qui marche au bord de la mer.

Du fait de l’homme qui marche, constamment, avec une lenteur égale, le triangle se déforme, se reforme, sans se briser jamais.

Cet homme a le pas régulier d’un prisonnier.

 

Le jour baisse.

La mer, le ciel, occupent l’espace. Au loin, la mer est déjà oxydée par la lumière obscure, de même que le ciel.

Trois, ils sont trois dans la lumière obscure, le réseau de lenteur.

 

L’homme marche toujours, il va, il vient, devant la mer, le ciel, mais l’homme qui regardait a bougé.

Le glissement régulier du triangle sur lui-même prend fin :

Il bouge.

Il se met à marcher.

 

I. Question sur le corpus (4 POINTS)

Justifiez le rapprochement des trois textes du corpus.

 

 

II. Ecriture (16 POINTS)

Vous traiterez, au choix, un des trois sujets suivants :

 

• Commentaire :

Vous rédigerez le commentaire du texte de Marguerite DURAS, extrait de L’Amour.

 

• Dissertation :

Le travail du romancier consiste-t-il uniquement à créer des personnages ?

Vous répondrez à cette question en un développement composé, en vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur les œuvres et les extraits étudiés en classe.

 

• Sujet d’invention :

Vous réécrirez le texte de Marguerite DURAS en adoptant un point de vue omniscient.

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