Objet d’étude :
Ecriture poétique et quête du sens du XVIème à nos jours
Corpus :
Texte A – Aloysius BERTRAND, « Octobre », Gaspard de la nuit, 1842
Texte B – Victor HUGO, « L’expiation », Les Châtiments, 1852
Texte C – Jean RICHEPIN, « La neige est triste », La chanson des gueux, 1876
Texte D – Yves BONNEFOY, « L’été encore », Début et fin de la neige, 1991
Texte A – Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842), « Octobre ».
Octobre
Adieu, derniers beaux jours !
Alph. de Lamartine, L’Automne
Les petits savoyards[1] sont de retour, et déjà leur cri interroge l’écho sonore du quartier ; comme les hirondelles suivent le printemps, ils précèdent l’hiver.
Octobre, le courrier[2] de l’hiver, heurte à la porte de nos demeures. Une pluie intermittente inonde la vitre offusquée, et le vent jonche des feuilles mortes du platane le perron solitaire.
Voici venir ces veillées de famille, si délicieuses quand tout au dehors est neige, verglas et brouillard, et que les jacinthes fleurissent sur la cheminée, à la tiède atmosphère du salon.
Voici venir la Saint-Martin et ses brandons, Noël et ses bougies, le jour de l’an et ses joujoux, les Rois et leur fève, le carnaval et sa marotte.
Et Pasques[3], enfin, Pasques aux hymnes matinales et joyeuses, Pasques dont les jeunes filles reçoivent la blanche hostie et les œufs rouges !
Alors un peu de cendre aura effacé de nos fronts l’ennui de six mois d’hiver, et les petits savoyards salueront du haut de la colline le hameau natal.
Texte B – Victor Hugo, Les Châtiments (1852), « L’Expiation ».
[Ce long poème évoque la déroute de l’armée de Napoléon Bonaparte. Le début du poème, présenté ici, se réfère à la défaite de l’armée napoléonienne en Russie.]
L’Expiation[4]
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons[5] à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers[6], surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours ! La froide bise
Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre :
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense linceul.
Et chacun se sentant mourir, on était seul.
[…]
Texte C – Jean Richepin, La chanson des gueux (1876), « La neige est triste ».
La neige est triste
La neige est triste. Sous la cruelle avalanche
Les gueux, les va-nu-pieds, s’en vont tout grelottants.
Oh ! le sinistre temps, oh ! l’implacable temps
Pour qui n’a point de feu, ni de pain sur la planche !
Les carreaux sont cassés, la porte se déclenche[7],
La neige par des trous entre avec les autans...
Des enfants, mal langés[8] dans de pauvres tartans[9],
Voient au bout d’un sein bleu geler la goutte blanche.
Et par ce temps de mort, le père est au travail,
Dehors. Le givre perle aux poils de son poitrail.
Ses poumons boivent l’air glacé qui les poignarde.
Il sent son corps raidir, il râle, il tombe, las,
Cependant que le ciel ironique lui carde[10],
Comme pour l’inviter au somme, un matelas.
Texte D – Yves Bonnefoy, Début et fin de la neige (1991), « L’été encore ».
L’été encore
J’avance dans la neige, j’ai fermé
Les yeux, mais la lumière sait franchir
Les paupières poreuses, et je perçois
Que dans mes mots c’est encore la neige
Qui tourbillonne, se resserre, se déchire.
Neige,
Lettre que l’on retrouve et que l’on déplie,
Et l’encre en a blanchi et dans les signes
La gaucherie de l’esprit est visible
Qui ne sait qu’en enchevêtrer les ombres claires.
Et on essaie de lire, on ne comprend pas
Qui s’intéresse à nous dans la mémoire,
Sinon que c’est l’été encore ; et que l’on voit
Sous les flocons les feuilles, et la chaleur
Monter du sol absent comme une brume.
[1]. les petits savoyards : traditionnellement, les petits Savoyards descendaient en automne de leur montagne vers les villes pour faire le ramonage des cheminées.
[2]. le courrier : le messager.
[3]. Pasques : ancienne orthographe de « Pâques », que l’auteur a choisi de conserver.
[4]. expiation : peine subie pour recevoir le pardon d’une faute.
[5]. clairons : soldats qui sonnent le « clairon », instrument de musique semblable à la trompette.
[6]. grenadiers : soldats chargés du lancement des grenades.
[7]. se déclenche : s’ouvre.
[8]. langés : enveloppés dans une pièce de tissu.
[9]. tartan : étoffe de laine.
[10]. carder : secouer un matelas pour lui rendre son épaisseur.
I. QUESTIONS SUR LE CORPUS (6 POINTS)
- Justifiez le rapprochement de ces quatre textes.
- Etudiez la diversité des formes poétiques rassemblées dans ce corpus.
II. ECRITURE (14 POINTS) : trois sujets au choix
- COMMENTAIRE
Vous rédigerez le commentaire de l’extrait de Hugo (texte B), en fondant vos analyses sur le parcours de lecture suivant :
- Vous montrerez comment un tableau se construit au fil de la narration.
- Vous analyserez les registres de ce texte.
- DISSERTATION
La poésie a-t-elle pour seule fonction de raconter le monde ?
Vous composerez votre développement en vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur des exemples précis tirés des œuvres lues et étudiées en classe.
C. ECRIT D’INVENTION
Vous devez composer une anthologie de poèmes sur le thème du temps. Imaginez et rédigez la préface de cette anthologie, en expliquant la pertinence de son thème et l’intérêt des textes que vous aurez choisis.
Vous veillerez à nourrir votre réflexion d’arguments et d’exemples tirés des textes du corpus et des lectures faites en classe.