Poésie S-ES 2018

Poésie et Nuit

Objet d’étude :

Ecriture poétique et quête du sens

Corpus :

Texte A – Pierre de Ronsard, Hymnes, « Hymne des astres » (extrait), v. 189 à 224 (1555).

Texte B – Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, « Le Soir » (1820).

Texte C – Charles Baudelaire, Le spleen de Paris, « Le crépuscule du soir » (1869).

Texte D – Pierre Reverdy, Sources du vent, « L’homme et la nuit » (1929).

 

Texte A – Pierre de Ronsard, Hymnes, « Hymne des astres » (extrait), v. 189 à 224 (1555).

Que dirai plus de vous ?[1] par vos bornes marquées

Le Soleil refranchit ses courses révoquées[2],

Et nous refait les mois, les ans, et les saisons,

Selon qu’il entre ou sort de vos belles maisons[3] ;

Dessous votre pouvoir s’assurent les grands villes :

Vous nous donnez des temps les signes très utiles,

Et soit que vous couchez, ou soit que vous levez[4],

En diverses façons les signes vous avez

Imprimés sur le front, des vents et des oraiges[5],

Des pluies, des frimas, des grêles, et des neiges,

Et selon les couleurs qui peignent vos flambeaux,

On connait si les jours seront ou laids ou beaux.

Vous nous donnez aussi par vos marques célestes

Les présages certains des fièvres et des pestes,

Et des maux, qui bientôt doivent tomber çà bas[6],

Les signes de famine, et des futurs combats :

Car vous êtes de Dieu les sacrés caractères,

Ainçois[7] de ce grand Dieu fidèles secrétaires,

Par qui sa volonté fait savoir aux humains,

Comme s’il nous marquait un papier de ses mains.

Non seulement par vous ce grand Seigneur et Maître

Donne ses volontés aux hommes à connaître :

Mais par l’onde et par l’air et par le feu très prompt,

Voire (qui le croira) par les lignes qui sont

Écrites en nos mains, et sur notre visage,

Desquelles qui pourrait[8] au vrai savoir l’usage,

Nous verrions imprimé clairement là-dedans

Ensemble nos mauvais et nos bons accidents :

Mais faute de pouvoir telles lignes entendre,

Qui sont propres à nous, nous ne pouvons comprendre

Ce que Dieu nous écrit, et sans jamais prévoir

Notre malheur futur, toujours nous laissons choir[9]

Après une misère, en une autre misère :

Mais certes par sur tout[10] en vous reluit plus claire

La volonté de Dieu, d’autant que sa grandeur

Allume de plus près votre belle splendeur.

 

Texte B – Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, IV, « Le Soir » (1820).

Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s’avance.

Vénus se lève à l’horizon ;
À mes pieds l’étoile amoureuse
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.

De ce hêtre au feuillage sombre
J’entends frissonner les rameaux :
On dirait autour des tombeaux
Qu’on entend voltiger une ombre.

Tout à coup, détaché des cieux,
Un rayon de l’astre nocturne,
Glissant sur mon front taciturne,
Vient mollement toucher mes yeux.

Doux reflet d’un globe de flamme,
Charmant rayon, que me veux-tu ?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon âme ?

Descends-tu pour me révéler
Des mondes le divin mystère,
Ces secrets cachés dans la sphère
Où le jour va te rappeler ?

Une secrète intelligence
T’adresse-t-elle aux malheureux ?
Viens-tu, la nuit, briller sur eux
Comme un rayon de l’espérance ?

Viens-tu dévoiler l’avenir
Au cœur fatigué qui l’implore ?
Rayon divin, es-tu l’aurore
Du jour qui ne doit pas finir ?

Mon cœur à ta clarté s’enflamme,
Je sens des transports inconnus,
Je songe à ceux qui ne sont plus :
Douce lumière, es-tu leur âme ?

Peut-être ces mânes[11] heureux
Glissent ainsi sur le bocage.
Enveloppé de leur image,
Je crois me sentir plus près d’eux ?

Ah ! si c’est vous, ombres chéries,
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.

Ramenez la paix et l’amour
Au sein de mon âme épuisée,
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour.

Venez !… Mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l’horizon :
Elles voilent le doux rayon

Et tout rentre dans les ténèbres.

 

Texte C – Charles Baudelaire, Le spleen de Paris, petits poèmes en prose, XXII, « Le crépuscule du soir » (1869).

            Le jour tombe. Un grand apaisement se fait dans les pauvres esprits fatigués du labeur de la journée ; et leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule.

            Cependant du haut de la montagne arrive à mon balcon, à travers les nues[12] transparentes du soir, un grand hurlement, composé d’une foule de cris discordants, que l’espace transforme en une lugubre harmonie, comme celle de la marée qui monte ou d’une tempête qui s’éveille.

            Quels sont les infortunés que le soir ne calme pas, et qui prennent, comme les hiboux, la venue de la nuit pour un signal de sabbat[13] ? Cette sinistre ululation[14] nous arrive du noir hospice perché sur la montagne ; et, le soir, en fumant et en contemplant le repos de l’immense vallée, hérissée de maisons dont chaque fenêtre dit : « C’est ici la paix maintenant ; c’est ici la joie de la famille ! » je puis, quand le vent souffle de là-haut, bercer ma pensée étonnée à cette imitation des harmonies de l’enfer.

            Le crépuscule excite les fous. — Je me souviens que j’ai eu deux amis que le crépuscule rendait tout malades. L’un méconnaissait alors tous les rapports d’amitié et de politesse, et maltraitait, comme un sauvage, le premier venu. Je l’ai vu jeter à la tête d’un maître d’hôtel un excellent poulet, dans lequel il croyait voir je ne sais quel insultant hiéroglyphe. Le soir, précurseur des voluptés profondes, lui gâtait les choses les plus succulentes.

            L’autre, un ambitieux blessé, devenait, à mesure que le jour baissait, plus aigre, plus sombre, plus taquin. Indulgent et sociable encore pendant la journée, il était impitoyable le soir ; et ce n’était pas seulement sur autrui, mais aussi sur lui-même, que s’exerçait rageusement sa manie crépusculeuse.

            Le premier est mort fou, incapable de reconnaître sa femme et son enfant ; le second porte en lui l’inquiétude d’un malaise perpétuel, et fût-il gratifié de tous les honneurs que peuvent conférer les républiques et les princes, je crois que le crépuscule allumerait encore en lui la brûlante envie de distinctions imaginaires. La nuit, qui mettait ses ténèbres dans leur esprit, fait la lumière dans le mien ; et, bien qu’il ne soit pas rare de voir la même cause engendrer deux effets contraires, j’en suis toujours comme intrigué et alarmé.

            Ô nuit ! ô rafraîchissantes ténèbres ! vous êtes pour moi le signal d’une fête intérieure, vous êtes la délivrance d’une angoisse ! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d’une capitale, scintillement des étoiles, explosion des lanternes, vous êtes le feu d’artifice de la déesse Liberté !

            Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres[15] qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeurs de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l’homme aux heures solennelles de la vie.

            On dirait encore une de ces robes étranges de danseuses, où une gaze transparente et sombre laisse entrevoir les splendeurs amorties d’une jupe éclatante, comme sous le noir présent transperce le délicieux passé ; et les étoiles vacillantes d’or et d’argent, dont elle est semée, représentent ces feux de la fantaisie qui ne s’allument bien que sous le deuil profond de la Nuit.

 

Texte D – Pierre Reverdy, Sources du vent, « L’homme et la nuit » (1929).

Au carrefour on entend l’horloge et les pas du passant

Au carrefour il y a parfois une voiture qui s’écrase

                                                           et reparaît

                        la lune sur le cadran

les aiguilles qui tournent et un large visage souriant

                                               c’est la nuit

Le soleil a perdu ses rayons et ce n’est plus la vie

                                    Ta tête n’est qu’un rond

                                               Pourtant

C’est à ce moment que l’on regarde le plus le ciel

A ce moment on pense aussi à tout ce qui se passe

derrière les façades des maisons

                                    Les façades sont des faces

Il y en a qui rient d’autres qui sont tristes

et quelques-unes qui deviennent pâles et qui tremblent dont les yeux se ferment de peur pour qu’on ne les voie pas

                                               Il y a des maisons qui sont des têtes

                        et qui ont peur de leurs pensées

            C’est alors la ville interminable

                                               Tout se construit

  dans le calme et le silence

                                    pendant que tout le monde dort

Les rayons labourent et les rues se creusent

Les places se forment

                                    C’est une force placide au travail

Et rien de tout cela ne fait de bruit

                        Mais quelques hommes passent c’est

                        le mouvement

                                    Un nouveau souffle

                        Quelque chant et tout vibre

                                                           l’air remue

Ce n’est plus un souterrain où tout est mort

Je le vois de loin

Il anime l’atmosphère et fait bouger le mur

devant lequel il passe

                        Rien n’existe que sous l’attention de son regard

L’homme qui passe et que je crains

l’homme qui s’approche et qui s’éloigne

                                    surtout quand il s’éloigne

avec des mouvements réglés et admirables

                                               utiles et précis

Et quand le jour se lève pour éclairer le monde

c’est que nous avons enfin ouvert les yeux

 
 

[1]. Que dirai plus de vous ? : Que dirai-je de plus vous concernant ? – Ronsard s’adresse aux astres.

[2]. refranchit ses courses révoquées : recommence sont parcours.

[3]. vos belles maisons :  les constellations.

[4]. soit que vous couchez… : que vous vous couchiez ou que vous vous leviez.

[5]. oraiges : orages (prononciation du XVIe siècle).

[6]. çà bas : ici bas.

[7]. ainçois : ou plutôt.

[8]. qui pourrait : si l’on pouvait.

[9]. toujours nous laissons choir : nous nous laissons toujours tomber.

[10]. par sur tout : par-dessus tout.

[11]. mânes : âme des morts, dans la religion romaine.

[12]. les nues : les nuées, les nuages.

[13]. sabbat : danse de sorcières, cérémonie macabre.

[14]. ululation : cri de certains oiseaux de nuit.

[15]. candélabres : chandelier à plusieurs branches.

 

I. Question sur le corpus (4 points) :

Dans les textes du corpus, quelles visions poétiques la nuit met-elle devant les yeux des poètes ?

 

II. Ecriture (16 points) :

Vous traiterez, au choix, l’un des trois exercices suivants :

 

Commentaire :

Vous ferez le commentaire du texte C : Charles Baudelaire, Le spleen de Paris, « Le crépuscule du soir » (1869).

Vous vous appuierez sur la problématique suivante :

Comment l’écriture de ce texte donne-t-elle au paysage un caractère poétique ?

 

Dissertation :

Selon vous, l’imagination des poètes est-elle un moyen de s’évader de la réalité ?

Vous répondrez à cette question dans un développement composé, en vous appuyant sur des références littéraires prises dans les textes du corpus, dans les lectures faites en classe et dans vos lectures personnelles.

 

Invention :

Vous avez composé un recueil de poésies, en prose ou en vers, en accordant une large place à l’imaginaire et à l’invention verbale. 

Ecrivez une lettre à un éditeur pour le convaincre de publier votre ouvrage. Vous défendrez votre démarche poétique en l’illustrant avec des extraits de vos poèmes.

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