Argumentation S-ES 2016

Argumentation et Vanité

Objet d’étude : la question de l’homme

dans les genres de l’argumentation du XVIème à nos jours

Corpus :

Texte A – SPONDE, Sonnets de la mort, 2ème sonnet, 1588

Texte B – BOSSUET, Oraison funèbre de Henriette-Anne d’Angleterre, 1670

Texte C – HUGO, Hernani, Acte V – scène dernière, 1830

     Texte D – Pascal QUIGNARD, Tous les matins du monde, chapitre IX, 1991

 

Texte A – Jean de Sponde, Sonnets de la mort (1588), 2e sonnet.

Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,

Qui brave de[1] la mort, sentira ses fureurs,

Les Soleils hâleront[2] ces journalières fleurs,

Et le temps crèvera cette ampoule venteuse[3].

 

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,

Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,

L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,

Et les flots se rompront à la rive écumeuse.

 

J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,

Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,

Où d’une ou d’autre part éclatera l’orage.

 

J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,

Ces lions rugissants je les ai vu sans rage,

Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

 

             Texte B – Jacques-Bénigne Bossuet, Oraison funèbre[4] de Henriette-Anne d’Angleterre (1670).

           [Bossuet était évêque et a rendu, dans l’exercice de sa fonction, l’hommage funèbre de plusieurs personnalités de la cour.]

 

ORAISON FUNEBRE

DE HENRIETTE-ANNE

D’ANGLETERRE[5]

DUCHESSE D’ORLEANS

 

Prononcée à Saint-Denis

le vingt et unième jour d’août 1670.

 

Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes ;

vanitas vanitatum, et omnia vanitas

(Eccl., I.)

 

Vanité des vanités, a dit l’Ecclésiaste ;

vanité des vanités, et tout est vanité.

          

MONSEIGNEUR[1],

          J'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à très haute et très puissante princesse HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLEANS. Elle, que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère, devait être si tôt après le sujet d'un discours semblable ; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. Ô vanité ! ô néant ! ô mortels ignorants de leurs destinées ! L'eût-elle cru, il y a dix mois ? Et vous, MESSIEURS, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu, qu’elle dût si tôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? PRINCESSE, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'était-ce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort ? et la France, qui vous revit avec tant de joie environnée d'un nouvel éclat, n'avait-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances ? Vanité des vanités, et tout est vanité. C'est la seule parole qui me reste ; c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livres sacrés pour y trouver quelque texte que je pusse appliquer à cette princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que me présente l'Ecclésiaste[2], où quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événements de notre vie, par une raison particulière devient propre à mon lamentable sujet, puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues. Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement : tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

 

[1]. Devant l’assemblée, Bossuet s’adresse en particulier au frère du roi, l’époux d’Henriette-Anne.

[2]. L’Ecclésiaste est une section de la Bible.

Texte C – Victor Hugo, Hernani (1830), Acte V, scène dernière.

[Amoureux de doña Sol, Hernani et don Ruy Gomez sont associés contre le roi. Pour remercier don Ruy Gomez de l’avoir protégé d’une menace de mort, Hernani lui prête serment : il pourra disposer de sa vie à tout instant, en sonnant du cor. Le soir des noces d’Hernani et de doña Sol, don Ruy Gomez rappelle à Hernani son serment et lui demande de mourir. Doña Sol s’empare alors d’une fiole de poison qu’Hernani porte à la ceinture et boit la moitié de son contenu.]

 

HERNANI -                                           Hélas ! qu’as-tu fait, malheureuse ?

DOÑA SOL - C’est toi qui l’as voulu.

HERNANI -                                           C’est une mort affreuse !

DOÑA SOL - Non. — Pourquoi donc ?

Hernani -                                           Ce philtre au sépulcre conduit.

DOÑA SOL - Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ?

Qu’importe dans quel lit !

HERNANI -                            Mon père, tu te venges

Sur moi qui t’oubliais !

Il porte la fiole à sa bouche.

DOÑA SOL, se jetant sur lui. -          Ciel ! Des douleurs étranges !…

Ah ! Jette loin de toi ce philtre !… ma raison

S’égare. — Arrête ! hélas ! mon don Juan ! ce poison

Est vivant, ce poison dans le cœur fait éclore

Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore !

Oh ! Je ne savais pas qu’on souffrît à ce point !

Qu’est-ce donc que cela ? c’est du feu ! ne bois point !

Oh ! tu souffrirais trop !

HERNANI, à don Ruy. - Ah ! Ton âme est cruelle !

Pouvais-tu pas choisir d’autre poison pour elle ?

Il boit et jette la fiole.

DOÑA SOL - Que fais-tu ?

HERNANI -            Qu’as-tu fait ?

DOÑA SOL -                          Viens, ô mon jeune amant,

Dans mes bras.

Ils s’asseyent l’un près de l’autre.

                               N’est-ce pas qu’on souffre horriblement ?

HERNANI – Non.

 

DOÑA SOL -          Voilà notre nuit de noce commencée !

Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ?

HERNANI - Ah !

DON RUY GOMEZ - La fatalité s’accomplit.

HERNANI -                                                           Désespoir !

Ô tourment ! doña Sol souffrir, et moi le voir !

DOÑA SOL - Calme-toi. Je suis mieux. — Vers des clartés nouvelles

Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes.

Partons d’un vol égal vers un monde meilleur.

Un baiser seulement, un baiser !

Ils s’embrassent.

DON RUY GOMEZ -                            Ô douleur !

HERNANI, d’une voix affaiblie. - Oh ! béni soit le ciel qui m’a fait une vie

D’abîmes entourée et de spectres suivie,

Mais qui permet que, las d’un si rude chemin,

Je puisse m’endormir, ma bouche sur ta main !

DON RUY GOMEZ – Qu’ils sont heureux !

HERNANI, d’une voix de plus en plus faible. -  Viens… viens… doña Sol, tout est sombre…

Souffres-tu ?

DOÑA SOL, d’une voix également éteinte. - Rien, plus rien.

HERNANI -                                                                           Vois-tu des feux dans l’ombre ?

DOÑA SOL - Pas encor.

HERNANI, avec un soupir. - Voici…

Il tombe.

DON RUY GOMEZ, soulevant sa tête qui retombe. - Mort !

DOÑA SOL, échevelée et se dressant à demi sur son séant.

                                                                                              Mort ! non pas !… nous dormons.

Il dort ! c’est mon époux, vois-tu, nous nous aimons,

Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noce.

D’une voix qui s’éteint.

Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce…

Il est las…

Elle retourne la figure d’Hernani.

Mon amour, tiens-toi vers moi tourné…

Plus près… plus près encor…

Elle retombe.

DON RUY GOMEZ.

                                               Morte !… Oh ! Je suis damné.

Il se tue.

 

Texte D – Pascal Quignard, Tous les matins du monde (1991), chapitre IX.

 [L’action se déroule au XVIIe siècle. Monsieur de Sainte-Colombe est musicien. Il vit seul avec ses deux filles depuis la mort de son épouse. Un jour, alors qu’il joue de son instrument, son épouse apparaît.]

La quatrième fois où il sentit le corps de son épouse à ses côtés, détournant les yeux de son visage, il lui demanda :

            « Parlez-vous, Madame, malgré la mort ?  

            – Oui. »

            Il frémit parce qu’il avait reconnu sa voix. Une voix basse, du moins contralto[8]. Il avait le désir de pleurer mais n’y parvint pas tant il était surpris, dans le même temps, que ce songe parlât. Le dos tremblant, au bout d’un moment, il trouva le courage pour demander encore :

            « Pourquoi venez-vous de temps à autre ? Pourquoi ne venez-vous pas toujours ?

            – Je ne sais pas, dit l’ombre en rougissant. Je suis venue parce que ce que vous jouiez m’a émue. Je suis venue parce que vous avez eu la bonté de m’offrir à boire et quelques gâteaux à grignoter.

            – Madame ! » s’écria-t-il.

            Il se leva aussitôt, plein de violence, au point qu’il fit tomber son tabouret. Il éloigna la viole[9] de son corps parce qu’elle le gênait et la posa contre la paroi de planches, sur sa gauche. Il ouvrit les bras comme s’il entendait déjà l’étreindre. Elle cria :

            « Non ! »

            Elle se reculait. Il baissa la tête. Elle lui dit :

            « Mes membres, mes seins sont devenus froids. »

            Elle avait du mal à retrouver son souffle. Elle donnait l’impression de quelqu’un qui a fait un effort trop grand. Elle touchait ses cuisses et ses seins tandis qu’elle disait ces mots. Il baissa la tête de nouveau et elle revint s’asseoir alors sur le tabouret. Quand elle eut recouvré un souffle plus égal, elle lui dit doucement :

            « Donnez-moi plutôt un verre de votre vin de couleur rouge pour que j’y trempe mes lèvres. »

            Il sortit en hâte, alla au cellier, descendit à la cave. Quand il revint, Madame de Sainte Colombe n’était plus là.  

 

[1]. brave de... : fière devant la mort.

[2]. hâler : donner une couleur brune.

[3]. venteuse : remplie de vent.

[4]. Oraison funèbre : discours prononcé lors des funérailles, en l’honneur du défunt.

[5]. Henriette-Anne (1644-1670), née en Angleterre à une époque de troubles politiques et religieux, est envoyée à la cour de France durant son enfance pour y rejoindre la noblesse anglaise en exil. En 1670, elle accomplit une mission diplomatique en Angleterre. Elle meurt brutalement deux semaines après son retour en France.  

[6]. Devant l’assemblée, Bossuet s’adresse en particulier au frère du roi, l’époux d’Henriette-Anne.

[7]. L’Ecclésiaste est une section de la Bible.

[8]. contralto : voix la plus grave parmi les voix féminines.

[9]. viole : viole de gambe, instrument de musique qui est l’ancêtre du violoncelle.

 

I. QUESTION SUR LE CORPUS (4 POINTS)

 

Quelles réflexions sur la mort se construisent dans ces quatre textes ?

 

II. ECRITURE (16 POINTS) : trois sujets au choix

  1. COMMENTAIRE

Vous rédigerez le commentaire littéraire du texte de Sponde (texte A).

  1. DISSERTATION

Les genres proprement argumentatifs sont-ils les seuls à pouvoir construire efficacement une réflexion sur l’homme ?

Vous composerez votre développement en vous appuyant sur les textes du corpus ainsi que sur des exemples précis tirés des œuvres lues et étudiées en classe.

C. ECRIT D’INVENTION

Imaginez un débat entre deux amis sur les fonctions de la littérature : le premier pense qu’elle sert à réconforter l’homme, le second est convaincu qu’elle a bien d’autres fonctions.

Vous veillerez à présenter ce débat sous la forme d’un dialogue vivant inséré dans un récit et nourri d’arguments et d’exemples littéraires précis.

 

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