L’interview a été réalisée le 14/01/17 auprès de ma grand-tante maternelle (la sœur du père de ma mère), Marie-Thérèse Vincentelli.

L’arrière-grand-père de Marie-Thérèse, Guiseppe, est né à Naples en Italie et arrive en Algérie en 1840. L’Algérie est une colonie française à cette période de l’histoire. Guiseppe a quitté l’Italie car en cette fin du XIXe siècle, l’Italie connaît des émeutes alimentaires. En effet, les se révoltent contre l’empire autrichien qui règne alors sur le pays. L’économie était alors principalement basée sur l’agriculture, la concurrence était forte et fragilisait les populations les moins aisées. Ce qui était le cas de ma famille. En partant en Algérie, Guiseppe voulait s’offrir un avenir meilleur. En Algérie, il s’installe définitivement et constitue sa famille. Il aura un fils, Livio, né en 1880.

Livio devient tonnelier . Lorsqu’il a une trentaine d’années, il rencontre Carmen qui est femme de ménage dans une grande propriété de colons français. Les parents de Carmen sont nés en Espagne et l’ont fui à la fin du XIXe S à cause d’une guerre civile.

Ils se rencontrent grâce à un mariage qui se déroule dans cette propriété où Livio était venu livrer du vin. Tous deux n’ont jamais connu l’Italie et l’Espagne et obtiennent la nationalité française. Livio et Carmen se marient, ils vont avoir trois enfants dont Antoine Vincentelli (le père de ma grand-tante et le grand-père de ma mère). Livio décède en 1925 à 45 ans d’une crise cardiaque, laissant la responsabilité de la famille sur les épaules de son fils aîné Antoine, qui a seulement 13 ans lorsqu’il s’engage comme mécanicien chez Citroën.

En effet, à cette époque, Citroën industrialise la première carrosserie « tout acier ». Le succès est au rendez-vous mais la concurrence industrielle est forte et implique un développement créatif, technique et industriel. Citroën crée alors des sociétés commerciales à Madrid ( Espagne) et à Alger (Algérie).

Antoine Vincentelli poursuit sa carrière professionnelle dans la police, d’abord comme transporteur de fonds puis ensuite à la brigade des mœurs. Il se marie avec Girella Morselli et ont cinq enfants :

  • Antoine (décédé à l’âge de 50 ans);

  • Marie-Thérèse ;

  • Lucie (décédé à l’âge de 18 mois);

  • Jean-Daniel mon grand-père maternel (décédé à l’âge de 62 ans);

  • André.

Girella est d’origine italienne, tout comme Antoine. Ses parents ont quitté l’Italie et l’île d’Ischia pour une vie meilleure en Algérie française. Girella a recueilli ses deux neveux, Claude et José, les enfants de son frère, car il est marin au long cours et sa femme est morte deux mois après avoir mis au monde son deuxième enfant, José.

Antoine et Girella élèvent donc sept enfants avec un seul salaire. Pour accueillir cette grande famille, ils font construire à La Redoute (un quartier d’Alger) une grande maison. Ma famille est catholique et pratiquante, la maison sera bénie par un prêtre avant l’emménagement.

Marie-Thérèse, ma grande-tante m'a raconté ensuite des anecdotes dont certains membres de ma famille ne sont pas sûrs.

En 1960, Marie-Thérèse quitte l’Algérie après son mariage pour suivre son mari qui est militaire. Toute la famille, reste en Algérie malgré la guerre qui commence en 1954. Les Algériens veulent leur indépendance,et que l’Algérie ne soit plus française. On appelait alors les Français nés en Algérie des Algérois.

Dès 1954, les indépendantistes algériens, avec en tête le FLN (Front de Libération Nationale), décident d’entamer une lutte armée contre l’occupant français. Des attentats ont lieu un peu partout sur le territoire algérien : des récoltes sont incendiées, des gendarmeries sont bombardées, il y a des morts.

Devant les nombreux attentats et le danger que les Français couraient, la famille quitte Alger en 1961. Mon grand-père, Jean-Daniel Vincentelli, a alors 17 ans. Ils laissent tout derrière eux, une maison, leurs affaires, des amis. Ma grand-tante me dit : « Les lustres sont même restés au plafond ».

Antoine, le père de famille reste encore un peu pour son travail mais le danger était important car en tant que policier, il était sur une liste noire. Un ami algérien dira d'ailleurs à Antoine : « Tu dois quitter l’Algérie ce soir sinon tu es mort ». Antoine est alors allé voir son patron, et il lui dit que lui aussi est en danger et qu’ils doivent quitter Alger tous les deux le soir même. Son patron refuse de partir, ne se sentant pas menacé, tandis qu’Antoine, aidé par un oncle de la famille trouve un bateau de marchandises. Il s'y cache dans la paille des chevaux pour quitter l’Algérie, accompagné de son patron qui, finalement, après avoir vérifié auprès de sources la liste noire dont mon arrière-arrière-grand-père lui avait parlé, compris que le danger était réel.

Antoine est arrivé en 1962 en France à l’âge de 50 ans. La situation des expatriés d’Algérie était très compliquée à cette époque car ils n’étaient pas considérés comme des Français. Pour anecdote, lorsque ma grand-mère, la femme de Jean-Daniel Vincentelli, d’origine normande, présente mon grand-père à ses oncles et tantes de la Normandie profonde, ils lui disent : « Tu te marie avec un arabe ».

Les expatriés d’Algérie subissent la discrimination car ils ne sont pas nés sur le sol français et pourtant aux yeux de la loi française, ils le sont. Ils sont appelés « Pieds noirs ». Les Pieds noirs sont les descendants de tous les Européens, majoritairement Français, qui, à partir de 1830, se sont installés en Algérie pour en faire une colonie de peuplement.

Ma grand-tante m’a dit : « Nous avons été accueillis à coups de pieds au cul ». Les Français disaient qu’ils arrivaient d’Algérie avec des lingots d’or. Ils disaient qu’ils étaient riches, alors que c’était faux. Tous n’étaient pas de riches propriétaires terriens en Algérie. Ma famille n’avait aucune fortune, elle a perdu sa maison en quittant l’Algérie.

Antoine a alors trouvé un appartement à Issy-les-Moulineaux. Le loyer était trois fois plus cher que le prix du marché, c’était un traitement spécial pour les « Pieds noirs » que l’on disait riches. Ils ont vécu à 10 dans un quatre pièces avec un salaire, celui d’Antoine. Au début de leur installation, ma famille a demandé de l’aide au Secours Catholique pour avoir des vêtements, de la vaisselle, du linge de maison. Puis les enfants les plus âgés, comme mon grand-père, a travaillé pour aider sa famille et payer les études du plus jeune des garçons André.

A force de courage et surtout de solidarité, les mentalités ont évolué, les Pieds noirs se sont adaptés mais ma grand-tante et mon grand-père ont conservé la nostalgie de la douceur de vie en Algérie. Ils ne sont jamais revenus sur leurs pas, leur vie était en France et ils ont tout fait pour s’intégrer au mieux.