Textes bac 1ère ES2

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1. Le 26 janvier 2015, 21:11 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Texte 1: l'incipit.

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.
J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.

J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.

2. Le 26 janvier 2015, 21:12 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Texte 2: l'explicit.

Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.

3. Le 26 janvier 2015, 21:12 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Texte 3: le meurtre de l'Arabe.

 J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire. J'ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils. C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

4. Le 26 janvier 2015, 21:13 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Texte 4: la demande en mariage.

  Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu: « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi.

J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit: « C'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. »

Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions dîner ensemble chez Céleste, Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.

5. Le 26 janvier 2015, 21:14 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

TEXTE COMPLEMENTAIRE A LA SEQUENCE ETRANGER

Milan Kundera, Le Rideau, 2005

Dans son essai intitulé Le Rideau, Kundera construit une réflexion sur le roman en analysant les romans de Franz

Kafka (1883-1924) dont l'influence a été majeure sur la littérature du XXème siècle, il s'interroge sur la construction du personnage.

Les trois romans de Franz Kafka sont trois variantes de la même situation: l'homme entre en conflit non pas avec un autre homme, mais avec un monde transformé en une immense admnistration. Dans le premier roman (écrit en1912), l'homme s'appelle Karl Rossmann et le monde est l'Amérique. Dans le deuxième (1917), l'homme s'appelle Joseph K et le monde est un énorme tribunal qui l'accuse. Dans le troisième (1922), l'homme s'appelle K. et le monde est un village dominé par un château.

Si Kafka se détourne de la psychologie pour se concentrer sur l'examen d'une situation, cela ne veut pas dire que ses personnages ne sont pas psychologiquement convaincants mais la problématique psychologique est passée au second plan: que K. ait eu une enfance heureuse ou triste, qu'il ait été le chouchou de sa maman ou élevé dans un orphelinat, qu'il ait derrière lui un grand amour ou non, cela ne changera rien ni à son destin ni à son comportement. C'est par ce renversement de la problématique, par cette façon d'interroger la vie humaine, par cette façon de concevoirl'identité de l'individu que Kafka se distingue non seulement de la littérature passée, mais aussi de ses grands contemporains Proust et Joyce.

[...] Pour qu'un personnage soit «vivant», «fort», artistiquement «réussi», il n'est pas nécessaire de fournir sur lui toutes les informations possibles; il est inutile de faire croire qu'il est aussi réel que vous et moi; pour qu'il soit fort et inoubliable, il suffit qu'il emplisse tout l'espace de la situation que le romancier a créée pour lui. (Dans ce nouveau climat esthétique, le romancier se plaît même à rappeler de temps en temps que rien de ce qu'il raconte n'est réel, que tout est son invention, comme Fellini qui, à la fin de E la nave va, nous fait voir toutes les coulisses et tous les mécanismes de son théâtre des illusions».

6. Le 26 janvier 2015, 21:15 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 1: Le Cid, Corneille, 1660, Acte I, scène 1.
Scène première. - CHIMENE, ELVIRE.

Chimène
Elvire, m’as-tu fait un rapport bien sincère ?
Ne déguises-tu rien de ce qu’a dit mon père ?
Elvire
Tous mes sens à moi-même en sont encor charmés :
Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez,
Et si je ne m’abuse à lire dans son âme,
Il vous commandera de répondre à sa flamme.
Chimène
Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois
Ce qui te fait juger qu’il approuve mon choix ;
Apprends-moi de nouveau quel espoir j’en dois prendre;
Un si charmant discours ne se peut trop entendre ;
Tu ne peux trop promettre aux feux de notre amour
La douce liberté de se montrer au jour.
Que t’a-t-il répondu sur la secrète brigue
Que font auprès de toi don Sanche et don Rodrigue ?
N’as-tu point trop fait voir quelle inégalité
Entre ces deux amants me penche d’un côté ?
Elvire
Non, j’ai peint votre cœur dans une indifférence
Qui n’enfle d’aucun d’eux ni détruit l’espérance,
Et sans les voir d’un œil trop sévère ou trop doux,
Attend l’ordre d’un père à choisir un époux.
Ce respect l’a ravi, sa bouche et son visage
M’en ont donné sur l’heure un digne témoignage,
Et puisqu’il vous en faut encor faire un récit,
Voici d’eux et de vous ce qu’en hâte il m’a dit :
« Elle est dans le devoir, tous deux sont dignes d’elle,
Tous deux formés d’un sang noble, vaillant, fidèle,
Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs yeux
L’éclatante vertu de leurs braves aïeux.
Don Rodrigue surtout n’a trait en son visage
Qui d’un homme de cœur ne soit la haute image,
Et sort d’une maison si féconde en guerriers,
Qu’ils y prennent naissance au milieu des lauriers.
La valeur de son père en son temps sans pareille,
Tant qu’a duré sa force, a passé pour merveille ;
Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,
Et nous disent encore ce qu’il fut autrefois.
Je me promets du fils ce que j’ai vu du père ;
Et ma fille, en un mot, peut l’aimer et me plaire. »
Il allait au conseil, dont l’heure qui pressait
A tranché ce discours qu’à peine il commençait ;
Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée
Entre vos deux amants n’est pas fort balancée.
Le roi doit à son fils élire un gouverneur,
Et c’est lui que regarde un tel degré d’honneur ;
Ce choix n’est pas douteux, et sa rare vaillance
Ne peut souffrir qu’on craigne aucune concurrence.
Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,
Dans un espoir si juste il sera sans rival ;
Et puisque don Rodrigue a résolu son père
Au sortir du conseil à proposer l’affaire,
Je vous laisse à juger s’il prendra bien son temps,
Et si tous vos désirs seront bientôt contents.
Chimène
Il semble toutefois que mon âme troublée
Refuse cette joie, et s’en trouve accablée :
Un moment donne au sort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.
Elvire
Vous verrez cette crainte heureusement déçue.
Chimène
Allons, quoi qu’il en soit, en attendre l’issue.

7. Le 26 janvier 2015, 21:16 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 2: Le Cid, Corneille, 1660, Acte II, scène 8 .
ACTE II SCENE VIII
DON FERNAND, DON DIEGUE, CHIMENE,
DON SANCHE, DON ARIAS, DON ALONSE

CHIMENE
Sire, sire, justice !

DON DIEGUE
            Ah ! sire, écoutez-nous.

CHIMENE
Je me jette à vos pieds.

DON DIEGUE
            J'embrasse vos genoux.

CHIMENE
Je demande justice.

DON DIEGUE
            Entendez ma défense.

CHIMENE
D'un jeune audacieux punissez l'insolence :
Il a de votre sceptre abattu le soutien,
Il a tué mon père.

DON DIEGUE
            Il a vengé le sien.

CHIMENE
Au sang de ses sujets un roi doit la justice.

DON DIEGUE
Pour la juste vengeance il n'est point de supplice.

DON FERNAND
Levez-vous l'un et l'autre, et parlez à loisir.
Chimène, je prends part à votre déplaisir ;
D'une égale douleur je sens mon âme atteinte.
Vous parlerez après ; ne troublez pas sa plainte.

CHIMENE
Sire, mon père est mort ; mes yeux ont vu son sang
Couler à gros bouillons de son généreux flanc ;
Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles,
Ce sang qui tant de fois vous gagna des batailles,
Ce sang qui tout sorti fume encore de courroux
De se voir répandu pour d'autres que pour vous,
Qu'au milieu des hasards n'osait verser la guerre,
Rodrigue en votre cour vient d'en couvrir la terre.
J'ai couru sur le lieu, sans force et sans couleur
Je l'ai trouvé sans vie. Excusez ma douleur
Sire, la voix me manque à ce récit funeste ;
Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste.

DON FERNAND
Prends courage, ma fille, et sache qu'aujourd'hui
Ton roi te veut servir de père au lieu de lui.

CHIMENE
Sire, de trop d'honneur ma misère est suivie.
Je vous l'ai déjà dit, je l'ai trouvé sans vie ;
Son flanc était ouvert ; et pour mieux m'émouvoir
Son sang sur la poussière écrivait mon devoir ;
Ou plutôt sa valeur en cet état réduite
Me parlait par sa plaie, et hâtait ma poursuite ;
Et pour se faire entendre au plus juste des rois,
Par cette triste bouche elle empruntait ma voix.
Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance
Règne devant vos yeux une telle licence ;
Que les plus valeureux, avec impunité,
Soient exposés aux coups de la témérité ;
Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur sang, et brave leur mémoire.
Un si vaillant guerrier qu'on vient de vous ravir
Éteint, s'il n'est vengé, l'ardeur de vous servir.
Enfin mon père est mort, j'en demande vengeance,
Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance.
Vous perdez en la mort d'un homme de son rang ;
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang.
Immolez, non à moi, mais à votre couronne,
Mais à votre grandeur mais à votre personne ;
Immolez, dis-je, sire, au bien de tout l'État
Tout ce qu'enorgueillit un si haut attentat.

8. Le 26 janvier 2015, 21:17 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))


Lecture analytique 4: Le Cid, Corneille, 1660, acte IV, scène 4 et 5.

SCENE IV
DON FERNAND,DON DIÉGUE,DON RODRIGUE,DON ARIAS, DON
ALONSE,DON SANCHE

DON ALONSE
Sire, Chimène vient vous demander justice.
DON FERNAND
La fâcheuse nouvelle, et l'importun devoir !
Va, je ne la veux pas obliger à te voir
Pour tous remerciements il faut que je te chasse :
Mais avant que sortir, viens, que ton roi t'embrasse.
Don Rodrigue rentre.
DON DIÉGUE
Chimène le poursuit, et voudrait le sauver.
DON FERNAND
On m'a dit qu'elle l'aime, et je vais l'éprouver
Montrez un œil plus triste.

SCENE V
DON FERNAND, DON DIÉGUE, DON ARIAS, DON SANCHE, DON
ALONSE, CHIMÉNE, ELVIRE.

DON FERNAND
            Enfin soyez contente,
Chimène, le succès répond à votre attente :
Si de nos ennemis Rodrigue a le dessus,
Il est mort à nos yeux des coups qu'il a reçus ;
Rendez grâces au ciel qui vous en a vengée.
À Don Diègue.
Voyez comme déjà sa couleur est changée.
DON DIEGUE
Mais voyez qu'elle pâme, et d'un amour parfait,
Dans cette pâmoison, sire, admirez l'effet.
Sa douleur a trahi les secrets de son âme,
Et ne vous permet plus de douter de sa flamme
CHIMENE
Quoi ! Rodrigue est donc mort ?
DON FERNAND
Non, non, il voit le jour
Et te conserve encore un immuable amour :
Calme cette douleur qui pour lui s'intéresse.
CHIMENE
Sire, on pâme de joie, ainsi que de tristesse :
Un excès de plaisirs nous rend tout languissants ;
Et quand il surprend l'âme, il accable les sens.
DON FERNAND
Tu veux qu'en ta faveur nous croyions l'impossible ?
Chimène, ta douleur a paru trop visible.
CHIMENE
Eh bien ! sire, ajoutez ce comble à mon malheur,
Nommez ma pâmoison l'effet de ma douleur :
Un juste déplaisir à ce point m'a réduite ;
Son trépas dérobait sa tête à ma poursuite ;
S'il meurt des coups reçus pour le bien du pays,
Ma vengeance est perdue et mes desseins trahis :
Une si belle fin m'est trop injurieuse.
Je demande sa mort, mais non pas glorieuse,
Non pas dans un éclat qui l'élève si haut,
Non pas au lit d'honneur mais sur un échafaud ;
Qu'il meure pour mon père, et non pour la patrie ;
Que son nom soit taché, sa mémoire flétrie.
Mourir pour le pays n'est pas un triste sort ;
C'est s'immortaliser par une belle mort.
J'aime donc sa victoire, et je le puis sans crime ;
Elle assure l'État, et me rend ma victime,
Mais noble, mais fameuse entre tous les guerriers,
Le chef, au lieu de fleurs, couronné de lauriers ;
Et pour dire en un mot ce que j'en considère,
Digne d'être immolée aux mânes de mon père...
Hélas ! à quel espoir me laissé-je emporter !
Rodrigue de ma part n'a rien à redouter ;
Que pourraient contre lui des larmes qu'on méprise ?
Pour lui tout votre empire est un lieu de franchise ;
Là, sous votre pouvoir, tout lui devient permis ;
Il triomphe de moi comme des ennemis,
Dans leur sang répandu la justice étouffée
Aux crimes du vainqueur sert d'un nouveau trophée ;
Nous en croissons la pompe, et le mépris des lois
Nous fait suivre son char au milieu de deux rois.
DON FERNAND
Ma fille, ces transports ont trop de violence.
Quand on rend la justice on met tout en balance :
On a tué ton père, il était l'agresseur ;
Et la même équité m'ordonne la douceur
Avant que d'accuser ce que j'en fais paraître,
Consulte bien ton coeur :Rodrigue en est le maître.
Et ta flamme en secret rend grâces à ton roi,
Dont la faveur conserve un tel amant pour toi.
CHIMENE
Pour moi ! mon ennemi ! l'objet de ma colère !
L'auteur de mes malheurs ! l'assassin de mon père !
De ma juste poursuite on fait si peu de cas
Qu'on me croit obliger en ne m'écoutant pas !

9. Le 26 janvier 2015, 21:18 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 3: Le Cid, Corneille, 1660, Acte III, scène 4.
DON RODRIGUE
Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?
Au nom d’un père mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.
 CHIMÈNE. - Va, je ne te hais point.
 DON RODRIGUE. - Tu le dois.
 CHIMÈNE. - Je ne puis.
 DON RODRIGUE
Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?
Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure,
Que ne publieront point l’envie et l’imposture !
Force-les au silence, et, sans plus discourir
Sauve ta renommée en me faisant mourir.
 CHIMÈNE
Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ;
Et je veux que la voix de la plus noire envie
Élève au ciel ma gloire et plaigne mes ennuis,
Sachant que je t’adore et que je te poursuis.
Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime.
Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ ;
Si l’on te voit sortir mon honneur court hasard
La seule occasion qu’aura la médisance,
C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence :
Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu.
 DON RODRIGUE. - Que je meure !
 CHIMÈNE. - Va-t’en.
 DON RODRIGUE
À quoi te résous-tu ?
 CHIMÈNE
Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère,
Je ferai mon possible à bien venger mon père ;
Mais, malgré la rigueur d’un si cruel devoir
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.
 DON RODRIGUE
Ô miracle d’amour !
 CHIMÈNE
Ô comble de misères !
 DON RODRIGUE
Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !
CHIMÈNE. - Rodrigue, qui l’eût cru ?
 DON RODRIGUE. - Chimène, qui l’eût dit ?
 CHIMÈNE
Que notre heur fût si proche, et sitôt se perdît ?
 DON RODRIGUE
Et que si près du port, contre toute apparence,
Un orage si prompt brisât notre espérance ?
 CHIMÈNE. - Ah ! mortelles douleurs !
 DON RODRIGUE. - Ah ! regrets superflus !
 CHIMÈNE
Va-t’en, encore un coup, je ne t’écoute plus.
 DON RODRIGUE
Adieu ; je vais traîner une mourante vie,
Tant que par ta poursuite elle me soit ravie.
 CHIMÈNE
Si j’en obtiens l’effet, je t’engage ma foi
De ne respirer pas un moment après toi.
Adieu ; sors, et surtout garde bien qu’on te voie.
 ELVIRE
Madame, quelques maux que le ciel nous envoie…
CHIMÈNE
Ne m’importune plus, laisse-moi soupirer
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.

10. Le 26 janvier 2015, 21:19 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

DOCUMENT COMPLEMENTAIRE CID

Document complémentaire à la lecture analytique 1 (scène d'exposition): Le Cid, Corneille, 1637.
SCENE 1. ELVIRE, LE COMTE.
ELVIRE.
Entre tous ses amants dont la jeune ferveur
Adore votre fille et brigue ma faveur,
Don Rodrigue et Don Sanche à l'envie font paraître
Le beau feu qu'en leurs coeurs ses beautés ont fait naître,
Ce n'est pas que Chimène écoute leurs soupirs,
Ou d'un regard propice anime leurs désirs,
Au contraire pour tous dedans l'indifférence
Elle n'ôte à pas un, ni donne l'espérance,
Et sans les voir d'un oeil trop sevère ou trop doux,
C'est de votre seul choix qu'elle attend un époux.
LE COMTE.
Elle est dans le devoir, tous deux sont dignes d'elle,
Tous deux formés d'un sang noble, vaillant, fidèle,
Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs yeux
L'éclatante vertu de leurs braves aïeux.
Don Rodrigue surtout n'a trait en son visage
Qui d'un homme de coeur ne soit la haute image     
Et sort d’une maison si féconde en guerriers,
Qu’ils y prennent naissance au milieu des lauriers.
La valeur de son père en son temps sans pareille,
Tant qu’a duré sa force, a passé pour merveille ;
Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,
Et nous disent encore ce qu’il fut autrefois.
Je me promets du fils ce que j’ai vu du père ;
Et ma fille, en un mot, peut l’aimer et me plaire.
Va l'en entretenir, mais dans cet entretien
Cache mon sentiment et découvre le sien,
Je veux qu'à mon retour nous en parlions ensemble
L'heure à présent m'appelle au conseil qui s'assemble,
Le roi doit à son fils choisir un gouverneur
Ou plutôt m'élever à ce haut rang d'honneur
Ce que pour lui mon bras chaque jour exécute
Me défend de penser qu'aucun me le dispute.

SCENE 2: CHIMENE, ELVIRE
Elvire, seule.
Quelle douce nouvelle à ces jeunes amants!
Et que tout se dispose à leurs contentements!
Chimène.
Et bien, Elvire, enfin, que faut-il que j'espère?
Que dois-je devenir, et que t'a dit mon père?
Elvire.
Deux mots dont tous vos sens doivent être charmés:
Il estime Rodrigue autant que vous l'aimez.
Chimène.
L'excès de ce bonheur me met en défiance,
Puis-je à de tels discours donner quelque croyance?
Elvire.
Il passe bien outre, il approuve ses feux,
Et vous doit commander de répondre à ses voeux.
Jugez après cela puisque tantôt son père
Au sortir du conseil doit proposer l'affaire,
S'il pouvait avoir lieu de mieux prendre son temps,
Et si tous vos désirs seront bientôt contents.
Chimène.
Il semble toutefois que mon ême troublée
Refuse cette joie et s'en trouve accablée
Un moment donne au sort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.
Elvire.
Vous verrez votre crainte heureusement déçue.
Chimène.
Allons, quoiqu'il en soit en attendre l'issue.

11. Le 28 janvier 2015, 15:57 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Lecture analytique 1. L'argumentation, la question de l'Homme.

Pensées (1670), Pascal

Extraits de « Grandeur », « Contrariétés », « Transition »

GRANDEUR.

  • 113 Roseau pensant. – Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends.

  • 114 La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.

CONTRARIETES.

  • 124 Contrariétés. L’homme est naturellement crédule, incrédule, timide, téméraire.

  • 130 S’il se vante je l’abaisse.

S’il s’abaisse je le vante.

Et le contredis toujours.

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible.

  • 131 […] Quelle chimère1 est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Jude de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque2 d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers. Qui démêlera cet embrouillement ?

TRANSITION.

  • 200 L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand3 l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne serions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale4.

  • 201 Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

1 être hybride, composite

2 endroit qui recueille les eaux sales

3 même si

4 code de conduite.

12. Le 28 janvier 2015, 15:58 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Objet d’étude : la question de l’Homme

Lecture analytique 2: Pascal, Pensées, fragment 199 « Disproportion de l’homme », 1670.

Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix1 du vaste tour que cet astre décrit et qu'ils'étonne2 de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate1 à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions, au‑delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute‑puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi‑même son juste prix. Qu'est‑ce qu'un homme dans l'infini ?

Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron3 lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là‑dedans un abîme nouveau. Je veux lui peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera4 que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui‑même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver.

Qui se considérera de la sorte, s'effraiera de soi‑même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption5. Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.

  1. en comparaison de.

  2. qu'il soit stupéfié (sens fort).

  3. animal minuscule, le plus petit visible à l’œil nu.

  4. ne s'étonnera.

  5. prétention, orgueil.

1

13. Le 04 mars 2015, 20:53 par Mme Baudry

Objet d’étude : la question de l’Homme.
Lecture analytique: Voltaire, Micromégas (1752)

Conversation de l'habitant de Sirius avec celui de Saturne
 
Après que Son Excellence se fut couchée, et que le secrétaire se fut approché de son visage : « Il faut avouer, dit Micromégas, que la nature est bien variée. – Oui, dit le Saturnien, la nature est comme un parterre dont les fleurs... – Ah ! dit l'autre, laissez là votre parterre. – Elle est, reprit le secrétaire, comme une assemblée de blondes et de brunes, dont les parures... – Eh ! Qu’ai-je à faire de vos brunes ? dit l’autre. – Elle est donc comme une galerie de peintures dont les traits... – Eh non ! dit le voyageur; encore une fois la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons ? – Pour vous plaire, répondit le secrétaire. – Je ne veux point qu'on me plaise, répondit le voyageur ; je veux qu'on m'instruise : commencez d'abord par me dire combien les hommes de votre globe ont de sens. – Nous en avons soixante et douze, dit l'académicien, et nous nous plaignons tous les jours du peu. Notre imagination va au-delà de nos besoins ; nous trouvons qu'avec nos soixante et douze sens, notre anneau , nos cinq lunes , nous sommes trop bornés ; et, malgré toute notre curiosité et le nombre assez grand de passions qui résultent de nos soixante et douze sens, nous avons tout le temps de nous ennuyer. – Je le crois bien, dit Micromégas; car dans notre globe nous avons près de mille sens, et il nous reste encore je ne sais quel désir vague, je ne sais quelle inquiétude, qui nous avertit sans cesse que nous sommes peu de chose, et qu'il y a des êtres beaucoup plus parfaits. J'ai un peu voyagé ; j'ai vu des mortels fort au-dessous de nous ; j'en ai vu de fort supérieurs ; mais je n'en ai vu aucuns qui n'aient plus de désirs que de vrais besoins, et plus de besoins que de satisfaction. J'arriverai peut-être un jour au pays où il ne manque rien ; mais jusqu'à présent personne ne m'a donné de nouvelles positives de ce pays-là.» Le Saturnien et le Sirien s'épuisèrent alors en conjectures ; mais, après beaucoup de raisonnements fort ingénieux et fort incertains, il en fallut revenir aux faits. «Combien de temps vivez-vous ? dit le Sirien. – Ah! bien peu, répliqua le petit homme de Saturne. – C'est tout comme chez nous, dit le Sirien  ; nous nous plaignons toujours du peu. Il faut que ce soit une loi universelle de la nature. – Hélas! Nous ne vivons, dit le Saturnien, que cinq cents grandes révolutions du soleil. (Cela revient à quinze mille ans ou environ, à compter à notre manière.) Vous voyez bien que c'est mourir presque au moment que l'on est né ; notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. À peine a-t-on commencé à s'instruire un peu que la mort arrive avant qu'on ait de l'expérience. Pour moi, je n'ose faire aucuns projets ; je me trouve comme une goutte d'eau dans un océan immense. Je suis honteux, surtout devant vous, de la figure ridicule que je fais dans ce monde.»

Chapitre 2 (extrait).

14. Le 04 mars 2015, 21:02 par Mme Baudry

lecture analytique 4 argumentation.
Écoute-moi. Depuis que j'ai senti la solitude de mon être, il me semble que je m'enfonce, chaque jour davantage, dans un souterrain sombre, dont je ne trouve pas les bords, dont je ne connais pas la fin, et qui n'a point de bout, peut-être ! J'y vais sans personne avec moi, sans personne autour de moi, sans personne de vivant faisant cette même route ténébreuse. Ce souterrain, c'est la vie. Parfois j'entends des bruits, des voix, des cris... je m'avance à tâtons vers ces rumeurs confuses. Mais je ne sais jamais au juste d'où elles partent ; je ne rencontre jamais personne, je ne trouve jamais une autre main dans ce noir qui m'entoure. Me comprends-tu ?

   Quelques hommes ont parfois deviné cette souffrance atroce.
   Musset s'est écrié :

Qui vient ? Qui m'appelle ? Personne.
Je suis seul. - C'est l'heure qui sonne.
O solitude ! - O pauvreté !

   Mais, chez lui, ce n'était là qu'un doute passager, et non pas une certitude définitive, comme chez moi. Il était poète ; il peuplait la vie de fantômes, de rêves. Il n'était jamais vraiment seul. - Moi, je suis seul !
   Gustave Flaubert, un des grands malheureux de ce monde, parce qu'il était un des grands lucides, n'écrivait-il pas à une amie cette phrase désespérante : "Nous sommes tous dans un désert. Personne ne comprend personne."
   Non, personne ne comprend personne, quoi qu'on pense, quoi qu'on dise, quoi qu'on tente. La terre sait-elle ce qui se passe dans ces étoiles que voilà, jetées comme une graine de feu à travers l'espace, si loin que nous apercevons seulement la clarté de quelques-unes, alors que l'innombrable armée des autres est perdue dans l'infini, si proches qu'elles forment peut-être un tout, comme les molécules d'un corps ?
   Eh bien, l'homme ne sait pas davantage ce qui se passe dans un autre homme. Nous sommes plus loin l'un de l'autre que ces astres, plus isolés surtout, parce que la pensée est insondable.
   Sais-tu quelque chose de plus affreux que ce constant frôlement des êtres que nous ne pouvons pénétrer ! Nous nous aimons les uns les autres comme si nous étions enchaînés, tout près, les bras tendus, sans parvenir à nous joindre. Un torturant besoin d'union nous travaille, mais tous nos efforts restent stériles, nos abandons inutiles, nos confidences infructueuses, nos étreintes impuissantes, nos caresses vaines. Quand nous voulons nous mêler, nos élans de l'un vers l'autre ne font que nous heurter l'un à l'autre.
   Je ne me sens jamais plus seul que lorsque je livre mon coeur à quelque ami, parce que je comprends mieux alors l'infranchissable obstacle. Il est là, cet homme ; je vois ses yeux clairs sur moi ; mais son âme, derrière eux, je ne la connais point. Il m'écoute. Que pense-t-il ? Oui, que pense-t-il ? Tu ne comprends pas ce tourment ? Il me hait peut-être ? ou me méprise ? ou se moque de moi ? Il réfléchit à ce que je dis, il me juge, il me raille, il me condamne, m'estime médiocre ou sot. Comment savoir ce qu'il pense ? Comment savoir s'il m'aime comme je l'aime ? et ce qui s'agite dans cette petite tête ronde ? Quel mystère que la pensée inconnue d'un être, la pensée cachée et libre, que nous ne pouvons ni connaître, ni conduire, ni dominer, ni vaincre !
   Et moi, j'ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du Moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne.
   Me comprends-tu, au moins, en ce moment, toi ? Non, tu me juges fou ! tu m'examines, tu te gardes de moi ! Tu te demandes : "Qu'est-ce qu'il a, ce soir ?" Mais si tu parviens à saisir un jour, à bien deviner mon horrible et subtile souffrance, viens-t'en me dire seulement : Je t'ai compris ! et tu me rendras heureux, une seconde, peut-être.
   extrait de Guy de Maupassant : Solitude. Texte publié dans Le Gaulois du 31 mars 1884, puis publié dans le recueil Monsieur Parent.
15. Le 30 avril 2015, 21:55 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Chanson

Sa grandeur éblouit l’histoire.

Quinze ans, il fut

Le dieu que traînait la victoire

Sur un affût1 ;

L’Europe sous sa loi guerrière

Se débattit. –

Toi, son singe, marche derrière,

Petit, petit.

Napoléon dans la bataille,

Grave et serein,

Guidait à travers la mitraille

L’aigle d’airain2.

Il entra sur le pont d’Arcole3,

Il en sortit. –

Voici de l’or, viens, pille et vole,

Petit, petit.

Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses.

Il les forçait,

Leste, et prenant les forteresses

Par le corset ;

Il triompha de cent bastilles

Qu’il investit. –

Voici pour toi, voici des filles,

Petit, petit.

Il passait les monts et les plaines,

Tenant en main

La palme, la foudre et les rênes

Du genre humain ;

Il était ivre de sa gloire

Qui retentit. –

Voici du sang, accours, viens boire,

Petit, petit.

Quand il tomba, lâchant le monde,

L’immense mer

Ouvrit à sa chute profonde

Le gouffre amer ;

Il y plongea, sinistre archange,

Et s’engloutit. –

Toi, tu te noieras dans la fange4,

Petit, petit.

Victor Hugo, Châtiments, 1853

1 support d’un canon

2 bronze. L’aigle est l’emblème de Napoléon.

3 La bataille d’Arcole, en 1796, s’acheva par une victoire de l’armée française menée par Napoléon Ier. Celui-ci se rendit célèbre par sa conduite héroïque lors de la prise du pont d’Arcole.

4 la boue.

16. Le 30 avril 2015, 21:55 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Fable ou Histoire.

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,

Un singe d’une peau de tigre se vêtit.

Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce.

Il avait endossé le droit d’être féroce.

Il se mit à grincer des dents, criant : je suis

Le vainqueur des halliers1, le roi sombre des nuits !

Il s’embusqua, brigand des bois, dans les épines ;

Il entassa l’horreur, le meurtre, les rapines2,

Egorgea les passants, dévasta la forêt,

Fit tout ce qu’avait fait la peau qui le couvrait.

Il vivait dans un antre, entouré de carnage,

Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.

Il s’écriait, poussant d’affreux rugissements :

Regardez, ma caverne est pleine d’ossements ;

Devant moi, tout recule et frémit, tout émigre,

Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !

Les bêtes l’admiraient, et fuyaient à grand pas.

Un belluaire3 vint, le saisit dans ses bras,

Déchira cette peau comme on déchire un linge.

Mit à nu ce vainqueur, et dit : tu n’es qu’un singe.

Victor Hugo, Châtiments, 1853.

1 Groupes de buissons serrés et touffus.

2 Pillages, vols

3 Gladiateur combattant les bêtes féroces

17. Le 30 avril 2015, 21:56 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Souvenir de la nuit du 4

V. Hugo raconte une scène vue lors des événements du coup d’Etat de 1851, quand, avec d’autres députés, il tentait d’organiser la résistance populaire dans Paris. Dans la nuit du 4 décembre 1851, sous ses yeux, un jeune enfant, le fils Boursier, est tué par les balles du « tyran ».

L’enfant avait reçu deux balles dans la tête.

Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;

On voyait un rameau bénit sur un portrait.

Une vieille grand-mère était là qui pleurait.

Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,

Pâle, s’ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;

Ses bras pendants semblaient demander des appuis.

Il avait dans sa poche une toupie en buis.

On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.

Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?

Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.

L’aïeule regarda déshabiller l’enfant,

Disant : - Comme il est blanc, approchez donc la lampe.

Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! –

Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.

La nuit était lugubre ; on entendait des coups

De fusil dans la rue où l’on en tuait d’autres.

- Il faut ensevelir l’enfant, dirent les nôtres

Et l’on prit un drap blanc dans l’armoire en noyer.

L’aïeule cependant l’approchait du foyer,

Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.

Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides

Ne se réchauffe plus aux foyers d’ici-bas !

Elle pencha la tête et lui tira ses bas,

Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.

« Est-ce que ce n’est pas une chose qui navre !

Cria-t-elle ; monsieur, il n’avait pas huit ans !

Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.

Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,

C’est lui qui l’écrivait. Est-ce qu’on va se mettre

A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !

On est donc des brigands ? Je vous demande un peu

Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !

Dire qu’ils m’ont tué ce pauvre petit être !

Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.

Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.

Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;

Cela n’aurait rien fait à monsieur Bonaparte

De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! »

Elle s’interrompit, les sanglots l’étouffant,

Puis elle dit, et tous pleuraient près de l’aïeule :

« Que vais-je devenir à présent toute seule ?

Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd’hui

Hélas ! je n’avais plus de sa mère que lui.

Pourquoi l’a-t-on tué ? Je veux qu’on me l’explique.

L’enfant n’a pas crié vive la République. »

Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,

Tremblant devant ce deuil qu’on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.

Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique,

Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;

Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets,

De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve1,

Ses chasses ; par la même occasion, il sauve

La famille, l’église et la société2

Il veut avoir Saint-Cloud3 plein de roses l’été

Où viendront l’adorer les préfets et les maires ;

C’est pour cela que les vieilles grand-mères,

De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,

Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Victor Hugo, Châtiments, 1853

1 lieu des rapports amoureux

2 reprise de fragments du discours de Napoléon III pour justifier le coup d’Etat : « la société est sauvée », « l’ordre est rétabli », « la famille est restaurée », «la religion est glorifiée », l’autorité est sacrée », « la stabilité est assurée » 

3 Le château de Saint-Cloud est la résidence préférée de Napoléon III.

18. Le 30 avril 2015, 21:57 par Muriel Tostivint (lycée Marie Laurencin, Mennecy (91))

Le bord de la mer.

HARMODIUS1

La nuit vient. Vénus brille.

L’EPEE.

Harmodius, c’est l’heure !

LA BORNE DU CHEMIN

Le tyran va passer.

HARMODIUS.

J’ai froid, rentrons.

UN TOMBEAU.

Demeure2.

HARMODIUS.

Qu’es-tu ?

LE TOMBEAU.

Je suis la tombe. – Exécute ou péris.

UN NAVIRE A L’HORIZON.

Je suis la tombe aussi, j’emporte les proscris3.

L’EPEE.

Attendons le tyran.

HARMODIUS.

J’ai froid. Quel vent !

LE VENT.

Je passe.

Mon bruit est une voix. Je sème dans l’espace

Les cris des exilés, de misère expirants,

Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents,

Meurent en regardant du côté de la Grèce4.

VOIX DANS L’AIR

Némésis5 ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !

L’EPEE

C’est l’heure. Profitons de l’ombre qui descend.

LA TERRE.

Je suis pleine de morts.

LA MER.

Je suis rouge de sang.

Les fleuves m‘ont porté des cadavres sans nombre.

LA TERRE.

Les morts saignent pendant qu’on adore son6 ombre.

A chaque pas qu’il fait sous le clair firmament,

Je les sens s’agiter en moi confusément.

UN FORCAT.

Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,

Hélas ! pour n’avoir pas chassé loin de ma porte

Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.

L’EPEE.

Ne frappe pas au cœur, tu ne trouverais rien.

LA LOI.

J’étais la loi, je suis un spectre. Il m’a tuée.

LA JUSTICE.

De moi, prêtresse, il fait une prostituée.

LES OISEAUX.

Il a retiré l’air des cieux, et nous fuyons.

LA LIBERTE.

Je m’enfuis avec eux – ô terre sans rayons,

Grèce, adieu !

UN VOLEUR.

Ce tyran, nous l’aimons. Car ce maître

Que respecte le juge et qu’admire le prêtre,

Qu’on accueille partout de cris encourageants,

Est plus pareil à nous qu’à vous, honnêtes gens.

LE SERMENT.

Dieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches !

La confiance est morte au fond des cœurs farouches.

Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !

Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez

L’honneur et la vertu, cette sombre chimère !

LA PATRIE.

Mon fils7, je suis aux fers ! Mon fils, je suis ta mère !

Je tends les bras vers toi au fond de ma prison.

HARMODIUS.

Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !

Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !

Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne

En présence de l’ombre et de l’immensité !

LA CONSIENCE

Tu peux tuer cet homme avec tranquillité.

Victor Hugo, Châtiments, 1853

1 Harmodius fut l’assassin d’un tyran athénien au VIème siècle avant JC. Exécuté aussitôt après son acte, Harmodius est resté dans la tradition comme un martyr de la liberté.

2 reste

3 bannis, exilés

4 Pays symbole de liberté.

5 Déesse de la vengeance dans la mythologue grecque

6 l’ombre du tyran

7 s’adresse à Harmodius