Etape 1 : La lecture de l'acte d'accusation

MAGISTRAT, se levant.- En ce jour du 8 janvier 1635, nous sommes réunis pour le procès de Médée. (la regardant) Les charges retenues contre vous sont les meurtres de Jason, Creuse, Créon, Pélie, vos deux enfants et votre frère. (il s'assoit) Quatre de ces meurtres sont considérés par les lois de ce monde comme prémédités. Vous savez ce que cela implique ! (montrant Médée du doigt) Vous avez utilisé vos pouvoirs à des fins personnelles pour votre propre vengeance. Mais cela reste à prouver. (changeant de feuille) D'un autre côté, trois homicides qui pourraient sembler involontaires plaideront en votre faveur. Mais cela reste à prouver... (se dirige vers Médée) Ainsi, reconnaissez-vous être coupable des chefs d'inculpation portés contre vous ? Ou alors estimez-vous être non coupable ? Vous considérez-vous comme bourreau ou bouc-émissaire ? La parole est donnée aux avocats pour tenter de répondre à ces questions.  

Etape 2 : L'interrogatoire de Médée par l'avocat de l'accusation

L'AVOCAT.- Médée, je n'irai pas par quatre chemins. Avez-vous tué Créon ? Si oui, de quelle manière ?

MEDEE.- Et bien non, je n'ai point tué. Il s'est donné la mort en se plantant un couteau dans le corps.

L'AVOCAT.- Pourquoi a-t-il fait cela, selon vous ? 

MEDEE.- Par amour pour sa fille, je suppose. Mais que voulez-vous que j'y fasse ?

L'AVOCAT.- Reconnaissez-vous alors être la cause du suicide de Jason ?

MEDEE.- Non pas du tout ! Mais je ne vous cache pas que je n'ai aucune peine pour lui. Après tout ce qu'il a fait, son suicide est une bonne chose, monsieur ! 

L'AVOCAT.- L'avez-vous aimé sincèrement ? 

MEDEE.- Bien évidemment ! Mais sachez que de l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas. 

L'AVOCAT.- Pourquoi agir avec une telle haine ? Jason vous a seulement quittée...

MEDEE.- On ne me quitte pas aussi facilement. J'ai consacré ma vie à cet homme et je pensais mériter autre chose que cet affront. 

L'AVOCAT.- Pouvez-vous me rappeler les circonstances de la mort de Créuse ? 

MEDEE.- Je crois qu'elle est morte brûlée...

L'AVOCAT.- Exactement ! Après avoir enfilé une robe que vous lui avez offerte ! Alors comment expliquez-vous ce geste ? 

MEDEE.- Et bien mes pouvoirs lui ont certainement joué des tours !

L'AVOCAT.- Pour être honnête, je pense que c'est vous qui avez ensorcelé la robe et ainsi vous avez prémédité son meurtre. Et en même temps, vous êtes la cause du suicide de Créon...

MEDEE.- Prouvez-le...! 

L'AVOCAT.- Où sont vos enfants ? 

Médée reste muette.

L'AVOCAT.- Ils sont morts ? 

Médée reste toujours muette.

L'AVOCAT.- Et bien votre silence en dit long ! 

MEDEE.- Ne parlez pas d'eux ! Je ne vous le permets pas ! Ils sont victimes de leur père, un point c'est tout ! 

L'AVOCAT.- Je constate qu'il y a eu beaucoup de morts dans votre entourage. Et ceci à cause de votre désir de vengeance. Ces personnes méritaient-elles un tel destin ? 

MEDEE.- Je n'ai tué personne, ce sont toutes des morts accidentelles... 

L'AVOCAT.- Bien sûr ! J'en ai fini avec mes questions. Mais je dois constater que vous faites preuve d'une intelligence redoutable... 

Etape 3 : L'interrogatoire de Médée par l'avocat de la défense

L'AVOCAT.- Médée, où étiez-vous le soir du meurtre de Pélie ? 

MEDEE.- En route pour Corinthe. 

L'AVOCAT.- Cela prouve donc bien que le filles ont tué leur père. Est-ce vous qui avez mis fin aux jours de Créon ?

MEDEE.- Il s'est suicidé de ses propres mains. La dague qui lui a transpercé le flan a été retrouvée sur les lieux du crime. 

L'AVOCAT.- Certes, mais vous auriez pu lui fournir la dague...

MEDEE.- Jamais elle ne m'a appartenue ! 

L'AVOCAT, rassurant sa cliente.- Je le sais bien ! Je vous le demande juste pour avoir votre version des faits. Qu'avez-vous éprouvé en tuant vos enfants ? Parce que cela vous ne pouvez pas le nier. 

MEDEE, en sanglots.- Je me suis sentie anéantie mais ces enfant auraient eu une vie misérable auprès d'un père infidèle qui oublie sa propre femme au profit de la politique et de l'argent et d'une mère détruite de l'intérieur par toutes ces personnes qui l'ont traînée dans la boue. Alors, j'ai trouvé que la mort était la meilleure issue. (s'énervant) Donc je ne peux que reconnaître ce meurtre qui me hante au quotidien mais je l'ai fait pour eux. Alors punissez-moi pour cela mais pas pour des crimes que je n'ai pas commis. 

L'AVOCAT.- Votre peine veut tout dire. Je vous remercie de votre sincérité. Je n'ai plus de question. 

Etape 4 : Nérine interrogée par l'avocat de la défense

L'AVOCAT.- Nérine, qui êtes-vous exactement pour Médée ? 

NERINE.- Je suis sa confidente. Je l'épaule et la conseille. A l'origine, je suis seulement sa nourrice. Mais quand Médée se sent mal, elle aime me parler. 

L'AVOCAT.- Vous qui connaissez donc bien Médée, comment la percevez-vous ?

NERINE.- Médée est une femme loyale. Certes, elle a un fort caractère mais elle reste humaine avec ses qualités et ses défauts. 

L'AVOCAT.- Pouvez-vous nous en dire plus ?

NERINE.- Médée est fragile. Elle a été blessée par Jason. Par amour pour lui, elle s'est sacrifiée en se mettant à dos sa famille et sa patrie ! Son amour pour Jason est passionnel. 

L'AVOCAT.- Médée a-t-elle d'autres soutiens que vous ? 

NERINE.- Non, à part Egée, personne ne l'apprécie vraiment. 

L'AVOCAT.- Mais pourquoi cela à votre avis ?

NERINE.- Jason l'a fait passer pour un monstre dans son entourage. 

L'AVOCAT.- Comme Médée se confie à vous, savez-vous pourquoi elle a commis tous ces crimes ?

NERINE.- A l'origine, Médée n'est ni cruelle ni meurtrière. C'est Jason qui l'a poussée à tuer. Comme elle était prête à aimer cet homme au point d'y laisser sa vie, ce dernier en a profité. Au moment où il risquait de se faire tuer par son oncle, il a joué sur les sentiments de Médée et fait tuer Pélie. Aux yeux de Médée, personne ne devait humilier celui qui a conquis la Toison d'Or. 

L'AVOCAT.- Comment se fait-il que Médée se soit autant attachée à Jason ?

NERINE.- Jason a été son premier véritable amour. Il a su jouer de son pouvoir de séduction. C'est pour cela que le principal fautif est cet homme. Il a manipulé Médée et s'est servi des pouvoirs de cette femme loyale, je le redis. Même si cette dernière a tué, elle a des circonstances atténuantes. En se suicidant, Jason n'a fait qu'avouer ses torts, son incapacité à regarder la vérité en face. 

L'AVOCAT.- C'est entendu ! Vous pouvez disposer.

Etape 5 : Pollux interrogée par l'avocat de l'accusation

L'AVOCAT, croisant les bras et fixant Pollux.- Quelle était votre relation avec Jason et Médée ?

POLLUX, neutre et froid.- J'avais une relation très amicale avec Jason, j'étais comme son confident, il me parlait de ses amours et moi je lui donnais des conseils. Médée, je ne la connais pas bien, si ce n'est de réputation. 

L'AVOCAT, curieux.- Pourriez-vous développer ? 

POLLUX, fronçant les sourcils.- J'ai entendu dire qu'elle était monstrueuse, particulièrement barbare, totalement hystérique, et exceptionnellement hautaine. Mes connaissances me disaient qu'il fallait se méfier d'elle et ils avaient bien raison. Je sais de source sûre qu'elle a pris la fuite après avoir tué Pélie. Elle est aussi détestée par son père, elle est d'une folie extrême, digne d'une manipulatrice. 

L'AVOCAT, hochant la tête, regardant les jurés.- Très bien, mais pouvez-vous me dire quelle relation Médée et Jason entretenaient. 

POLLUX.- Ils avaient une relation passionnelle, ils s'aimaient au point d'avoir des enfants. (baissant les yeux, soupirant) Tout allait bien jusqu'à ce que Jason quitte Médée. 

L'AVOCAT.- Donc vous avez entendu parler de leurs enfants, dites m'en plus je vous prie. 

POLLUX, hésitant puis décidé.- Je sais juste qu'elle les a tués en les manipulant, c'est tout ! 

L'AVOCAT, compatissant.- C'est affreux... Comment réagissez-vous face à tous les crimes de Médée ? 

POLLUX, écoeuré.- Pour être honnête, cela me dégoûte, c'est juste impensable pour moi de commettre de tels actes ! Personne ne devrait pouvoir infliger une telle torture à des enfants !

L'AVOCAT, s'approchant de Pollux.- Je sais bien, restez calme, je vous prie. Poursuivez, s'il vous plait. 

POLLUX, acquiesçant de la tête.- Elle a fait cela dans le seul but d'atteindre le coeur de Jason, pour lui ôter l'amour qu'il avait pour ses enfants. Quelle femme peut agir de la sorte ? Seul un monstre en serait capable. Médée n'est rien d'autre qu'un monstre ! 

L'AVOCAT.- Je suis totalement d'accord avec vous. Mais pensez-vous qu'elle est consciente de ce qu'elle inflige à ses victimes. 

POLLUX, se redressant, sûr de lui.- Bien sûr que oui ! Elle est bien consciente de ses actes. Elle commandite à la perfection et manipule ses victimes. Ses enfants et tous les autres étaient de pauvres innocents, elle le savait mais cela ne l'a pas empêchée de les tuer. 

L'AVOCAT.- Merci pour ce témoignage. 

Etape 6 : Le témoignage de Laurent Gaudé

LAURENT GAUDE, angoissé à l'idée de s'exprimer.- Si je suis ici face à vous aujourd'hui, c'est parce que je connais parfaitement Médée de réputation. Selon moi, Nérine et Pollux ne devraient pas proposer un avis aussi subjectif. Médée a deux visages, celui d'une mère et celui d'une marâtre. (plus confiant) Cette dernière est bel et bien amoureuse de ses enfants ! Elle sait se montrer protectrice, tendre, sincère, maternelle... Vous la verriez embrasser sa progéniture, lui donner toute son affection. L'un comme l'autre se blottit contre elle. Ils sentent une douce chaleur les réveiller. (puis parlant moins fort) Cependant Médée se comporte aussi comme une marâtre profitant de l'amour de ces petits être innocents et naifs. (parlant à nouveau plus fort) C'est un animal qui agit par pur instinct. C'est une vraie chienne qui n'a peur ni du couteau ni du sang. (reprenant son souffle) Cette femme, vous l'aurez compris, a deux visages. Elle est insaisissable (silence) et sera bien difficile à juger ! 

Etape 7 : Le témoignage de Jean Anouilh

JEAN ANOUILH, peu sûr de lui.- Médée ! Une femme trahie, blessée, violée ! Oui, trahie, elle a perdu toute sa force au point de perdre son identité; toute sa vie n'aura été qu'un dilemme, Médée se cherchant entre homme et femme. D'ailleurs, selon elle, la femme n'est qu'un objet, une chienne... (après un long silence) Derrière tout cela, il y a un responsable qui n'est autre que Jason. Ce lâche s'est en effet servi de Médée humainement, politiquement, affectivement... sans oublier sexuellement. Il a commencé à être intéressé par elle pour la Toison d'Or, il a poussé Médée à l'exil, aux meurtres et tout homme qu'il est, il n'en reste pas moins un chien. (en tapant du poing sur la barre) Ainsi, vous aurez tous entendu aujourd'hui que Médée est bel et bien un bouc émissaire. La considérer comme responsable serait criminel ! 

Etape 8 : Réquisitoire

L'AVOCAT DE L'ACCUSATION, en parlant au juge.- Votre honneur, Médée est coupable de crimes particulièrement graves. Ils ont été prémédités et commis par vengeance et haine ou plutôt amour... mais un amour passionnel. Médée a fait s'évader de prison Egée. Ce n'est qu'une évasion me direz-vous, mais non ! Egée souhaitait lui aussi se venger de Jason puisqu'il voulait la main de Creuse. (En regardant les jurés)  Ensuite, elle a tué Créuse, la future épouse de celui qui a conquis la Toison d'Or. Ce crime est d'autant plus détestable qu'elle a tué cette femme innocente dans d'atroces souffrances. Elle l'a tuée lâchement en lui offrant une robe empoissonnée. (En parlant à Médée) En commettant ce crime, vous tuez deux personnes à la fois : un père et sa fille. (En se tournant vers le juge) A cela, il faut ajouter qu'elle a tué son propre frère. Elle se défend en disant que c'était par amour pour Jason mais comment en être sûr ? N'est-ce pas par pur plaisir ? L'amour peut-il justifier de tels actes de cruauté ? (En marchant vers les jurés) Finissons par le pire des crimes, le plus cruel, le plus ignoble. Il a entraîné le suicide de Jason. (En regardant les jurés un par un) Elle a tué ses deux enfants de plein gré, cela ne fait maintenant plus aucun doute. Et pourquoi donc ? Uniquement pour faire souffrir Jason. Médée est capable d'une cruauté et barbarie ignobles. (En parlant au juge) C'est donc pour toutes ces raisons que Médée doit être condamnée : elle est dangereuse. Il en va de la sécurité et de la protection de tous ! 

Etape 9 : Plaidoirie

L'AVOCAT DE LA DEFENSE, se levant de son siège et d'une voix sûre.- Je reconnais que ma cliente a commis tous les crimes qui lui sont reprochés. Cependant chacun de ses actes est justifié. Certes, la femme que vous voyez là est immorale mais le vrai responsable est Jason. En trahissant son alliée et en la manipulant, il a fait naître en elle un sentiment de vengeance insatiable.Ma cliente entretenait une relation passionnelle avec Jason et tout le monde présent dans cette salle sait que la passion mène à la destruction. Dans le cas présent, cela a amené ma cliente à commettre des actes irréparables. L'adultère de Jason avec Créuse a entraîné la vengeance d'une femme blessée. Cela lui a fait perdre tout repère.  Et puis, elle n'a pas tué Créon, il s'est suicidé. Ma cliente est innocente et a même fait preuve de bonté en libérant un innocent de sa prison. Je parle bien sûr d'Egée. Ma cliente a été tuée lentement de l'intérieur par des paroles, des faits, des gestes... Elle a perdu l'instinct maternel à cause de Jason. Finalement, cette femme a un coeur. Elle s'est retrouvée subitement sans soutien, seule face à tous. Elle n'a eu pour seule alliée que Nérine, sa confidente. Le meurtre de ses enfants a été sa seule et unique façon de montrer sa souffrance. Jason lui-même a reconnu ses torts en se suicidant. Mesdames, messieurs les jurés, je vous demande lucidité et clémence face à une femme sensible, loin de l'image du  bourreau qu'on veut bien lui donner.  

Etape 10 : Verdict 

LA JUREE PRINCIPALE, se lève.- Les jurés se sont concertés après avoir pris en compte les témoignages de la défense et de l'accusation. Suite à une longue délibération, mes confrères et moi-même avons décidé de déclarer Médée coupable ! (gênée, elle se gratte la gorge) Nous exigeons la peine de mort pour punir cet affreux infanticide, ce meurtre passionnel et les bien trop nombreux assassinats d'innocents. (en regardant Médée droit dans les yeux) Vous serez brûlée vive à midi pile ce jour-ci ! 

(Médée s'échappe en un claquement de doigt, entourée d'une fumée rouge étouffante. Rideau.)