Pouvons-nous changer de vie ?

Seconde interview d’un immigré

 

 

 

 

Un jeune immigré clandestin accepte après négociation et hésitation de me rencontrer. Avec deux exigences cependant : l’interview doit se faire dans un lieu peu fréquenté et son nom ne doit pas être cité.

Témoignage touchant.

 

 

 D’où venez-vous et pourquoi avez-vous quitté votre pays ?

J’ai quitté la Somalie car ce pays est extrêmement pauvre. Ma femme, ma fille et moi n’arrivions plus à vivre : j’ai perdu mon travail il y a 2 ans et depuis je n’ai rien retrouvé.

 

Etes-vous partis seul ou avec de la famille, des proches ?

Je suis parti seul : ma femme est restée en Somalie avec ma petite fille. Nous n’avions pas assez d’argent pour venir tous les trois et nous n’étions pas certains de pouvoir vivre en France une fois arrivés.

 

Racontez-moi votre voyage.

J’ai fait du stop avec quelques bagages pendant plus de deux semaines. Heureusement la plupart des gens étaient compréhensifs et généreux : certains m’ont même donné un peu d’argent pour acheter à manger. Une fois arrivé près de la mer, je suis monté clandestinement sur un bateau de marchandises. J’ai dû payer les passeurs qui demandent beaucoup d’argent. Je suis resté quatre jours entiers à bord du bateau, qui a fait trois escales. D’autres hommes étaient avec moi mais nous n’avons pratiquement pas parlé. Nous n’avions rien à manger et très peu d’eau.
Je suis enfin arrivé à Marseille après environ trois semaines de voyage.

 

Quelle a été votre première impression de la France ?

J’ai été très dépaysé. Dans mon village de Somalie, il est impensable de construire des immeubles, de faire de vraies routes, de se promener à n’importe quelle heure, de sortir dans des bars ou dans des clubs. Tout ça n’existe pas ou est réservé aux riches. J’étais à la fois admiratif et craintif. Aujourd’hui encore, quatre mois après, il m’arrive d’être étonné des nouveautés technologiques par exemple.
 

Avez-vous essayé de demander des papiers français ?

Oui. J’ai essayé une seule fois mais j’ai été refusé car je n’ai pas de problèmes économiques ou familiaux assez importants aux yeux du gouvernement pour vivre en France. Depuis je n’ai pas retenté, de peur d’être connu des services de police.

 

Avez-vous rencontré des gens dans la même situation que vous ? Vous êtes-vous fait aidé par une association par exemple ?

J’ai rencontré des personnes immigrées dans la même situation que moi par le biais de l’association ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés). J’ai été très bien accueilli ; tous ont été charmants.

 

Comment vivez-vous ?

Je vis dans un squatt dans les quartiers HLM de Marseille, avec 21 autres immigrés illégaux.
Au début j’avais peur tout le temps : peur que la police débarque au squatt, peur en sortant dans la rue, peur en prenant le bus…  C’était presque insupportable. Maintenant, je vis à peu près sereinement même s’il m’arrive d’avoir des moments d’angoisse.

 

Avez-vous trouvé un travail « au noir » ? Si oui, comment votre patron vous traite-t-il ?

J’ai effectivement trouvé un travail au noir. Je suis à la plonge dans un restaurant du centre-ville ; j’aide également à faire les fermetures, à ranger… Mon patron est assez tolérant, il ne me pose pas trop de questions et ne se mêle pas de ma vie personnelle. Il me paye suffisamment pour me faire vivre et envoyer de l’argent à ma femme et ma fille.

 

Regrettez-vous votre choix ? Votre famille vous manque-t-elle ?

Je ne regrette pas mon choix car j’ai trouvé un travail et je peux donc nourrir ma famille. Mais ma femme, ma fille et mes proches me manquent vraiment. Je ne les ai pas vus depuis plusieurs mois et c’est très dur de vivre sans eux. J’ai souvent des baisses de moral et la communication coûtant assez chère, je ne peux même pas leur parler autant que je le voudrais.

 

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je vais économiser pour trouver un logement et pouvoir faire venir mon épouse et ma petite fille !

 

 

 

 

Propos recueillis par Kelly B (Mars 2011)