Voici plusieurs années que des mouvements militants alertent sur le "dépassement des ressources" de la planète, expliquant par ce biais que l'humanité vivrait désormais à crédit. Les alertes du 22 août 2020 (« jour du dépassement ») étonnent et n'échappent pas à la règle. Comme en écho à l’article de Tim Lenton paru en novembre 2019 dans la revue Nature, l’agitation du 22 août montrerait une nouvelle fois que l’irréparable est franchi. Preuve de l'ineptie du concept, un nouveau jour du dépassement a été annoncé le 28 juillet 2022. 

Le problème, au delà de la répétitivité qui interroge la pertinence du concept de « dépassement », est la base sur laquelle ces groupes très peu nombreux s'appuient pour calculer de manière "scientifique" la date de ce jour... qui tombe chaque année au mois d'août. Les données utilisées par l'ONG Global Footprint Network, relayé par le WWF, font abstraction des évolutions technologiques, des mutations de la consommation et de la découverte continuelle de nouvelles ressources, y compris celles du recyclage. Il est non prouvé que la Terre ait un capital fixe, qui nous obligerait à limiter ou interdire certaines activités au nom d’une préservation ou d’une protection d’une « nature » réifiée qui n’existe quasiment plus depuis des lustres. Les partisans d’une durabilité faible et beaucoup de scientifiques défendent eux une substituabilité du capital terrestre - après la force hydraulique des moulins a été remplacée progressivement par le charbon et les hydrocarbures, puis le nucléaire et les énergies dites « renouvelables ». Demain d’autres energies, s’appuyant sur d’autres ressources seront mises en oeuvre. Or, le cherry-picking des collapsologues tronque toute conclusion sérieuse car il balaye d’un revers de main les données contradictoires et surtout ignore la perspective historique. Le calcul du ratio entre la "biocapacité" et "l'empreinte écologique" (dernier critère toujours très très approximatif puisqu'un humain peut consommer 3 hectares ... mais 3 hectares de quoi ???) sur lequel se fondent leurs analyses, est donc très aléatoire. Par ailleurs, il est dommage que des journaux "sérieux" n'exercent pas davantage leur esprit critique car ces alertes reflètent non seulement une vision conservationniste de la planète (or la conservation peut faire plus de dégâts que la transformation) mais aussi une approche quasi darwinienne de l'humanité, rappelant le catastrophisme culpabilisateur de Ehrlich et de sa Bombe P, voire des épisodes plus cruelles d’éradication de populations non désirées – fort heureusement on en reste aux Ginks . Mais qui demain nous garantit la limite de la « démographie responsable » ? Un autre risque, plus grave peut-être, est celui de supprimer des libertés (circuler, voyager, chasser, pêcher, manger de la viande etc.), au nom de cette conservation et d'ériger l'humanité en ennemie de la biodiversité (l’homme est inscrit dans cette biodiversité d’ailleurs) et d’opposer à des Etats stigmatisés (et pauvres) nos modèles actualisés. Il se trouve que la plupart des politiques publiques ambitieuses qui vont justement dans le sens de la préservation relèvent en général des pays les plus riches (donc ceux émettant beaucoup de carbone). L’angle d’attaque en réalité est moins écologique qu’économique, social et même sociétal.  La question n’est pas de savoir si demain nous connaîtrons d’autres « jours de dépassement », mais de savoir comment changer de voie tout en continuant à exploiter des ressources qui permettent objectivement le progrès: l’humanité se porte mieux en 2020 qu’en 1900; vaccins et antibiotiques, et tant d’autres médicaments très précieux aujourd’hui sont aussi les produits d'une industrialisation séculaire. L’humanité n’a-t-elle pas pour caractéristique principale d’agir contre-nature  pour progresser ?