Les partis politiques s’échinent à se parer des vertus de la République dont ils ne comprennent pas toujours l’origine et le sens. De manière métaphorique, certains en vinrent même à parler « d’arc républicain », soit l’image d’une arme  (synonyme de défense, voire de combat) ou bien d’une demi-auréole (synonyme de sacre et de glorification) qui surplomberait le peuple français. C’est en faisant en détour par la Rome antique qu’on se propose ici de définir ce mot de République. Si ce dernier est opérationnel à d’autres moments que lors de son établissement, l’histoire peut ici aider à s’affranchir quelque peu des usages qu’en font les responsables politiques, dans les démocraties dites libérales comme dans les régimes autoritaires. 

République est issu de l’expression latine res publica qui ne renvoie pas à un type de régime politique, mais signifie plutôt chose publique, terme vague s’il en est, voire mystérieux. L’historienne Claudia Moatti associe le mot à l’idée de partage, de litige ; c’est en somme le produit d’une interaction entre les citoyens et les institutions. Mais attention à ne pas avoir qu’une approche institutionnelle (assez propre aux libéraux d’ailleurs) et finalement assez théorique. En effet, Rome, contrairement à l’image que l’on s’en fait pour la période républicaine, n’a pas véritablement instituer de droit public, et encore moins une constitution. Aucun texte n’a défini la République ; il faut donc s’en remettre à une forme d’empirisme pratique des Romains. Plus encore, la polysémie de l’expression est en effet liée à l’indétermination du mot res, la chose tandis que publica vient de publicus, parfois traduit par populus, populi, soit l’équivalent de peuple politisé, non le peuple dans son entièreté (comme pour le demos athénien d’ailleurs ou encore le peuple de Lincoln. Res publica désigne l’ensemble des affaires que les citoyens ont en commun, pas nécessairement un consensus. On souligne également que publicus dérive de pubes, puber, qui désigne le jeune en âge de porter les armes et donc, si l’on suit une démarche anthropologique, le jeune en âge de procréer. Plus compliqué encore :  Publicus désigne également les biens publics, la communauté politique, l’État, comme il peut signifier la république, la patrie, à l’égal du koinon grec. La res publica peut être également  associée à la masculinité, dans un espace public réservé aux hommes. Mais dans le même temps, un travers serait d’en avoir une lecture purement aristotélicienne (La Politique), une vison modélisante, insistant sur un contrat qui lierait éternellement ses membres, surestimant la force d’un consensus implicite fondé sur le partage des fonctions et sur l’échange neutre. 

Finalement on en déduit que la res publica est davantage définie comme un processus, une construction perpétuelle, et même un outil de socialisation. Au coeur de la res publica se trouve la libertas (définie comme limite imposée à l’exercice du pouvoir) jusqu’à la crise du IIe siècle av-JC. Un changement de sens s’opère alors. La res publica désigne alors la puissance publique et s’institutionnalise verticalement grâce à l’élaboration de normes et l’instauration d’institutions pérennes. Auguste prétend ainsi restaurer la res publica, or elle n’a plus grande chose à voir avec sa dimension première, mais devient pratiquement un régime peu à peu vidé de sa substance sociale. L’empire, soucieux de taire tout conflit (conflit pourtant consubstantiel à la res publica) qui suit ne s’y trompe pas, qui utilise toujours le terme res publica, tout en neutralisant sa dimension processuelle. Une évolution analogue aurait-elle également touché la démocratie athénienne ? 

Claudia Moatti, Res publica : Histoire romaine de la chose publique, Fayard, 2018.