Corpus 2

Corpus :

Texte A : Miguel de Cervantès, Don Quichotte de la Manche, première partie chapitre 1, 1615

Texte B : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Deuxième partie, chapitre 12, 1857.

Texte C : Emmanuel Carrère La classe de neige, chapitre 20, 1995

1ère ST2S – Contrôle – entraînement à la question de corpus.

Corpus :

Texte A : Miguel de Cervantès, Don Quichotte de la Manche, première partie chapitre 1, 1615

Texte B : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Deuxième partie, chapitre 12, 1857.

Texte C : Emmanuel Carrère La classe de neige, chapitre 20, 1995

 

Question de corpus : quelle(s) fonction(s) ces textes donnent-ils au rêve ?

 

Miguel de Cervantès, Don Quichotte de la Manche, première partie chapitre 1, 1615

[Dans Don Quichotte de la Manche, l’Espagnol Miguel de Cervantès invente un personnage qui se prend pour un héros de romans de romans de chevalerie écrits au Moyen Age. Voici le début de son aventure.]

Son imagination se remplit de tout ce qu’il avait lu dans les livres, enchantements, querelles[1], défis, batailles, blessures, galanteries[2], amours, tempêtes et extravagances[3] impossibles ; et il se fourra si bien dans la tête que tout ce magasin d’inventions rêvées était la vérité pure, qu’il n’y eut pour lui nulle autre histoire plus certaine dans le monde. […]

Finalement ayant perdu l’esprit[4] sans ressource[5], il vint à donner dans la plus étrange pensée dont jamais fou se fût avisé[6] dans le monde. Il lui parut convenable et nécessaire, aussi bien pour l’éclat de sa gloire que pour le service de son pays, de se faire chevalier errant[7], de s’en aller par le monde, avec son cheval et ses armes, chercher les aventures, et de pratiquer tout ce qu’il avait lu que pratiquaient les chevaliers errants, redressant toutes sortes de torts et s’exposant à tant de rencontres, à tant de périls[8], qu’il acquît, en les surmontant, une éternelle renommée[9].[…]

Ayant donné à son cheval un nom si à sa fantaisie[10], il voulut s’en donner un à lui-même, et cette pensée lui prit huit autres jours, au bout desquels il décida de s’appeler Don Quichotte. (…)

 

Texte B : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Deuxième partie, chapitre 12, 1857.

 

[Emma Bovary mène une existence qu’elle juge médiocre au côté de son mari, Charles Bovary. Elle a un amant, Rodolphe, et rêve de s’enfuir avec lui.]

 Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’ils’assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves.

 Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ilsne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir des mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfantse mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait les auventsde la pharmacie.

 

Texte C : Emmanuel Carrère La classe de neige, chapitre 20, 1995

 

Après la disparition du petit René, Nicolas tente de convaincre Hodkann de mener l’enquête avec lui.

- Tu l’as échappé belle si ça se trouve », murmura Hodkann. Nicolas le sentait captivé[11], jouissait du rôle nouveau qu’il tenait. Cela lui était venu d’un coup, il improvisait, mais déjà toute une histoire prenait corps devant lui, tout ce qui s’était passé les derniers jours trouvait une explication, à commencer par sa propre maladie. Il se rappela un livre où le détective faisait semblant d’être malade aussi, délirant[12], pour endormir la méfiance des malfaiteurs et les surveiller du coin de l’œil. C’était exactement ce qu’il faisait, lui, depuis deux jours. Dans le livre, l’assistant du détective, plein de ressources mais quand même moins intelligent que lui, poursuivait seul l’enquête, de son mieux, en croyant son maître sur la touche[13]. Pour finir, le maître jetait le masque, avouait la supercherie[14], et il se révélait qu’en restant dans son lit il avait beaucoup plus progressé vers la solution du mystère que l’assistant en multipliant filatures et interrogatoires. Grisé par son récit, Nicolas en venait à juger plausible cette répartition des rôles entre Hodkann et lui, et le plus étonnant, c’est que Hodkann aussi semblait l’accepter. Ils imaginaient tous les deux les trafiquants d’organes en train de guetter le chalet, cette énorme réserve de foies, de reins, d’yeux, de corps frais, attendant l’occasion qui ne venait pas et se rattrapant sur un enfant du village voisin, le petit René qui avait eu le malheur de passer seul dans les parages. Cela se tenait. Cela se tenait terriblement.

- « Mais, s’inquiéta soudain Hodkann, pourquoi est-ce qu’il ne faut rien en dire à personne ? Si c’est vrai, c’est très grave. Il faudrait prévenir la police. »

Nicolas le toisa[15]. Cette nuit, c’était Hodkann qui posait les questions de timide bon sens, et lui, Nicolas, qui le clouait avec des réponses sybillines[16].

- « Ils ne nous croiront pas, commença-t-il ; puis, baissant encore la voix : et s’ils ne nous croient pas, ce sera pire. Parce que les trafiquants d’organes ont des complices dans la police.

- Comment tu sais ça ? demanda Hodkann.

- C’est mon père, répondit avec autorité Nicolas. A cause de son métier, il connaît beaucoup de docteurs. » Et tandis qu’il parlait, oubliant que tout reposait sur un mensonge de sa part, une nouvelle idée lui venait : peut-être que l’absence de son père avait quelque chose à voir avec l’histoire.



[1] Querelles : disputes

[2] Galanteries : paroles flatteuses adressées à des femmes

[3] Extravagances : folies

[4] Perdre l’esprit : perdre la tête

[5] Sans ressources : sans espoir de retrouver la raison

[6] Jamais fou se fût avisé : personne n’est assez fou pour avoir cette pensée.

[7] Chevalier errant : chevalier qui parcourt le monde pour protéger les faibles et punir les méchants.

[8] Périls : dangers

[9] Renommée : gloire

[10] Si à sa fantaisie : si étrange( il vient de nommer son cheval Rossinante, nom qui vient de rosse, mauvais cheval. )

[11] Captivé : très intéressé.

[12] Délirant : sous l’effet d’une forte fièvre un malade peut se mettre à délirer.

[13] Sur la touche : hors d’état de mener l’enquête.

[14] Supercherie : tromperie

[15] Le toisa : le regarda de haut.

[16] Sybillines : mystérieuses.