Antigone, deuxième lecture analytique
Par prof le 06 février 2016, 19:11 - Lectures analytiques d'Antigone - Lien permanent
Créon, roi de Thèbes, va devoir mettre à mort sa nièce Antigone parce qu'elle veut enfreindre la loi en enterrant son frère Polynice, traître à l'État. Créon, après avoir tenté de la dissuader, lui justifie sa décision par les contraintes du métier de roi.
CRÉON,sourdement. - Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu t'obstines. Et je ne le voudrais pas.
ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez pas voulu ?
CRÉON - Je te lai dit.
ANTIGONE - Et vous lavez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c'est cela, être roi !
CRÉON - Oui, c'est cela !
ANTIGONE - Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine.
CRÉON - Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes. Mon fils t'aime. Ne m'oblige pas à payer avec toi encore. J'ai assez payé.
ANTIGONE - Non. Vous avez dit « oui ». Vous ne vous
arrêterez jamais de payer maintenant !
CRÉON,la secoue soudain, hors de lui. -Mais, bon Dieu ! Essaie de
comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te
comprendre, moi. Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut
pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes parts,
c'est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui
ballotte. L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale
et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau
confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour tirer
au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles
vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce
quelles ne pensent qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites
affaires. Crois-tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il
faut dire « oui » ou « non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher
un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois,
on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le
tas, sur le premier qui s'avance. Dans le tas ! Cela n'a pas de nom. C'est
comme la vague qui vient de s'abattre sur le pont devant vous; le vent qui vous
gifle, et la chose qui tombe devant le groupe n'a pas de nom. C'était peut-être
celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille. Il n'a plus de nom. Et
toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. Il n'y a plus que le
bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?