Voci le conte de Camille, qui a gagné le prix Hatier, alors qu'elle était en 5ème. Je l'ai relu au 6ème5 cette année. "Mais les pièces d'or sont méchantes!".

Des pièces qui chantent un doux refrain hypnotique :

« Gling Gling Gling font les jolies pièces d’or.

Gling Gling Gling, avec nous vous trouverez le bonheur de la consommation.

Bling Bling Bling bientôt vous aimerez à jamais,

Bling Bling Bling, ce monde, ce paradis, n’ayez pas peur ».

Bonne lecture.

Une famille pas comme les autres

 

Il était une fois une famille qui vivait au fond d’une forêt dans une masure, une petite cabane, car ils étaient très pauvres. Construite de bois et de feuillages, elle ne comprenait qu’une seule et unique pièce dans laquelle un grand tronc d’arbre servait de siège, une petite cheminée improvisée aidait à la préparation des repas et réchauffait les pieds et les mains glacées. Les quatre habitants dormaient à même le sol, sur des paillasses.

 

Le père Jean était bucheron. Grand et fort, il était bâti comme Hercule, mais son cœur était généreux et tendre, il avait construit sa maison à l’aide des sa femme Annie qu’il admirait pour sa beauté, son courage et son caractère enjoué. Elle subvenait aux besoins de sa petite famille : son potager était sa fierté et ses petits doigts de fée réalisaient les vêtements de leurs deux enfants qu’ils aimaient tendrement : Nani, 12 ans et Marc, 11 ans.

 

Nani avait un visage ovale, les yeux bleus éclatants et rieurs, elle portait de longs cheveux blonds foncés ondulés. Elle était toujours jolie même quand elle avait des épluchures de carottes dans les cheveux. Marc quant à lui avait un visage rond, des cheveux noirs et des yeux marron. Il était tout le portrait de son père comme Nani était le portrait craché de sa mère. Les enfants accompagnaient leurs parents dans leurs activités quotidiennes, toujours dans la bonne humeur.

 

Par une matinée ventée, nos compagnons se réchauffaient au coin du feu. Un magazine virevolta pour tomber dans les braises. Marc se précipita pour le ramasser. C’était un magazine de cadeaux de Noël. Il le feuilleta avec Nani. De beaux jouets recouvraient les pages. Des consoles, des ordinateurs, des portables, des Ipod, des télés, des radios… C’était sans compter les chiffres qui les accompagnaient. Ils variaient de 50, 100, à 200 euros. Quel bonheur ce serait de tous les posséder ! Ils en rêvèrent longtemps, mais finirent par se répéter :

« Nous sommes pauvres, les autres enfants de la ville pensent être heureux avec leurs jeux électroniques, mais nous, nous détenons un vrai trésor : l’amour qui réchauffe le cœur et la nature qui ravit nos yeux. Nos possessions sont le rire, la joie, les ruisseaux, les oiseaux, la pluie et le soleil ».

 

Par une matinée ensoleillée, la famille décida alors d’aller dans la forêt ramasser du bois près de la rivière. Une fois arrivés sur place, tous s’affairèrent. La sueur dégoulinait à grosses gouttes sur leurs visages. Les haches et les scies donnaient un tempo soutenu et anesthésiaient toute pensée. Les enfants éreintés allèrent se rafraîchir dans la rivière. Ils s’éclaboussèrent gaiement laissant leurs éclats de rire faire s’envoler quelques oiseaux surpris. Soudainement un cri retentit. Marc venait de pousser un peu plus brutalement sa sœur qui s’affaissa sur un lit de mousses spongieuses. Toute trempée et hissée à nouveau sur ses deux jambes, elle désigna de sa main droite une lueur dorée qui recouvrait le fond marécageux. Marc plongea ses bras et remua quelques mousses : sept grosses pièces d’or apparurent au creux de sa main…

 

Un chant retentit de nulle part :

 

« Gling Gling Gling font les jolies pièces d’or.

Gling Gling Gling nous avons le pouvoir de vous rendre plus heureux que vous ne l’êtes.

Gling Gling Gling avec nous vous pourrez vous offrir ce que jamais vous n’avez espéré posséder… »

 

Le chant semblait provenir des pièces qui étincelèrent un court instant comme des yeux de chat avant de reprendre leur aspect normal.

 

Les enfants allèrent rejoindre leurs parents et leur montrèrent leur butin. Jean et Annie étaient tellement étonnés qu’ils en restèrent bouche bée, figés comme des statues. Toute la famille retourna à la maison. Le père fut le premier à prendre la parole : « Bon, je suis le chef de famille. C’est donc moi qui garde les pièces ».

 

Les révoltes ne tardèrent pas à se faire entendre :

 

-C’est moi qui les ai trouvées !

-C’est moi qui ai plongé pour les ramasser !

-C’est moi qui fais toutes les corvées !

-Bon, silence ! S’écria Annie de toutes ses forces, surprise par le comportement inhabituel de ses enfants.

-Oui, dit sagement Marc, reprenons notre calme.

-Nous allons mettre l’argent en commun et nous mettre d’accord sur ce que nous voulons acheter, déclara Annie.

-Oui, il nous faudrait la télévision et des ordinateurs ! S’enflamma le petit garçon.

-On a sûrement les moyens de tout acheter. Allons en ville.

-C’est bien d’être riches ! Je te parie que personne n’est aussi riche que nous, avoua avec fierté Jean à sa femme.

 

La famille fut surprise en arrivant dans la grande ville. Des gens pressés couraient dans les rues une cigarette à la bouche, personne ne se parlait, seules quelques épaules ou sacs se heurtaient. De vrais automates sans âme. Leurs oreilles étaient pour la plupart reliées à de drôles d’engins qui les faisaient articuler des mots étranges, venus d’ailleurs. Leurs doigts crochus pressaient d’autres engins qui faisaient vibrer tout leur corps de secousses nerveuses. Les mamans traînaient derrière elles des enfants qui jouaient sur d’étranges consoles portatives. Les gens étaient obèses, ils mangeaient sans cesse des sandwiches saturés de graisse et la bouche pleine de bonbons.

 

Des immeubles bouchaient la vue et faisaient de l’ombre partout. Les routes étaient pleines de voitures qui dégageaient une odeur infecte. Les rues étaient sales.

 

C’était comme si tout être vivant n’était devenu que robot. Les bûcherons, sortis de leur paisible forêt, n’en croyaient pas leurs yeux. Leurs bras se cherchèrent et s’enchevêtrèrent pour ne former qu’une muraille prête à se défendre de toutes ces agressions.

 

C’est alors que les pièces dissimulées au fond d’une des poches du pantalon de Jean recommencèrent à chanter, avec un deuxième couplet :

 

« Gling Gling Gling font les jolies pièces d’or.

Gling Gling Gling, avec nous vous trouverez le bonheur de la consommation.

Bling Bling Bling bientôt vous aimerez à jamais,

Bling Bling Bling, ce monde, ce paradis, n’ayez pas peur ».

 

Ils entrèrent dans un magasin, un autre, encore un autre et ils achetèrent, achetèrent, achetèrent, n’ayant plus de bras pour tout porter, n’ayant plus la force de tout amasser. Même le père bûcheron qui était pourtant si fort qu’il tirait à lui seul dans la forêt un chêne de plusieurs tonnes, n’avait plus assez de force.

 

Ils se retrouvèrent sur le trottoir, harassés, fatigués, bousculés par la foule. Ils se regardèrent.

 

-Qu’allons-nous faire des consoles, des ordinateurs, des portables, des Ipod, des télés, des radios, des habits, des chaussures, des chaises, des fauteuils, des lits ?

 

Et les pièces continuèrent à chanter :

 

« C’est le monde de bling bling.

Commencez, jamais vous ne pourrez

Jamais, jamais, vous arrêter.

Bling, bling.

Soyez shopping et vous serez heureux ».

 

La petite famille se regarda, ils sentirent une grande nostalgie monter en eux, ils laissèrent tout sur le trottoir : les consoles, les ordinateurs, les portables, les Ipod, les télés, les écrans plasma, les écrans plats, les radios, les bureaux, les fauteuils, les lits, les bijoux, les baskets, les Adidas, les Nike, les Hello Kitty et retournèrent dans leur cabane au fond de la forêt, sentant la douce odeur naturelle des sapins recouverts de neige.

 

Camille Chol.