Texte d'Adèle L.

Le sombre reflet du château avançait sur l’eau au fur et à mesure que le soleil se couchait. La barque sur laquelle nous étions installés depuis quelques heures se laissait porter par l’étang noir. Ce petit lac, il y a quelques instants, encore  plein de vie, était soudainement devenu lugubre. Mon cœur se glaça à la vue de l’imposante bâtisse, qui était devenu plus sombre que les eaux ténébreuses de l’étang. Le bruissement délicat des feuilles des arbres contrastait avec le décor, le rendant encore plus sinistre.

La barque venait d’atteindre la rive, le château était encore plus sombre et impressionnant que sur l’eau. Il se mit à pleuvoir. Trempés jusqu’aux os, nous nous mîmes à courir en direction du  perron. Après avoir furtivement toqué, nous rentrâmes dans le grand hall.

Nous fîmes une courte visite de ce lieu qui nous était inconnu, et qui semblait désert, lorsque nous vîmes une petite fille assise au pied du grand escalier. J’eus un mouvement de recul, surprise par sa présence. Elle avait l’air d’avoir six ans et semblait se sentir chez elle. Je m’avançai vers elle furtivement. Ses longs cheveux de jade touchaient le sol poussiéreux.

« Bonjour, dis-je, désolée de te déranger. Nous n’allons pas rester longtemps, juste le temp que l’averse se calme.  

Elle ne répondit que d’un simple regard.

- Tu es seule ? demanda mon mari, que cette présence singulière commençait à inquiéter  

- Oui, répondit-elle d’une voix sombre, vous devrez rester cette nuit, l’averse ne se terminera pas ce soir. »

Je fus surprise par sa voix qui résonnait dans le hall comme celle d’un oracle ou d’une prêtresse d’Isis.

- Merci, répondis-je, nous vous en sommes reconnaissants.  

Elle me fit un sourire énigmatique que je ne sus déchiffrer.

-  Venez, dit-elle, je vais vous montrer votre chambre ! »

Nous nous dirigeâmes vers de grands escaliers en bois qui se mirent à grincer sous nos pas.

« Tu habites seule ici ? demandai-je, intriguée de ne pas voir venir ses parents.

- Oui, répondit-elle, je vis seule, ici, depuis deux ans, elle s’interrompit. Son visage s’assombrit… depuis que mes parents sont morts  « 

L’innocence qu’elle mit dans sa réponse me fit frémir. Je m’avançai timidement vers elle et lui demandai :

- Comment sont-ils morts ?

- Il y a deux ans jours pour jour, ils sont allés faire un tour en barque sur l’étang et ne sont jamais revenus. » 

Je frémis en m’imaginant la scène, le lac sombre et vaseux, d’une profondeur d’onyx.

 

Une fois installés dans la chambre toute aussi sombre que le reste du château, mon mari me dit

- Tu ne trouves pas que cette histoire est bizarre ? Que ce lieu est étrange ?

- Nous n’allons rester qu’une nuit ici, alors aucune raison de s’inquiéter.  

Il allait me contredire lorsque quelqu’un toqua à la porte d’un coup sec. Je sursautai.

Une petite tête passa dans l’embrassure de la porte, les cheveux de jade tombèrent en cascades vertes.

- Le repas est près, dit-elle pleine de joie !

- Oh, merci, il ne fallait pas, dit mon mari reconnaissant car nous n’avions pas mangé depuis l’aube.

- De rien, c’est normal, et puis il n’y a jamais personne pour manger avec moi. « 

Sur la table, nous attendait un repas, qui fut délicieux.

Elle ouvrit la conversation :

- Avez-vous un secret ? demanda-t-elle avec un sourire enjôleur.

- Un secret ne se révèle pas, répondit mon mari en souriant, et toi en as-tu un ? «

Elle prit un air sombre et dit :

- Vous le découvrirez sans doute bien assez vite.

Ses dernières paroles restèrent ancrées dans nos esprits alors que nous montions les longs escaliers. Nous allions nous coucher lorsque je vis une trappe située juste au-dessus du lit. Mon mari l’ouvrit, et un grand courant d’air froid et une sombre odeur se propagèrent dans la chambre.

Pas vraiment sûre de ce que je m’apprêtais à faire, je gravis les quelques marches et arrivais dans une salle entièrement noire. J’allumai la lumière et fus horrifiée du spectacle qui s’offrait à moi. Des dizaines de corps étaient éparpillés sur le sol.

Je descendis rapidement et alors que j’allais prévenir mon mari, la porte s’ouvrit pour laisser place à une petite fille à la chevelure d’un bleu si intense que l’on aurait dit une sirène sortie des fonds marins. Son regard était sombre, sa robe blanche déchirée et dans sa main droite se trouvait un couteau aiguisé tandis que l’autre main, en lévitation, d’une force surhumaine, nous propulsa contre le mur.

- Vous avez découvert mon secret, dit-elle en se rapprochant dangereusement de nous, vous auriez dû rester à votre place. Ne pas être si curieux.

Elle jeta un furtif regard vers la trappe, puis ajouta d’une voix sans émotion :

- Vous allez finir comme eux

Seuls nos cris de terreur résonnèrent un moment dans toute la maison, puis le silence engloutit toute la bâtisse.