Voici le premier texte achevé. Merci Camille, pour ce beau texte sur Etretat qui nous fait pénétrer dans un monde fantastique de revenants et où la mer devient un personnage à part entière. C'est le moment aussi de redécouvrir cette oeuvre de courbet

 

D’après « les falaises d’Etretat après l’orage » de Gustave Courbet

 

         Il fait nuit. Les gouttes de pluie s’écoulent rapidement sur ma vitre. Le ciel est zébré par les éclairs et, dans le lointain, je peux entendre le bruit sourd du tonnerre que m’apporte le vent avec sa plainte longue et déchirante. Exactement comme celle de cette étrange nuit. Oui, comme celle de cette nuit qui remonte pourtant à plus de dix ans; mais que je n’ai pourtant jamais oublié.

         C’était il y a bien des années. Je fus invité à passer mes vacances chez un ami, Morgan Le Naf. Il habitait en Normandie, dans le petit village d’Etretat, à environ une dizaine de minutes à pied des falaises du même nom.

         Le lendemain soir après mon arrivée, je ne pus résister à l’envie d’aller voir le couché de soleil sur la mer depuis la falaise ; mes amis Jean-François Millet, Edouard Manet et Jean-Baptiste Corot me l’avaient tellement vanté. Je partis donc vers vingt et une heures. J’étais presque arrivé lorsque tout s’obscurcit. Le vent se mit brusquement à souffler et la pluie à tomber. A défaut du couché de soleil, il me restera la tempête : spectacle du déchainement des éléments et en tout cas bien plus propice à mon âme tourmentée.

         J’admirais donc la mer bouillonnante, écumante avec ses hautes lames allant se briser contre les parois de la falaise giclant leur écume. Le vent me fouettait le visage et m’amenait des embruns qui pénétraient ma peau. Soudain, il changea de direction et m’apporta le bruit d’une cloche dans le lointain. J’entendis également le cri d’une mouette qui volait en décrivant des courbes dans le ciel au-dessus de la falaise. Au même instant, comme par magie, la mer se calma, la pluie cessa et le vent faiblit. Tout était devenu extrêmement paisible, il n’y avait plus que quelques vaguelettes hautes comme le doigt roulant à peine et on n’entendait plus que le léger bruit du ressac ainsi que celui du vent mais dans ce souffle il y avait une plainte longue et déchirante.

         Pendant que je me faisais ces réflexions, une jeune femme était arrivée sur la falaise mais je ne pouvais expliquer cette soudaine apparition. Sans doute était-elle arrivée par cette étrange porte cachée dans la falaise que je ne verrais que lendemain quand je reviendrais –elle avait dû s’y réfugier pendant l’orage-. Elle était très belle : grande et altière, de longs cheveux sombres lui tombaient dans le dos, ils contrastaient étrangement avec sa peau diaphane, aussi blanche que la craie dont était composée la falaise, et ses grands yeux bleu turquoise comme la mer - Je ne sais pas comment j’ai pu voir ces détails d’aussi loi, mais elle me semblait si proche et… ils me reviennent avec la même intensité encore aujourd’hui alors que cela fait plus de dix ans-. Par contre, sa robe, quoi que lui allant parfaitement bien était étrange ; elle avait des manches ballons et était resserrée sous la poitrine comme ces robes empires que portaient les femmes au début du siècle.

         Elle continua à s’approcher, descendit sur la grève jusqu’à une barque amarrée là, se pencha par-dessus comme pour chercher quelque chose, se releva -n’ayant visiblement pas trouvé- et scruta l’horizon pendant que le vent continuait son étrange mélodie : «Hou, hou es-tu ? ». Au loin on ne distinguait que les derniers nuages d’orage qui s’éloignaient. Elle reprit sa recherche, alla jusqu’à l’entrée du labyrinthe de grottes dans la falaise, s’y engouffra et réapparut quelques instants plus tard dans une ouverture au dessus de « la dent », cette étrange ouverture de la roche au dessus de l’eau, si spectaculaire. Elle scrutait toujours la mer. Et on entendait toujours cette plainte qui semblait provenir du vent et qui l’accompagnait dans chacun des ses gestes.

         Après un moment, j’entendis de nouveau le cri d’une mouette et le son d’une cloche au même instant. Mais quelle heure était-il donc ? Minuit ? Impossible. J’avais quitté la maison de mon ami à vingt et une heures ! Et il ne faisait pas encore nuit. Pourtant j’entendais distinctement les douze coups de minuit une seconde fois. La femme venait de disparaitre. J’attendis qu’elle ressorte, mais après un moment je perdis espoir et commençai à me demander si je l’avais vraiment vue ou juste imaginée dans les vapeurs chaudes de la mer après l’orage. Pour me rassurer et me persuader que j’avais rêvé, je balayai la lande du regard comme pour m’assurer de l’absence totale de vie.

Un homme était derrière moi;très grand, vêtu d’un grand imperméable jaune et de longs cheveux flottant au vent, il ressemblait à un pêcheur.

         Il me fixa un moment, sourit et finit par me dire :

-Elle est très belle cette femme, n’est-ce pas ?

-Oui, finis-je par bégayer. Et qui êtes vous ? Et la femme ?

-Je suis le garde côte, quand à elle, elle vient chaque soir qui suit une tempête. Elle s’appelait Aurore et était la fille de M.Leconidec, le père de l’ancien tailleur du village. Elle avait choisi pour amant un certain Loïc, un très beau garçon mais surtout un pêcheur -c’est de là que vient son malheur-. Un jour, qu’il était en mer, une tempête se déclara et on ne le revit plus. Quand elle se calma, Aurore marcha jusqu’à la falaise, descendit sur la grève, scruta l’horizon, entra dans les grottes, et continua à scruter désespérément la mer depuis l’ouverture qui surplombe « la dent ». Quand elle perdit tout espoir elle se laissa choir dans les remous de la mer gonflées d’écume qui lui avait pris son amant.

         Depuis, après chaque tempête, son fantôme revient hanter ces lieux dans l’espoir de retrouver son amant. Elle apparaît, à onze heures, accompagnée du cri d’une mouette et de la cloche de l’église, refait toujours le même chemin et disparaît avec le deuxième cri de mouette, au moment où sonne minuit.

         Malgré tout les détails de cette explication et l’apparente réalité de mon interlocuteur, je ne pouvais m’empêcher de penser que je rêvais, plus rien ne concordait : la tempête, le calme soudain, ce fantôme, les heures qui sonnaient… Aussi comme cela arrive souvent dans les rêves je fus pris de panique et partis en courant. Tandis que je poursuivais ma course effrénée sur la lande, le clocher sonna une heure. J’avais donc été absent plus quatre heures. Le pauvre Morgan devait s’inquiéter. Et en effet, il me guettait. Il fut soulagé de me voir et me demanda ce qui m’était arrivé. Mais ne voulant pas passer pour un fou, je ne répondis pas. Le lendemain, il me reposa la question, mais je restai obstinément muet sur cette nuit. Il n’insista plus.

          Le reste de mes vacances à Etretat se passa sans autres évènements étranges et une semaine plus tard, je fus de retour à Paris où, j’enfouis cet étrange souvenir au fond de ma mémoire jusqu’à aujourd’hui. La tempête, qui fait rage dehors, me f