Rencontre avec Philippe FAUCON à la Quinzaine des Réalisateurs pour "Fatima"

 

Ryan Haouaouchi     :    Bonjour

Philippe FAUCON     :    Bonjour

Ryan Haouaouchi     :    Je voulais tout d’abord vous dire que j’ai beaucoup aimé votre film ‘FATIMA’, comme la plupart de vos films.

Philippe FAUCON     :    Merci ...

Ryan Haouaouchi     :    'FATIMA' traite d’un sujet qu’on ne voit pas au cinéma. C’est un peu innovant dans ce domaine…. Ma question est la suivante, est-ce que cela a été évident pour vous de faire un scénario de ‘FATIMA’ à partir du recueil de poèmes de Fatima Elayoubi ?

Philippe FAUCON     :    Alors, non… Ce n’était pas évident  immédiatement. Parce que, justement les poèmes c’est de l’écrit, c’est des mots. Ca racontait des choses intimes, importantes, fortes, mais ce n’est pas forcement des situations de cinéma et ces choses-là, quand je les ai lues, je me suis dit, qu’elle racontait des choses importantes, que ce serait intéressant de les faire connaître, de faire connaître ces vécus, ces réalités, mais il fallait trouver pour raconter ce parcours, le parcours de cette femme. Pour le raconter au cinéma, il fallait trouver d’autres formes, c'est à dire des situations de vie dans ses relations avec ses filles, nées en France, qui parlent une langue qu’elle-même ne maitrise pas très bien ; qui ont des codes, qu’elle-même ne comprend pas toujours. J'ai beaucoup travaillé avec Fatima dans des rencontres où moi j’essayais de lui expliquer ce que je trouvais d’important dans ce qu’elle avait écrit, mais j’essayais de lui faire comprendre comment au cinéma trouver les moyens de les raconter et en effet ce sont des choses qu’elle comprenait très bien. Qu’elle a compris d’une façon très forte elle aussi.
Elle est venue à l’écriture car c’est sa culture, elle a lu beaucoup de poèmes en arabe, elle s’est exprimée plutôt de cette façon. Ce n’est pas une génération qui est celle de l’image, qui a eu accès aux films dans le petit village d’où elle venait. Mais elle était tout de suite intéressée par l’idée justement de trouver les moyens de raconter son histoire de cette façon et donc on a travaillé avec elle. Je l’ai beaucoup rencontrée, je l’ai beaucoup enregistrée comme on a fait aujourd’hui. Puis avec ce qu’elle me racontait j’essayais de trouver quelque chose qui pouvait donner vie, des situations de cinéma, des scènes, des dialogues. Ensuite, je lui faisais lire, je lui soumettais et on a travaillé de cette façon.

Ryan Haouaouchi     :    Pour le personnage principal de Fatima, vous vous êtes rapproché au maximum du personnage du recueil "prière à la lune"(maghrébine, arrivée en France à l’âge adulte, donc ne parlant pas très bien la langue française, ayant deux enfants nés en France, donc scolarisés). Cela a donné un effet très convainquant au personnage. Dans vos différents projets, vous  privilégiez l’acteur au personnage écrit dans le scénario. Est-ce que vous effectuez des modifications ou vous êtes vous adapté à l’actrice?

Philippe FAUCON     :    Oui, il y a une nécessité quand on tourne avec des comédiens pas très expérimentés, pas des comédiens de métier. Au départ, il ne faut pas leur demander des choses auxquelles ils n’ont pas été formés. Ils n’ont pas fait d’école. J’ai essayé de comprendre ce qu’il y a de riche chez eux, ce qu’ils peuvent apporter aux personnages, c'est à dire il faut plutôt faire venir le personnage à eux, plutôt que de leur demander de composer, parce que ça ce n’est pas toujours des choses qui leur sont faciles. Il faut essayer en fait de trouver les moments où on peut faire rencontrer les personnages écrits et les personnages vivants d’une façon forte pour que justement à l’écran ça donne une étincelle de vie, donne vie tout d’un coup à la scène et aux personnages.

Ryan Haouaouchi     :    Dans tous vos films, vous choisissez la plupart du temps des personnes non expérimentées dont c’est le premier film. Comment faites-vous, pour les aider à se dévoiler face à la caméra ?

Philippe FAUCON     :    Evidement, les premiers moments, les premiers jours du tournage sont les plus compliqués parce qu’ils découvrent tout d’un coup quelque chose qui est très nouveau, qu’ils ne mesuraient pas complètement. Parce qu’en effet, il y a aussi une nécessité de discipline, de concentration, il faut arriver à tenir compte de demandes techniques qui sont quand même importantes, parfois être capable de s’arrêter à une marque sans la regarder, tout en restant dans un jeu naturel. Pour une femme comme Sorya, ce n’est pas des choses qui sont simples évidemment. Il faut essayer de graduer les difficultés pour l’emmener à entrer dans le tournage petit à petit et puis il faut aussi surtout essayer de la rendre la plus libre possible, ne pas la contraindre techniquement. Le plus important finalement c’est ELLE, ce qu’elle va mettre dans son jeu, plus que de faire de la grande mise en scène avec des machineries compliquées à installer qui vont justement faire qu’on va lui demander d’attendre, de patienter plusieurs fois et de cette façon, on va étouffer sa spontanéité, son naturel. Il faut essayer de faire en sorte de ne pas étouffer le jeu, de le laisser respirer, de le laisser s’exprimer et de ne pas le contraindre. Chaque jour, c’est une équation à résoudre. Il faut tenir compte de certaines exigences techniques et en même temps la laisser la plus libre possible.

Ryan Haouaouchi     :    Là, je viens de voir Sorya (l’actrice principale), elle porte un voile. Comment avez-vous fait pour la filmer sans le voile, la faire se dévoiler au sens premier?

Philippe FAUCON     :    On était à la recherche de l’interprète du rôle. Ce n’est pas un rôle simple, c’est un vrai rôle, avec des difficultés de jeu, des complexités etc … et un jour, on m’a montré des essais qui ont été faits avec cette femme, et je l’ai trouvée vraiment très intéressante, des choses belles chez elle, quelque chose d’assez affirmé. Une douceur et en même temps, une espèce de force et donc j’ai demandé à la revoir. On a fait des essais répétés avec elle et en effet, on se rendait compte qu’elle était vraiment intéressante à plus d’un titre. Simplement, elle portait un voile, donc c’est sa croyance. Mais je lui ai dit, tu sais ce personnage-là, ça ne me pose aucun problème dans le film qu’il soit voilé, sauf que chez elle, dans des moments de la vie, elle ne portera pas tout le temps son voile. Effectivement, en présence de ses filles, elle se dévoile. Elle a accepté. Mais je lui ai dit que lors du tournage, il y a toute une équipe de cinéma autour de toi et les gens vont te voir sur un écran. Elle a plus réalisé à ce moment là. En effet, c’était quelque chose qui allait lui demander d’apparaître dévoilée. Ce n’était pas facile pour elle. Elle avait très envie de ce personnage car il parlait un peu d’elle et c’est elle-même, qui a eu l’idée de porter une perruque. Je n’étais pas très convaincu au début mais on a fait des essais et il ne fallait pas qu’on devine qu’elle porte une perruque et en effet la coiffeuse du film a fait un très très beau travail. En effet, quand elle est dévoilée dans le film, elle porte une perruque et ça aussi c’était une contrainte de plus. Pour que ce soit bien fait, ça demandait du temps pour la poser. C’était une contrainte car ça lui comprimait la tête, mais malgré tout elle est arrivée à faire avec cette contrainte supplémentaire. Moi je trouve qu' elle est très bien dans son jeu. Elle est très belle, très juste.

 

Laura Tuffery           :    Vous avez tourné en quelle langue ? Une question, la dernière.

Philippe FAUCON     :    Elle devait tourner à la fois en arabe et en français. Il y a certains moments où elle s’exprime en français avec ses filles. A ce moment là du film, elle avait une pratique du français un peu difficile et justement c’est ça que je recherchais. Je pense que ce n’est pas quelque chose qu’on peut jouer, faire semblant de mal parler. Il fallait trouver quelqu’un qui n’ait pas une vraie maîtrise du français avec des scènes en français qui ne sont pas forcément faciles. On a trouvé ça chez elle, on a travaillé avec elle pour arriver au résultat qui est le film. Et depuis que je l’ai revue à Cannes, il y a un truc qui m’a beaucoup frappé, c’est que depuis la fin du tournage (dix mois), elle a fait de très grand progrès en français. Il y a quelque chose chez elle qui s’est débloqué, qui s’est s’exprimé d’avantage. Elle a voulu encore plus s’emparer de la langue et elle parle beaucoup mieux que lorsque l' on a tourné.

Laura Tuffery           :    Le film lui a permis de débloquer la parole, le langage …

Philippe FAUCON     :    Le film a débloqué un désir de s’exprimer d’avantage dans une langue qu’elle ne maitrisait pas.

Monsieur Faucon demande si nous étions une classe  de cinéma et Madame Tuffery lui a expliqué l’atelier cinéma, les choix des films et l’intérêt unanime des élèves pour cette option, que nous avons aimé son film "La Désintégration", ce contre champ voulu, ce regard un peu distancé.

Nous l’avons remercié de nous avoir accordé autant de temps ( vingt minutes) malgré son emploi du temps chargé. Lire la critique ici.

Nota bene : Ryan avait pour seule consigne de préparer une interview avec Philippe Faucon dès que la sélection de la Quinzaine a été dévoilée. Il a spontanément visionné ses films, lu le recueil de poèmes "prière à la lune" de Fatima Elayoubi, visionné des entretiens de Philippe Faucon, préparé ses questions seul (il y en avait une dizaine). Il a retranscrit seul cette interview, ma présence n'avait pour seul but que de "l'accompagner"... Laura Tuffery.