Heureusement pour lui, il était toujours accompagné de son lieutenant Hasting, ancien psychologue, qui s’occupait de toutes ses relations humaines. C’était d’ailleurs très agréable pour lui, car Hasting savait toujours y faire pour ramener quelques beignets gratuits de la boulangerie. Montgomery avait découvert cette qualité lors d’une enquête particulièrement intéressante, qui leur avait causé nombre de problèmes.

 

Le Pendu de Notre-Dame

Chapitre 1

Point De Vue Hasting

 

La radio grésilla et Montgomery poussa un grognement digne d’un grizzly des montagnes. Je ricanais, Ah Montgomery, quel fainéant celui-là ! Pourtant, un rappel au poste était le bienvenu car ces trois heures de surveillance de l’Hôpital Richaud étaient exténuantes. La preuve, le capitaine s’était endormi. “Cadavre trouvé dans Notre-Dame. Un pendu. Unité 5, vous êtes les plus proches? Allez-y. On envoie une équipe “

Le capitaine se releva brusquement :

 

“- Enfin, une enquête ! Je suis certain que ce n’est pas un suicide ! Allons-y, bougez-vous lieutenant ! Qu’attendez-vous ?

- Capitaine, vous vous rendez compte que vous vous réjouissez d’un homicide ! Même s’il y a une enquête , vous devriez avoir un minimum de respect pour l’esprit du mort, dis-je

- Mais je m’en contrefiche du respect. Il est mort, il ne pas venir nous hanter. Depuis le temps que je n’avais plus été appelé pour une enquête !”

 

Je le regardais, outré. Il ne changerait donc jamais !

Je démarrai la voiture pendant que Montgomery marmonnait dans sa barbe, comme à son habitude. Nous arrivions sur place, Marie, la médecin légiste, était déjà sur place. Le capitaine sortit de la voiture, tout sourire. Il venait d’apercevoir le corps, pendu par des sortes de fils transparents au centre d’une immense croix.

 

“- Alors Marie ? Des informations à nous donner ? demanda Montgomery

- Pierre-Antoine de la May, un infectiologue reconnu pour ses recherches sur le SH34JW, une maladie très rare entraînant une dégénérescence musculaire et qui…

- Oui, oui, c’est très intéressant mais pendant qu’on parle, le meurtrier court toujours, la coupa-t-il.

- Mort par strangulation. Décédé il y a environ 8 heures. Le cadavre a été découvert par le prêtre lorsqu’il a ouvert l’église. Il est en état de choc.

- Mais qu’est-ce qu’on s’en fiche de ce prêtre ! C’est incroyable. Il devrait avoir l’habitude, il fait bien des enterrements ! Maintenant il va falloir attendre qu’il se calme ! râla le capitaine.

- Il est en état de choc, c’est normal pour quelqu’un qui découvre un cadavre à 7 heures du matin, dis-je.

- Arrête de faire ton psy, Hasting, utilise ce talent pour le faire parler.”

 

Je soupirais. Cet homme avait vraiment un problème de bipolarité ! Puis je me rendis compte qu’il manquait un détail.

“- Mais, avec quoi est-il pendu ? demandais-je

- Ce sont des perfusions. Elles ont été volées à l’hôpital où il travaillait. Sûrement une mauvaise blague en rapport avec sa profession, me répondit Marie.”

 

Je me dirigeais vers le prêtre qui semblait hagard, les yeux dans le vide, sursautant au moindre bruit. Je m’approchais et m’accroupis devant lui. Il sursauta et releva vivement la tête, me regardant comme si j’étais la Mort en personne qui venait le chercher.

 

“- Bonjour, murmurais-je doucement.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-il abruptement

- Je suis le Dr Hasting, je travaille dans la police, dis-je en présentant mon badge sous ses yeux affolés.

- Je suppose que vous voulez connaître tout ce que je sais.

- Je voudrais simplement que vous me décriviez dans les moindre détails toute votre matinée.

- Hé bien, je me suis levé à 6h10, comme à mon habitude. Je me suis habillé, j’ai déjeuné et je suis sorti. Je suis arrivé ici à 7h. J’ai ouvert les grandes portes et j’ai pénétré à l’intérieur. Il n’était que 7h et vous voyez, le matin, il fait très noir en hiver. Je ne l’ai pas vu tout de suite, dit-il en désignant le cadavre d’un coup de menton. J’ai allumé les cierges et c’est en me retournant que je l’ai vu. J’ai d’abord cru à une mauvaise blague. Vous savez, c’est déjà arrivé que des enfants mettent un mannequin pour faire croire à la revenue du fils du Seigneur. Je suis monté sur une chaise et c’est là que je l’ai reconnu. Pierre-Antoine de la May, un des hommes les plus brillants de notre époque. Il avait des clous dans les poignets et le sang coulait encore. Au Seigneur, que Dieu nous protège !”

 

Il se prit le visage dans les mains et je sus que je n’en tirerai plus rien. Je vis le capitaine se précipiter vers moi, en colère. Il s’exclama :

 

“- C’est incroyable, un incompétent vient d’arriver et il dit que c’est un suicide !”

 

L’incompétent en question arriva. C’était un jeune, sûrement une nouvelle recrue. Il arborait un air supérieur et arrogant, il devait être le fils d’une de ces riches familles, toutes les portes s’ouvrant devant lui grâce à l’argent.

 

“- Je ne veux pas enquêter sur cet homme, dit-il avec une moue dédaigneuse. Il est pendu, évidemment que c’est un suicide !

- Mais bien-sûr que non. Mais quel crétin ! Il ne s’est pas pendu en haut d’une croix de 5 mètres tout seul ! Non mais quel crétin !, répondit le capitaine hors-de-lui

- Je ne vous permets pas ! Je suis avec vous sur cette enquête, alors soyez respectueux !

- Vous vous disputerez plus tard, dis-je. En attendant il faut qu’on avance car comme vous l’avez si bien dit tout à l’heure, le meurtrier court

toujours !”

 

Le capitaine reprit alors ses esprits et donna alors ses ordres, précis et sérieux. C’est pour ce talent qu’il avait été promu capitaine. Pour l’instant, l’objectif premier était de récolter un maximum d’informations, de trouver un suspect, de trouver un mobile. Nous décidâmes de nous rendre à l’hôpital Richaud, le lieu de travail de la victime pendant que James, “l’incompétent”, allait chercher son dossier dans la base de données de la gendarmerie.

 

 

Chapitre 2

A L’hôpital Richaud

PDV Montgomery

 

 

Nous entrâmes dans l’hôpital et nous nous arrêtâmes à l’accueil. La dame de l’accueil, une jeune femme blonde aux lèvres trop roses et aux yeux trop maquillés, le parfait stéréotype de la secrétaire stupide, nous adressa un sourire professionnel, révélant des dents parfaitement blanches.

 

“- Bonjour, bienvenu à l’hôpital Richaud. Consultation, radio, visite d’un proche ?”

Je lui offrais un regard noir et lui présentais mon badge.

 

“Police de Versailles, nous enquêtons sur le meurtre de Pierre-Antoine de la May, un infectiologue qui travaillait ici, vous devriez savoir qui c’est, il était très connu. Nous avons besoin de la liste de ses patients ainsi que celle de ses collègues”

 

Je vis son visage se décomposer et les larmes couler sur ses joues crispées par la chirurgie esthétique. Hasting m’envoya un regard noir, sûrement à cause de mon manque de tact habituel. Elle me tendit, de ses mains toutes tremblantes, plusieurs feuilles fraîchement imprimées. Elle marmonnait des mots incompréhensibles. Je demandai discrètement à Hasting de s’occuper d’elle, et me dirigeai vers le bureau du défunt, indiqué au 2ème étage.

 

Son bureau était parfaitement rangé, toutes ses affaires ayant leurs places, dans un équilibre presque irréel. Tout le contraire du mien.

Il y avait de nombreux cadres sur les étagères. Je m’en approchai et vis Pierre-Antoine, évidemment, ainsi que plusieurs personnes souriantes autour de lui. Sûrement ses collègues, ou ses amis. Je n’avais jamais compris cette manie de sourire sur les photos. Cela les rendait fausses car l’art de la photographie était censé nous montrer quelque chose de naturel, pris sur le coup, pas prévenu et préparé. Le jeu d’acteur, les faux sourires étaient pour le cinéma, pas pour la photo. Une seule personne paraissait sourire réellement sur la photo. C’était une jeune femme d’une trentaine d’années. Je remarquais alors qu’elle était présente sur toutes les photos. Je cherchais alors dans la liste des collègues. La petite photo à côté de ces informations était en noir et blanc et très pixelisée mais je la reconnaissait sans aucun doute. Catherine Délu-Diplôme d’ingénieur en génie biologique- 27 ans- assistante du Dr De la May depuis maintenant 5 ans. Il fallait que je l’interroge. Je continuais mes recherches pendant quelques temps et tombai sur un énorme classeur. Il se nommait “liste des sujets volontaires sains pour le vaccin 243”. Je l’ouvrais délicatement et vis la première personne “Henri Fichaud-83 ans-stade avancé du SH34JW-Testé le 4 septembre- Décédé le 28 novembre- cause du décès : virus SH4JW-Résulat : échec”

Je tournais quelques pages et tombai sur un visage qui me semblait familier. “Gaëlle Ducheti-38 ans-enceinte- second stade du virus SH34JW-Testée le 10 novembre- Décédée le 17 novembre- cause du décès : vaccin 243- Résultat : échec”

Pauvre femme. Son mari avait dû beaucoup souffrir de sa disparition. J’entendis la porte s’ouvrir et me retournai, m’attendant à voir Hasting. Je fus donc surpris de voir une jeune femme que je reconnus immédiatement. Catherine Délu. Son visage me semblait, lui aussi, étrangement familier. Elle me vit et ses traits se peignirent d’une expression de surprise. Elle reprit vite contenance et me dit d’une voix professionnelle : “Excusez-moi Monsieur mais vous n’avez pas le droit d’être ici. C’est un bureau privé et je vous serais grée de sortir.” Je soupirais. J’aurais préféré que Hasting soit là. Annoncer la mort d’un proche était quelque chose de délicat. Délicatesse que je ne possédais pas.

“Je suis ici car j’enquête sur le meurtre de Pierre-Antoine De la May. J’aurais besoin que vous répondiez à quelques questions.”

Son visage pâlissait à vue d’oeil. Elle s’appuya contre le mur et se prit la tête dans les mains. Je sortis de la pièce, lui indiquant de descendre pour nous suivre au commissariat quand elle serait prête.

 

Chapitre 3

PDV Montgomery

Au commissariat.

 

James se précipita vers nous dès notre entrée dans le commissariat, un dossier à la main.

“J’ai trouvé quelque chose, dit il en brandissant son dossier, fier de lui. Le docteur De la May ne s’est jamais fait arrêter pour délit, ou même perdu des points pour excès de vitesse. C’était un élève brillant, il a passé son bac du premier coup, a suivi les 6 années réglementaires de médecine puis 5 ans en internat, a passé son examen avec succès et rendu un mémoire parfait. Il est devenu infectiologue et a commencé les recherches sur le virus SH34JW.

Pourtant son casier n’est pas vierge. Huguette Ducheti, âgée de maintenant 86 ans a porté plainte contre lui il y a 10 ans. En effet, sa fille Gaëlle Ducheti, était décédée suite au test du vaccin 243, car elle était atteinte du virus SH34JW. Un procès avait été engagé car Gaëlle Ducheti était enceinte.Or, le docteur n’avait pas le droit de tester un traitement sur une femme enceinte. Pourtant, aucune charge n’avait été retenue contre lui. Une affaire plutôt louche, mais très vite oubliée.

Quelques jours après le drame, son mari, Eric Ducheti, s’est suicidé. Leur fille, Eléanor Ducheti, a ensuite disparu.”

Ca me revenait enfin. Le scandale de la famille Ducheti. La mère était décédée avec l’enfant qu’elle portait. Le mari devenu fou, son suicide. La disparition de leur fille de 17 ans.

“Mais, continua James, ce n’est pas tout. Il y a deux semaines, un patient du Docteur De la May, un certain Jean Moret, ancien prof d’ Eléanor, l’a reconnue. La voici”

Il me tendit une photo et Hasting se pencha par-dessus mon épaule pour apercevoir la jeune femme.

“Catherine Délu” murmura-t-il. Et je compris. Catherine Délu était l’anagramme de Eléanor Ducheti. Elle avait préparé sa vengeance depuis sûrement un petit bout de temps. Elle s’était créé une nouvelle identité pour ne pas éveiller les soupçons et elle avait tué son collègue, lui laissant juste assez de temps pour finir son vaccin. Voilà pourquoi elle n’était jamais arrivée au poste.

“On ne la retrouvera jamais ! s’exclama Hasting

-Au contraire, je pense savoir où elle est, lui répondis-je”

 

Chapitre 4

Carnet personnel de Eléanor Ducheti

 

La mort.

Certaines personnes pensent que la mort est une libération. D’autre que c’est une personne.

Certains pensent qu’il y a une vie après. D’autre qu’on va au paradis. Ou encore qu’on devient des fantômes, des âmes vagabondes.

Moi je pense que la mort n’est pas une fin en soi. Surtout quand on n’a pas fini de vivre. Surtout quand on a besoin d’être présent. Pour sa famille. Pour ses proches. Pour ses enfants.

Moi, j’avais besoin de sa présence. De son amour, de sa tendresse. De sa vivacité d’esprit, de ses mots rassurants avant de me coucher, de ses petites attentions à mon égard. J’avais besoin d’elle.

Mais elle est morte.

Ensuite, j’ai eu besoin de sa présence. De son réconfort lorsque j’étais triste. De sa compassion, de sa douleur unie à la mienne. De son soutien, de ses encouragements malgré la tristesse et le désespoir qui nous gagnaient un peu plus chaque jour. J’avais besoin de lui.

Mais il est mort.

Finalement, j’ai eu besoin de vengeance. De la satisfaction de voir l’étincelle de vie quitter ses yeux, comme celle qui a quitté les yeux de ma mère à cause de son vaccin. De l’entendre me supplier de l’épargner, comme j’ai supplié qu’il la sauve. De son dernier sursaut, comme celui que j’ai surpris sur le corps de mon père avant qu’il meurt sur le sol de la cuisine, me laissant seule. De ses excuses, comme celles qu’il aurait dû nous faire lors de son procès, où il s’en est tiré grâce à sa célébrité. De son désespoir, comme celui qui me hante chaque jour depuis la mort des mes parents. De sa solitude dans ses derniers instants, comme la solitude qui me hante depuis leur mort.

Et il est mort.

 

Chapitre 5

PDV Hasting

Au cimetière Notre-Dame

 

Je sortis de la voiture, arme de poing en avant. Montgomery avait raison. Elle était là, assise sur la tombe de ses parents, retraçant du bout des doigts les lettres creuses gravées dans les stèles. Je m’approchais lentement et elle se retourna vers nous, calme, sereine.

“- Il se prenait pour le Messi, sauvant des vies, répandant le bien autour de lui… alors je l’ai crucifié. Il ne se rendait pas compte qu’il avait causé beaucoup de mal pour faire avancer la science...alors je l’ai pendu avec des perfusions, pour lui montrer que la science prenait aussi des vies. J’ai été gentille avec lui. Je l’ai soutenu dans ses travaux, je l’ai laissé finir son vaccin. IL M’A PRIS TOUT CE QUE J’AVAIS !, hurla-t-elle.”

Puis elle se leva, s’approchant de moi et me tendit ses poignets pour qu’on lui passe les menottes. Elle ne cherchait pas à fuir. Elle assumait entièrement ce qu’elle avait fait. Elle s’était vengée.

Cette enquête me fit réaliser une chose. Le monde n’est pas tout blanc ni tout noir. La plupart du temps il est gris.

 

Epilogue

PDV Montgomery

Dans la rue Montreuil, devant une boulangerie.

 

Hasting entra dans la voiture et me tendit un sac.

“T’en a mis du temps !, m’exclamais-je

- Désolé, je parlais avec la boulangère, elle adore les intrigues policières. Elle était tellement contente qu’elle m’a offert ma commande.

- Et qu’est-ce que c’est ?

- Des beignets, répondit-il avec un clin d’oeil.

 

Margot Thiberville