Eric Plamondon − rencontre au lycée Pissarro dans le cadre des leçons de littérature.

Voici un résumé de ce qui a été dit pendant cette leçon de littérature, une rencontre vivante et interactive, bien loin de ce que pouvait en laisser imaginer le titre.


Une leçon de littérature, ça semble un peu intimidant et peut-être un peu ennuyeux. Je vais plutôt vous raconter ma vie, vie de lecteur et vie d'écrivain. On vous a peut-être dit que j’étais un écrivain québécois (quoi qu’il en soit, on avait entendu). Je suis québécois mais je vis en France depuis 20 ans.

Le grand thème de cette rencontre, c'est le hasard.

Je suis né dans un petit village près de Québec. 5000 habitants. J'aimais lire des BD à la bibliothèque. J'étais un assez bon lecteur. Un jour, la maîtresse nous a autorisé à aller voir dans la section des livres sans images. J'avais 7 ans, et j'étais assez content d'avoir le droit de lire un vrai livre.

Je m'en souviens très bien, c'était L'appel de la forêt de Jack London. J'avais moi-même un chien, un husky. J'avais ressenti beaucoup d'émotions en le lisant, parce qu'il arrive plein de choses assez difficiles au pauvre chien du livre et j'avais même pleuré. 

Quelque part, c'est le hasard qui m'a fait prendre ce livre et ça m'a permis de comprendre que les livres pouvaient 

Le hasard, c'est important et il ne faut pas hésiter à prendre un livre au hasard et s'il ne plaît pas, tant pis.

Mais si on n'aime pas lire, ce n'est pas grave. Au lycée, on est encore dans des lectures imposées. Mais si vous tombez sur un livre qui parle de quelque chose qui vous plaît, c'est quelque chose de très bien.

Si j'étais dans mon rôle d'écrivain, je dirais, j'ai tout lu, j'ai lu Dumas, Hugo, Flaubert, etc. Mais en fait, non. J'ai lu ces livres plus tard, après 20 ans. Je lisais quand je trouvais des livres, ma mère avait des livres, mais je ne lisais pas tous les classiques.

Au collège, j'aimais écrire. Je tenais un journal et j'écrivais des poèmes mais je voulais être biologiste ou garde-chasse. J'aimais beaucoup la forêt, la pêche. 

 

Après le lycée, dans mes études, je travaillais à la bibliothèque. Mon travail était de trier les livres rendus à la bibliothèque. Il fallait les classer selon la classification Dewey : parmi les livres de Physique, de biologie, il y avait aussi des romans qui attisaient ma curiosité. Je me souviens de John Irving, un romancier américain qui écrit du roman pur. J'ai essayé Stephen King aussi parce que tout le monde aimait mais je n'ai pas trop aimé. J'ai lu aussi des romans historiques, des romans policiers.

Tout à l'heure, on évoquait Hervé Le Tellier (qui a fait la leçon de littérature au lycée l'année dernière et a reçu le prix Goncourt cette année). C'est un oulipien : il s'agit d'écrire des livres en s'imposant des contraintes, comme Georges Perec qui s'impose de faire déplacer ses personnages comme des pièces d'échec ou même écrire un roman entier sans utiliser la lettre E (il s’agit de La disparition).

Tout ça pour dire que la littérature, ça englobe plein de choses, des genres très divers.

 

Je m'étais inscrit en génie électrique, je voulais faire ingénieur. Mes cours de français se passaient bien mais à l'époque, on disait que pour avoir du travail, il fallait faire des sciences. Mais au bout de 2 mois, j'ai compris que ce n'était pas pour moi : trop de mathématiques, trop de théorie.

 

J'ai pu alors m'inscrire en étudiant libre, c'est-à-dire qu'on pouvait choisir des cours dans différentes matières : cinéma, littérature, économie, politique... J'écrivais alors de plus en plus, des articles pour le journal étudiant par exemple.

 

J'ai fait une année en économie mais l'année d'après, j'ai repris en journalisme. Je m'approchais donc de mon envie d'écrire. J'avais envie de voyager donc j'ai pris un billet d'avion ouvert (on part et on revient quand on veut).

C'était la mode quand on était canadien de voyager en Europe  à la fin de ses études. J'étais donc parti avec mon sac à dos à la découverte de l'Europe. Je me suis ainsi retrouvé en France, en Grèce, en Hollande, etc.

Au retour, 3 mois après, j'ai trouvé un travail de serveur dans un restaurant. Mais je me rendais compte que je ne savais rien, surtout avec tout ce que j’avais vu en Europe : j'ai donc commencé à lire des livres d'histoire. 

 

Je suis alors tombé sur le Manifeste du  surréalisme, d'André Breton. Ils disaient qu'il fallait faire confiance à ses rêves, ça me parlait. Ils parlaient beaucoup d'un auteur qui s'appelait Isidore Ducasse, le comte de Lautréamont. Il avait écrit les Chants de Maldoror, un livre dingue, incroyable.

 

Je me suis retrouvé à Montréal, parce qu'il y avait plus de job dans le journalisme mais il y avait aussi plus de gens qui cherchaient. Une amie m'a parlé d'un programme de création littéraire à l'université. Le travail final, c'était d'écrire un roman. On parlait de beaucoup de livres, de littérature. Mais au moment de faire mon mémoire, je devais choisir entre création et recherche et mon prof m'a conseillé de le faire en recherche, parce que c'était mieux pour trouver du travail.

J'ai donc fait mon mémoire et j'ai trouvé un travail de prof.

 

J'ai rencontré une bordelaise qui m'a invité à passer des vacances d'été à Bordeaux. Cette copine est devenu ma femme et je ne suis jamais rentré au Québec. Mes diplômes ne me permettaient pas de faire prof en France alors j'ai travaillé dans la communication. Au bout de dix ans, j'avais toujours cette envie d'écrire. Je m'étais dit que je voulais le faire avant mes 40 ans. J'avais alors 39 ans, c'était le moment de m'y mettre. J'avais trouvé Tokyo-Montana Express de Richard Brautigan.

Mon premier roman s'intitule donc Hongrie-Hollywood Express, en hommage au roman qui m'avait permis de trouver ce que je voulais faire.

Le dernier jour de ma 39e année, j'ai imprimé mon premier roman. Je l'ai fait lire à ma femme qui m'a conseillé de l'envoyer à des éditeurs. À ce moment-là, je n'avais pas pensé à me faire publier. J'ai donc envoyé mon roman à mon ancien directeur d'études à Montréal. Il travaillait alors pour une maison d'édition et m'a proposé de me publier.

J'étais très excité, je demandais "ça sort quand ? Dans un mois, dans deux mois ?". Mais en fait, ça prend une année. Le monde de l'édition est très long.

Je vais peut-être m'interrompre pour répondre à des questions, si vous en avez.

Q : Est-ce que le fait d'être auteur gâche le plaisir d'être lecteur, comme un magicien qui connaît les tours ?

R : Non, mais parfois on est un peu jaloux quand c'est bien fait. C'est vrai qu'on regarde différemment les détails de l'écriture. En revanche, on a moins de temps pour lire quand on est en phase d'écriture. D'ailleurs, je viens de finir un manuscrit vendredi. C'est un sentiment étrange, on se trouve un peu démuni.

Q : Est-ce que vous vivez de l'écriture ?

R : Ça fait 6 ou 7 ans que je ne vis que de ça. Quand j'ai publié mon premier roman, je travaillais encore en communication mais mon département a fermé et je me suis retrouvé au chômage. Ça m'a laissé du temps pour écrire le 2e. Ensuite, j'ai eu une bourse d'écriture pour le 3e.

Mais quand on lance un livre, il vit sa vie. On ne peut plus rien y changer, même pas un point ou une virgule. Mais écrire, c'est d'abord se faire plaisir. Il faut accepter de ne pas savoir de quoi sera fait demain. Mais on m'a dit que Hervé Le Tellier est venu ici et depuis, il a reçu le prix Goncourt, alors j'ai bon espoir.

Q : Dans une interview en parlant de Taqawan, vous avez dit que c'était comme votre retour au Québec : est-ce que l'écriture, c'est votre moyen de voyager ?

R : Oui, c'est vrai, c'est un peu ça. Lire et écrire, c'est une façon de s'évader.

Q : Est-ce qu'en vivant de l'écriture, vous avez gardé le plaisir d'écrire ?

R : Oui, je comprends. Il m'arrive d'animer des ateliers d'écriture. Dans ces ateliers, je dis qu'il faut écrire tous les jours. Au moins une ligne par jour. Même juste une ligne, ce n'est pas facile. Mais ça vous oblige à vous  mettre devant votre feuille, d'oublier tous vos problèmes et de vous mettre au travail. Comme disait Picasso, "si l'inspiration arrive, je veux qu'elle me trouve au travail". Donc, il faut s'obliger au travail. Baudelaire disait aussi "l'invention est la sœur du travail journalier". C'est pareil que faire un marathon, on doit courir tous les jours pour préparer une course.

Q : Comment vous faites avec le syndrome de la page blanche ? 

R : C'est pour ça que c'est important d'avoir ce rythme de travail. Il y a des jours où on ne se sent pas d'humeur mais il ne faut pas trop se poser de questions. Mais le syndrome de la page blanche, ça arrive surtout quand on veut trop bien faire et qu'on veut être génial. Et généralement, quand on relit quelques jours plus tard, on se dit, "c'est de la merde ce que tu as écrit".

Q : Est-ce que vous aimeriez être adapté au cinéma ?

R : Oui, c'est d'ailleurs en discussion avec un producteur au Québec. Mais ça prend du temps, entre 3 et 5 ans. Ce qui est intéressant, c'est quand on vous demande d'être scénariste, parce que vous retravaillez votre histoire dans un autre contexte. Et si je ne suis pas scénariste, c'est aussi voir comment un autre artiste a vu mon histoire, comment il la voit dans sa tête.

Q : Et si le film ne plaît pas ?

R : On ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut l'accepter. Le premier devoir, c'est envers soi-même, c'est de se faire plaisir.

Q : Quel est votre style ?

R : Mon premier livre, c'est ce que j'aurais aimé lire mais que je ne trouvais pas. C'est un peu exagéré parce que je vous ai dit que je m'étais inspiré d'un livre de Brautigan.

C'est une question difficile, parce que tous mes romans sont des OLNI, des objets littéraires non identifiés : tous mes livres parlent de choses variées.

Dans mon livre sur Weissmuller, on parle du personnage de cinéma, de l'histoire... Et peut-être que le lecteur est un peu perdu mais petit à petit, les liens apparaissent.

Dans la littérature, ce que j'aime, c'est apprendre quelque chose. Quand j'écris, je fais aussi plein de recherche. Si j'étais historien ou géographe, je serais spécialiste d'un domaine. Au contraire, avec la littérature, on découvre plein de choses, on explore  plein de domaines. Et les discours des spécialistes qui se posent toujours comme des discours de vérité, se retrouvent dans le roman et sont mis côte à côte et permettent au lecteur de se construire sa propre vérité.

Je vais vous citer un autre écrivain : "La littérature ne vous dit pas ce que vous devez penser ni pour qui vous devez voter. Elle permet de penser par soi-même. C'est une énorme différence ! Il faut l'enseigner dès l'école. Pendant trop longtemps, on nous a dit ce qu'il fallait penser. Or, la littérature, c'est exactement l'inverse : une invitation à penser par soi-même, à ne laisser personne te dicter ce que tu penses. C'est l'école de l'humilité. De la tolérance. De l'acceptation de l'autre. Or, tout cela compose le ciment d'une nation : les êtres humains ensemble" (Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle)

Quand j'ai écrit, je pensais à écrire. Je ne pensais pas que quelqu'un allait lire. J'étais moi-même étonné que ça plaise à quelqu'un. Un jour dans un salon littéraire, quelqu'un m'a parlé de mon livre, Hongrie-Hollywood Express et m'a dit "C'est mon livre préféré après Harry Potter !" J'étais ravi : ce sont deux livres tellement différents. La littérature permet cela.

Après, dans Taqawan, j'ai voulu faire un récit un peu plus classique. 

Q : Est-ce que vous saviez, en écrivant Hongrie-Hollywood Express que vous alliez en faire une trilogie, qui vient d'ailleurs de paraître en un volume sous le titre 1984 (Hongrie-Hollywood Express se concentre sur la vie de Johnny Weissmuller, le nageur hongrois devenu Tarzan à Hollywood, le second, Mayonnaise, est consacré à Robert Brautigan, mort en 1984 et dont l'oeuvre est le fil rouge de la trilogie et enfin et Pomme S est consacré à Steve Jobs) .

R : Je ne savais pas encore que j'allais écrire une trilogie. J'écrivais quand même et je baignais dans ces thèmes. En voyant un documentaire sur Arté sur Weissmuller, j'ai trouvé que c'était le fil conducteur de mon livre.

Sur le 1er roman, j'avais repoussé ce premier roman jusqu'à mes 40 ans mais une conversation avec un ami sur ce premier roman m'a beaucoup aidé, en comprenant que c'était finalement mon premier roman et qu'il pourrait y en avoir d'autres. Du coup, il n'y avait plus cette pression de devoir tout mettre dedans. Steve Jobs s'imposait aussi de manière assez évidente parce que j'étais de la génération Macintosh et que j'avais grandi avec Apple.

Et puis il y a eu Taqawan. Au début, je ne savais pas que certains lecteurs s'en empareraient comme un roman policier. J'étais en voyage en camping-car au Québec, et j'ai découvert cette réserve indienne. J'étais tellement surpris de me dire que j'avais vécu là sans savoir qu'il y avait des indiens là.

Et je n'avançais pas dans mon roman. J'ai décidé alors de reprendre mon style de fragment. Le livre s'est alors transformé, et j'étais moi-même surpris de son cheminement et j'étais surpris de ce que j'écrivais.

Quand le roman est paru, on s'en est emparé d'une façon. J'ai ainsi été invité sur un festival de roman policier. On m'a dit que c'était un roman écologique, un roman d'amour... Au fond, c'est le lecteur qui dit à quel genre appartient le roman. Un livre, c'est 50% le travail de l'écrivain et 50% le travail du lecteur.

Parfois, on me demande ma réponse au problème posé par Taqawan. Mais en fait, je n'ai pas de réponse. Si j'écris un roman, c'est pour poser des questions pour que le lecteur y réponde.

Q : Dans Taqawan, vous dites, le colonialisme, c'est un peu comme le saumon, tu peux le jeter à la mer, il finit toujours par remonter là où il est né."

R : En venant en France, je me rendais compte que je ne savais rien sur les Indiens. Tout le monde croyait que je connaissais les réserves indiennes mais en fait je n'en avais jamais entendu parler. La plus grande violence qu'on avait fait aux indiens, c'est de les effacer. À l'école, on apprenait Jacques Cartier, qui rencontrait les Indiens et après, c'était la nouvelle France, on ne parlait plus des Indiens.

Heureusement, depuis les années 2000, ça change au Canada, on en parle enfin dans l'actualité. Parce que si on n'a même plus de mots pour en parler, on ne pourra jamais trouver des solutions.

Finalement, c'est quand la fiction s'empare d'une question, que l'on trouve des réponses. Pour les premières nations, c'est quand les artistes sont sortis des réserves pour écrire, pour faire du rap, etc. que l'on en a parlé de ces problèmes. L'émotion que transmet l'art permet de donner un sens aux questions.

Prenez l’exemple de Georges Orwell : on parle beaucoup aujourd’hui de « Big Brother » avec les réseaux sociaux, les smartphones et la vidéo-protection. L’expression vient de son roman 1984. Toute sa vie, il était journaliste. Il a écrit des essais sur la politique à l'époque, il avait couvert la guerre d'Espagne. Mais à la fin, il a écrit des œuvres de fiction et son œuvre, 1984, résonne encore aujourd'hui.

Même chose avec Diderot, dans Jacques le fataliste et son maître. Après l'Encyclopédie, il se lance dans ce roman complètement fou qui m'avait tellement fasciné. Il cite de mémoire : «  Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ?  »  

Je ne dis pas qu'il ne faut pas lire les journaux ou les essais mais pour moi, la littérature est une porte d'entrée. On lit un roman et après on se documente sur un sujet, on s'y intéresse, on comprend.

Il n'y a pas de gens qui n'aiment pas lire, il n'y a que des gens qui n'ont pas trouvé leur livre. Et des fois, ça peut changer une vie. 

Q : Par rapport à votre parallèle avec Georges Orwell, est-ce que vous utilisez  comme lui la fiction pour faire passer un message ?

R : Faire passer un message, je ne sais pas, mais j'écris pour poser des questions en tout cas. Je n'ai pas forcément une réponse. Je la cherche en écrivant. Mais la réalité est tellement complexe. On aimerait que la réponse, ce soit noir ou blanc mais la littérature permet des nuances et de se rappeler que les réponses toute faites, 42 pour citer un autre roman (H2G2, Le guide du voyageur galactique, de Douglas Adams), n'existent pas. D'une certaine façon, la littérature, c'est prendre en compte la complexité du monde et de laisser le lecteur la comprendre.