« Oui, ne t'inquiète pas, j'en prends bien soin...Oui! Moi aussi je t'aime, à bientôt, Bisous! »

    Je raccrochai. Ma mère se faisait toujours du souci pour son nain de jardin. Elle me l'avait confié lorsque j'avais décidé d'habiter seul et m'avait dit : « Ce nain se transmet de générations en générations dans la famille, aujourd'hui c'est à ton tour d'en prendre soin. Mais garde-toi bien de lui enlever le soleil ! »
 
       Mon regard se tourna vers la fenêtre. Ayant toujours  été une personne très maniaque, mon jardin était très  propre : Pelouse fraichement tondue, pommiers bien alignés et  petit potager ou je cultivais des pommes de terres, des radis et des salades. Mais au milieu, il y avait le nain. Ce nain, dont je vous parle depuis le début. Il me fixe toute la journée, et viens jusqu'à hanter mes nuits. Immobile, silencieux, effrayant. Il me fixe de ses yeux noirs, vides, sans sentiments et où la lumière du jour ne se reflète même pas. Comme je voudrais me débarrasser de ce nain ! 
    Il est trois heures du matin, mon chat me réveille en sautant sur le lit. Il fait une chaleur d'enfer, je vais ouvrir la fenêtre et sursaute. Ce stupide nain m'a encore fait peur ! Il est là et me fixe de son regard inexpressif. Frissonant, je renonce à laisser ma fenêtre ouverte et vais me recoucher.

       Le lendemain  matin, en ouvrant les rideaux, je le vois. J'avais le fol espoir qu'il ait disparu, pendant la nuit, ou que quelqu'un l'ait volé. Mais non, il est encore là. Ces petits chaussons verts et son chapeau pointu font souvent dire à ma mère :<<On dirait un joli petit enfant!>> mais moi je le vois plutôt comme un diablotin prêt a vous amadouer pour ensuite vous égorger !!

    Les journées passent,  je n'en peux plus. Je ne veux plus jamais voir ce nain, ni en entendre parler !!
Ma décision est prise, je vais le mettre au grenier pour ne plus l'apercevoir et je dirait à ma mère que les enfants du voisin l'ont cassé.
Aussitôt dit, aussitôt fait. En prenant le nain, j'ai l'impression de commettre un crime mais je suis décidé, je ne vais pas tergiverser maintenant. Je le pose à coté d'un vieux pot à peinture, sur une chaise du grenier. Puis je rentre. J'ai le cœur beaucoup plus léger , je suis débarrassé.
   

    En rentrant dans ma chambre, je me précipite à la fenêtre. Le jardin est là, bien ordonné, et je peux enfin dormir en paix. Je vis de nouveau. Je vais dans la cuisine prendre un verre de vin, tout est calme et je suis enfin apaisé.
Le téléphone sonne, je cours dans le couloir et le déccroche :
    Allo ? Ah, c'est toi maman... Le nain ?... Oui, il va très bien, si tu savais combien il embellit mon jardin !! Oui, je vais très bien... C'est gentil d'y penser !
       Après avoir discuté quelques minutes, je raccroche. J'ai toujours eu l'impression que ma mère tenait plus à ses objets qu'à moi. Je n'ai pas eu le courage de lui dire que j'avais déplacé le nain. Cela était pour moi sans importance mais ma mère n'aurait sans doute pas eu le même avis.
Les derniers rayons du soleil illuminaient ma chambre et je décidai qu'il était temps d'aller se coucher.

    HORREUR !! Il était huit heures du matin et en ouvrant mes rideaux je le vois, là, le sourire aux lèvres. Est-ce un rêve ? Je me rue vers le jardin sans prendre le temps de m'habiller. Mes mains effleurent son chapeau, c'est bien la réalité, il est là ! Est-ce que je deviens fou ? Je ne comprends pas, j'étais pourtant sûr de l'avoir mis au grenier et je n'avais pris qu'un seul verre de vin la veille. Je l'empoigne violemment et l'y ramène. Je décide cette fois de le mettre tout au fond de celui-ci.
En redescendant, je trébuche sur un pot de peinture. LE pot de peinture qui était à côté du nain hier soir !
Un peu abasourdi j'ouvre la porte de ma chambre et celle-ci se claque derrière moi. Je me fige de surprise, me précipite vers cette dernière et tire de toutes mes forces pour essayer de l'ouvir. Rien à faire, elle est fermée. Mon cœur se met à battre très rapidement, serait-ce une farce de ce nain ?!
Quelques instants plus tard, je me dirige vers la porte et appuie sur la poignée. Celle-ci n'oppose aucune résistance. Avais-je rêvé ? La porte était-elle vraiment fermée ?
Je descends les marches d'escalier l'esprit en ébullition. Plein de questions tournaient dans ma tête. Avais-je été victime d'une illusion ?

    C'était le soir, cette journée m'avait paru très longue mais était enfin terminée. J'ai du mal à m'endormir, le nain hante mes pensées. Quand enfin je trouve le sommeil je suis réveillé par un craquement dans l'escalier. Je commence à m'affoler,  j'ai l'impression  que c'est le nain qui descends.
J'hésite à sortir du lit et quand enfin je me décide, je vais ouvrir la fenêtre. Un frisson glacé me parcourt le corps. Je devine la forme pointue de son chapeau se dessinant dans l'obscurité. Je dois être en plein rêve, il faut que j'aille me recoucher.

    Le lendemain matin je vais prendre mon petit-déjeuner. Perdu dans mes pensées je tourne la tête vers la baie vitrée du salon. Je l'avais complètement oublié ! Le nain.
Tout cela n'était pas fictif ! Quel acte manqué !! Je l'avais involontairement effacé de ma mémoire. Cette fois-ci s'en était assez, je me mets à courir vers le jardin pour le rapatrier. Je lui crie d'une voix perçante :
-Cela t'amuses hein ?! Tu veux me rendre fou, me faire regretter de t'avoir mis au grenier ! Mais je n'en démordrerai pas, je ne bougerai pas, tu n'es pas vivant !

En relevant la tête je me rends compte que mon voisin me regarde étrangement :

  - A qui parlez-vous Guillaume ?
  - Et bien quoi, vous ne le voyez pas ?
  -  Qui ?
  - Le nain, bien sur !
Il secoue la tête et s'en va d'un pas pressé.
Je commence à douter.....Bon, tant pis. Je répète le même scénario que la dernière fois mais je décide de le mettre dans une boite bien fermée. Il ne pourra plus sortir maintenant !

Je m'écroule dans le canapé, je suis las. C'est alors que j'entends un faible bruissement, qui me berce. Le sommeil me gagne, je commence à sombrer.....MAIS ? Ma main est mouillée ! J'avais sans doute laissé tomber mon bras pendant mon court somme mais maintenant je suis bien réveillé, ma main est vraiment mouillée. Je me redresse d'un coup et vois que les pieds de mon canapé baignent dans l'eau. Un centimètre d'eau couvre le sol, je me dirige vers la cuisine, un peu affolé et me rends compte que mon robinet est ouvert ! Mais depuis combien de temps coule t-il ?!
Je me penche sur l'évier et vois qu'il est bouché ! Ce ne peut être moi ! Je suis sûr que c'est encore ce stupide nain ! Ah, ce nain ! Mais qu'a-t-il contre moi ? Je crois que je deviens fou...Ce n'est pas possible, le sol commence à tanguer sous mon poids, ma tête tourne et j'ai l'impression que mes jambes vont se dérober sous moi. Je titube vers le canapé, perds l'équilibre et tombe par terre.

    Le lendemain matin en me réveillant, je m'attends à voir le nain dans le jardin mais même allongé, il me suffis de tourner la tête vers la droite pour l'apercevoir. Il est couché à côté de moi et me fixe de son regard noir. Je me relève d'un coup, et m'aperçois que je suis toujours dans le salon. L'eau a disparu. Je suis fou. Je perds aussi la tête. Je n'en peux plus. J'ai peur. Non ! Je suis terrifié !! Je n'en peux vraiment plus!!J'ai envie de tout détruire, de tout jeter. D'ailleurs JE vais LE casser !!
J'aurais dû y penser depuis le début ! Le nain, LE NAIN !! Je suis angoissé, je tremble. Il me fait perdre la tête ! C'en ai fini de lui.

    Je le prends, et m'apprête à le jeter par terre. Je crains qu'une malédiction ne s'abatte sur moi. Au moment ou le nain n'est plus qu'à quelques centimètres du sol je me souviens des paroles de ma mère « Mais garde-toi bien de lui enlever le soleil ! »
Je commence à comprendre mais c'est trop tard. A l'instant oû le nain éclate au sol je tombe dans un trou noir. Vide. Puis j'aperçois de la lumière. Serais-ce du soleil ?!