La piscine de l'O-méga

(Audrey PFANNENSCHMIDT)

 

4 personnages :

-l’homme réel: Nick

-la femme réelle : Bernadette

-l’homme invisible: Ken

-la femme invisible: Barbie

 

(Sonnerie prolongée.

Bernadette est assise sur un canapé, souriante. Elle est en maillot de bain. Nouvelle sonnerie. Bernadette ne réagit pas.

Nick finit par entrer. Il porte un manteau, un bonnet, des gants, une sacoche d’employé, qu’il jette sur le canapé.)

NICK : Mais qu’est-ce que tu fabriques, Bernadette ? Tu entends pas que ça fait une demi-heure que je sonne ?

(Bernadette rit doucement.)

NICK : Je ne vois pas vraiment pas ce qui te fait rire ! J’avais perdu mes clés au fond d’une de mes poches, j’ai mis une demi-heure à les retrouver ! Elles avaient glissé sur le paillasson, mais comme il n’y a plus de lumière sur le palier ! L’ascenseur était en panne, j’ai dû me taper les soixante-dix-huit étages de la tour à pied ! Toute ma journée à bosser comme un imbécile, à surveiller dans un terminal de contrôle des imbéciles en train de surveiller des imbéciles dans les Tubes, et tout ça pour quoi ? Vie de merde, appartement de merde ! Mais pourquoi il fait si froid dans ce quartier pourri ? On n’est pas censé être en plein réchauffement climatique ? Pourquoi il fait de plus en plus froid alors qu’il devrait faire de plus en plus chaud ? Ils ont coupé le chauffage dans la cité ou quoi ? Bernadette, on a bien payé la facture de chauffage, ce mois-ci, rassure-moi ? Je suis crevé, moi, tu sais, j’en peux plus, j’en peux plus, j’en peux plus !

BERNADETTE : Chut !

NICK : Quoi, chut ?

BERNADETTE : Il ne faut pas crier, sinon il va s’enfuir !

NICK : Qui va s’enfuir ? Il y a quelqu’un ? Il y a qui avec toi ?

BERNADETTE : Là, tu le vois pas ?

(Elle lui montre le vide.)

NICK : Non, je vois personne, il n’y a personne !

BERNADETTE : Ne crie pas comme ça, il est très sympa mais il est très timide. Tu vas le faire fuir ! Oh, regarde, à cause de toi, il saute par la fenêtre !

NICK : Mais qu’est-ce que tu racontes ?

BERNADETTE (criant dans le vide) : Attends, attends, Ken, ne t’en va pas, on s’amuse tellement bien tous les deux, on rigole ! J’en ai une autre ! Tu connais la blague de la chaise?

NICK : Mais, Bernadette, tu me fais peur, à qui tu parles?

BERNADETTE (continuant à parler pour le vide) : T’as pas deviné, hein, Ken? Tu donnes ta langue au chat? Hé bien, elle est pliante!!! (Elle éclate de rire) T’as compris? La chaise, elle est pliante!

NICK (haussant un peu la voix pour se faire entendre) : Bernadette, regarde-moi ! Réponds-moi, qu’est-ce qui se passe ?

BERNADETTE: Ah non, le voilà qui revient, Ken revient ! Bravo Ken !

(Ken fait son entrée. Il porte des vêtements hawaïens, des tongs et des lunettes de soleil.)

NICK : Mais de qui tu parles, bon dieu ? Tu vois bien qu’il y a personne ! 

BERNADETTE (à Ken) : Il ne peut pas te voir.

KEN : Non, il ne peut pas. Comme toi tout à l’heure. Il ne va pas bien ?

BERNADETTE : Comme moi tout à l’heure. Sa vie est triste. Le pauvre, il a froid.

(Nick aperçoit une boite qui traîne par terre. )

NICK : C’est pas vrai, Bernadette, tu as  pris de l'O-Méga? (en colère) Mais tu es malade ? C’est hyper-dangereux, on le sait maintenant, plus personne n’en consomme, c’est interdit, c’est écrit sur la boite, en lettres majuscules, tu vois pas « L’O-MEGA TUE RAPIDEMENT », on ne s’en sert plus que pour le chauffage, tout le monde sait ça, on l’apprend à l’école, et toi, tu en prends, tu veux te ravager le cerveau, c’est ça ?

BERNADETTE : Oh mais c'est bon, j'en ai pris qu'un petit peu. Et j’ai chaud maintenant. Moi, je suis bien en tout cas. Regarde, je vais me baigner, avec Ken, dans la piscine de l’O-Mega, il va me la construire spécialement pour moi. Et il va mettre des palmiers aussi. Des transats avec des cocktails. T’auras qu’à t’en servir un pendant qu’on se baigne avec Ken ! 

NICK : Mais où tu vois une piscine ? C’est n’importe quoi !  On est dans un appart gelé parce que tu bouffes notre chauffage, pauvre conne !

KEN : Il faut que tu lui demandes de venir avec nous. Il ne peut pas rester comme ça, dans son gros manteau, à se les cailler au bord de la piscine, pendant que nous, on va se baigner ! C’est pas cool, il faut qu’il en profite, lui aussi ! Et puis, s’il vient, ça sera plus facile, de construire la piscine !

BERNADETTE : Prends-en un petit peu, Nick, il en reste pour toi. Ca va te faire du bien.

NICK : Non, je suis pas un dingue, moi ! J’utilise le chauffage pour me chauffer, pas pour me cramer le cerveau.

BERNADETTE : Tu sais très bien que notre pompe à chaleur est toute vieille et toute merdique. Si tu y passes le dernier carré d’O-Mega, elle va mettre au moins une heure à chauffer, et encore, ça dépassera pas les 15. Tandis que si tu en croques, ne serait-ce que la moitié, hop, en trois minutes, tu es réchauffé et tu peux venir te baigner à avec nous dans la piscine. Tu vas voir, Ken est vachement sympa, il m’a promis qu’il allait m’apprendre le crawl.

NICK : J’en ai rien à foutre de Ken. Je veux pas apprendre le crawl, je veux juste avoir un tout petit peu chaud après une dure journée de boulot !

BERNADETTE : Justement. Allez, prends-en toi aussi. Ca va te réchauffer beaucoup plus que la pompe à chaleur. Tiens, regarde, t’en prends juste la moitié. Comme ça, il nous reste l’autre moitié pour le chauffage tout à l’heure.

NICK : Attends, t’es sûre qu’elle marche au moins, la pompe à chaleur ? Parce qu’avec un demi-carré, on arrivera pas à la rallumer. Faut pas déconner avec ça.

BERNADETTE : Mais oui, je t’assure, moi aussi j’ai pris qu’un demi-carré, j’ai mis l’autre dedans, pas de problème, on la relancera tout à l’heure, là, on va se faire juste un peu de bien ! Tu vas voir comme tu vas te sentir bien !

(Nick avale le demi-carré d’O-Mega.)

KEN : Alors ?

NICK : Ah oui, on se sent tout de suite mieux ! Whaou, le chauffage central, ça circule de partout ! Alors, c’est toi, Ken ?

KEN : Comme tu vois. Et elle, là, regarde bien, c’est Barbie.

(Barbie fait son entrée : une fille en paréo avec des fleurs dans les cheveux. Musique de yukulélé.)

BARBIE : T’en as mis du temps, Nick, j’ai cru que j’allais pas pouvoir faire mon entrée en « Barbie à la plage ». C’aurait été dommage, quand même, moi aussi, j’avais bien envie de me baigner avec vous. Oh, Bernadette, j’adore ton maillot, surtout sa couleur, magnifique, ma chérie.

BERNADETTE : Oh c'est gentil, je suis ta plus grande fan, Barbie, depuis ma première poupée !

NICK : Je commence à avoir vraiment chaud. Ce qui m’embête, c’est que j’ai pas de maillot. J’ai que des vêtements d’hiver, c’est tout le temps l’hiver ici.

KEN : On s’en fout ! Tu peux te mettre en caleçon !

BARBIE : Personne te voit à part nous !

(Nick se décide à enlever son manteau et ses habits d’hiver. Il se retrouve en caleçon et en maillot de corps.)

KEN: Voilà, on est tous prêts, hey, ça vous dirait d'aller dans la piscine?

NICK: Mais quelle piscine? On n’a pas de ..

(La piscine apparait.)

Oh, la piscine!

BERNADETTE: Alleeeeeez!

(Ils vont tous dans la piscine. Ils nagent, ils s’éclaboussent.)

BARBIE : Tu sais quoi Bernadette, si je devais me métamorphoser, ça serait en toi ! Tu es tellement belle, intelligente et forte !

BERNADETTE: Oh c'est vrai? Arrête, tu vas me faire pleurer !

KEN : Waouh, Nick, t'es musclé ! Tu me l'avais caché, Bernadette !

BERNADETTE (en riant) : Il fallait bien te cacher quelque chose, sinon plus de mystère !

NICK: Ah qu'est-ce qu'on est bien!

BERNADETTE: Tu vois, je te l'avais dit!

KEN  (se lève dans la piscine) : Quelqu'un re-veut quelque chose ?

NICK : Oh oui, moi je veux bien!

BERNADETTE : Moi aussi, steplait !

BARBIE : Attends, je viens t'aider!

(Ken et Barbie sortent de la piscine, puis de la scène. En les attendant, Nick et Bernadette continuent à nager. Mais la piscine disparaît peu à peu.)

NICK : Il commence à faire vraiment froid, tu trouves pas ?

BERNADETTE : Ils sont où, Ken et Barbie ?

NICK : Je sais pas, ils sont partis, ils mettent du temps à revenir. J’ai envie de relancer un peu le chauffage.

(Bernadette et Nick se dirigent vers le tuyau de la pompe à chaleur.)

BERNADETTE : Mon dieu! La pompe à chaleur, elle ne fonctionne plus!

NICK : Comment ça? Mais tu m’as dit qu’elle marchait tout à l’heure ?

BERNADETTE : Bah oui, mais elle s’est éteinte !

NICK : C’est pas possible, ils nous ont quand même pas coupé le chauffage en plein hiver, ces salauds ?

BERNADETTE : Mais c’est tout le temps l’hiver.

NICK : Tu as bien pensé à payer la location mensuelle, rassure moi ? Je paye le loyer et tu payes la nourriture et le chauffage, c’est bien ça ? Hein, c’est bien comme ça que ça fonctionne ?

BERNADETTE: Je suis désolée, je n'ai pas pu ce mois-ci ! J'étais dans l'impasse financièrement, j’ai préféré privilégier la nourriture.

NICK (énervé) : Oui! Et l'O-Méga aussi! Pour te l’envoyer !

BERNADETTE: Ne dis pas ça, tu étais bien content d'en avoir tout à l'heure!

NICK: Oui, mais je ne pensais pas que c'était à la place de la pompe à chaleur! A cause de toi, nous allons finir gelés ! Tu te rends compte, pauvre débile, que tu nous as condamnés à mort ? Avec un froid pareil, sans chauffage, dans notre état, je crois qu’on va pas s’en sortir, Bernadette.

BERNADETTE : Qu’est-ce que tu dis, Nick, on va mourir cette nuit ?

NICK: Bah oui, ma chérie, de froid, dans notre petit appart. Je pense pas qu’on sera les premiers. Au boulot, ils vont peut-être mettre quelques jours à s’apercevoir qu’il y a plus personne dans le terminal de contrôle. Je crois qu’ils seront un peu étonnés de nous retrouver en caleçon et en maillot de bain. On sait jamais, ça les fera peut-être rigoler ?

(De nouveau la musique hawaïenne.)

LA VOIX DE BARBIE : Oh hé !

LA VOIX DE KEN : Vous nous voyez encore un peu ? Levez les yeux, on est à l’étage au-dessus !

LA VOIX DE BARBIE : On se baigne dans la piscine du ciel, elle est immense, elle est tiède, il y fait toujours beau !

LA VOIX DE KEN : Venez nous rejoindre !

LA VOIX DE BARBIE : Vous n’aurez plus jamais froid.

LA VOIX DE KEN : On sera toujours tous les quatre !  

LA VOIX DE BARBIE : Montez, on vous attend!

LA VOIX DE KEN : Allez-y, c’est facile !

LA VOIX DE BARBIE : C’est si facile !

(Pendant ces répliques, Nick et Bernadette se sont partagés le demi-carré d’O-Méga, puis se sont étendus dans le canapé. Tandis que le noir descend lentement, la musique hawaïenne laisse peu à peu la place à une sirène de pompier.)

 

Par eleveoption | le 09 février 2017 14:41