- le site de la Comédie Française, à consulter : http://www.comedie-francaise.fr/
- Un dossier pédagogique sur le spectacle : http://www.comedie-francaise.fr/images/telechargements/dossier_filalapatte1213.pdf
- Quelques articles critiques :
http://www.lepoint.fr/culture/un-feydeau-a-la-sauce-deschamps-02-01-2011-1281244_3.php
- un extrait du spectacle : l'entrée en scène de Christian Hecq : http://www.youtube.com/watch?v=ZDKbxtO8O90 /
- interview du metteur en scène
- http://videos.arte.tv/fr/videos/theatre_un_fil_a_la_patte_--3625242.html
Trouver la bonne humeur. Les pièces de Feydeau, un peu comme chez Laurel et Hardy, sont souvent une suite de déconvenues ou de malheurs – qui naturellement provoque le rire. Mais il y a chez lui un art de la construction poussé à la perfection... Souvent, au théâtre, les scènes de transition sont celles où l’auteur – même s'il est grand – « rame » un peu, où l'écriture peut être laborieuse. Eh bien, chez Feydeau, il n'y en a pas, rien n'est écrit pour armer le tir de la scène suivante. La mécanique, l'horlogerie, sont parfaitement réglées. Le génie de Feydeau réside dans l'art des contrastes, dans la mise en situation des obsessions de chacun, et dans l’entremêlement des situations. L’idée par exemple de mettre Marceline en scène avec cette obsession du déjeuner. Et cela depuis la première phrase du spectacle... Elle a faim. Il y a donc là quelqu’un qui a faim tout le temps. Qui attend ses œufs. Qui attend et ne fait qu'attendre. Quel incroyable ressort. Ce procédé est repris avec Fontanet, qui lui sent mauvais. Avec Bouzin, qui ne fait que des choses méprisables (jusqu'à ce qu'on croit qu'il a de l'argent !), avec le général, qu'on traire de tous les noms (mais qu'on admire aussi parce qu'il a de l'argent) L'autre ressort, bien sûr, est un emploi étourdissant des mots d’esprit : le fait par exemple de commenter la chanson de Bouzin de cette manière : « On dirait la chanson d’un homme d’esprit qui l’aurait fait écrire par un autre ». Et d'enchaîner avec Fontanet qui dit avoir essayé d’en écrire mais qu'il n’arrivait pas à trouver la fin ; quand on lui demande : « Comment fîtes-vous » et il répond : « Comme je pus ! ». Si ce texte est parsemé d’explosifs destinés à faire rire, pour qu'il fonctionne, il faut qu’on soit dans un rythme, dans la musicalité et dans l'harmonie de tout cela. Il y a de la pensée, mais il faut que celle-ci s'enchaîne, que le cerveau du spectateur fonctionne à une certaine cadence, faute de quoi il n'est pas crédible que les personnages disent toutes ces énormités, ces mots d'esprits qui parfois leur échappent, ces phrase-réflexes qui déchaînent le rire. Les personnages de Feydeau ne sont pas grandioses, ni par leurs sentiments, ni par leurs valeurs. Ils n'ont pas de hauteur de vue. Ils sont pris dans la machine, ils sont à l'intérieur de la mécanique. C'est cela qui est drôle et c'est cela, à mon avis, qu'il faut jouer. Je suis de ceux qui pensent qu’une grande part du travail du metteur en scène consiste à mettre les comédiens en situation de désir ; désir de jouer, bonheur d’être sur scène. Ces éléments comptent pour moi autant que toutes les trouvailles qui peuvent être les nôtres. Il faut trouver la bonne humeur... la belle humeur ! J’ai tourné le dos à ce que l’on appelle le travail à la table. Je préfère réfléchir chez moi et faire en sorte que pendant les répétitions, les choses se passent. Qu'elles ne soient pas le temps où l'on prend du recul par rapport à ce qu’on fait. J’essaie de travailler (comme le disait Vitez) ici et maintenant. Particulièrement chez Feydeau, la répétition n'est pas là pour que les acteurs collectent des intentions qu’ils mettront en œuvre plus tard. Il ne s'agit pas de dire : « Ah oui, je comprends ce que tu souhaites, je le ferai plus tard ». Il s'agit de le faire ! J’aime mieux passer mon temps à confronter les « animaux fragiles » que sont les acteurs à des situations à chaud. C'est là qu'on voit des couleurs, qu'on entend les voix. Il n'y a aucun intérêt, surtout avec Feydeau, à se plonger dans les méandres de la psychologie. Il n'y a que le ressort, le ressort social. Les personnages de Feydeau sont comme pris au milieu d'une bataille navale. Il leur arrive d'être malins, mais ils ne sont pas plus malins les uns que les autres. Ils sont stratégiques, tout le temps. Ils livrent de petites guerres.
Précision et inventivité. S'il y a un auteur qui, selon moi, ne s’est pas trompé dans ses recommandations, dans la rédaction de ses didascalies, c’est bien Feydeau. Je pense donc qu’il y a grand danger à
5s’éloigner du respect de ces didascalies. Je me suis donc amusé, avec Laurent Peduzzi qui signe le décor, à faire un relevé assez scrupuleux des demandes de Feydeau. Elles portent sur des points aussi précis que la place du tabouret, la distance entre une porte et une table. Ensuite, nous avons rêvé. Nous nous sommes dit qu'il fallait peut-être marquer assez précisément le niveau de vie, ou le mode de vie des uns et des autres ! L'intérieur de chez Lucette est chaleureux, un certain nombre d'hommes y ont défilé, et s'y sont sentis bien. Nous avons marqué de façon assez forte aussi le décor de la Baronne ; bien sûr c'est un hôtel particulier, il y a de l'argent, mais c'est assez austère, ce n'est pas fastueux, car chez ces gens on ne dépense pas sans compter. Et puis le décor de l'acte III, chez Bois d’Enghien, n'est quant à lui pas situé dans un immeuble somptueux, puisqu'il n'est pas dans la même situation sociale que sa future épouse. Avec Vanessa Sannino, qui signe les costumes, nous avons fait une entorse au respect scrupuleux des indications de Feydeau pour aller non pas vers la mode de 1893, mais vers celle, plus élégante et plus inventive, littéralement ravissante, du début du XXe siècle ; c'est elle qui nous a inspirés. L'invention des costumes nous a permis de rejoindre le merveilleux savoir-faire et la finesse du travail des différents ateliers de la Comédie-Française. Modistes, couturières, chapeliers..., tous ces métiers auront leur part dans le bonheur que ce spectacle procurera, nous l'espérons, aux spectateurs.
Jérôme Deschamps, octobre 2010 Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française