Petite fille, toi qui viens de voir Ô les beaux jours de Beckett. Toi qui viens de voir cette image morbide de Winnie enterrée jusqu’au bassin, puis jusqu’au cou, tu as vu cette femme assister à sa propre fin. Toi qui viens de voir cette arme nommée Brownie qui lance de belles balles meurtrières. Et toi qui a remarqué la représentation d’un ciel au fond de la scène, tu t’ai imaginé le chemin de la mort, enseveli sous terre, suit ce chemin lugubre qui t’accompagne jusqu’à ce ciel étoilé. Mais quels sont ces beaux jours ? Toi qui, pendant plus d’une heure a pensé au titre C’est une belle journée de Mylène Farmer.
« Tirer sa journée ».
« Oh le beau jour encore que ça aura été, encore un ! Malgré tout ».
« Le vieux style ».
« Si peu à dire, à faire, beaucoup de craintes ».
Avec l’écoute du texte et la scénographie, tu as vu à quel point Beckett a réussi à écrire et à faire mettre en scène toute l’absurdité du monde dans lequel tu vis et toute la vacuité de la vie. Tu as ri aux jeux de mots tels que « je me suis fait mal au cou, ça valait le coup ». Tu as vu Winnie, un personnage qui paraît stoïque et Willie, son mari qui a l’air de ne plus avoir de courage ni d’espoir. Tu as compris que Winnie représentait un Homme courageux face à l’immobilité, le temps qui s’écoule, la solitude, la mort. Tu as interprété cette pièce de la manière suivante : le dépérissement de l’être humain en route vers le néant tout en gardant espoir, en se répétant chaque jour que c’était une belle journée, encore, il ne faut rien regretter et vivre les choses comme elles se présentent et les accepter ainsi quand l’être est dans l’incapacité de les changer. Tu es restée bouche-bée face à l’idée de lenteur à laquelle une journée peut passer et face à la réalité : la vie te bouffe, elle te passe entre les doigts et ne te laisse presque aucune issue. Tu as donc plus qu’aperçu et pensé à Brownie, te demandant si oui ou non le couple allait s’en servir pour mettre un point final à toutes ces journées passées dans l’ennui, à ce qu’ils appellent la vie. Petite fille, tu as sans doute voulu te lever de ton siège rouge pour aller sauver Winnie de ce trou noir qui l’aspire et secouer Willie pour qu’il réponde enfin à sa conjointe qui ne demande que ça. Lors de la représentation tu as émis l’idée de pouvoir fermer tes yeux un instant, les rouvrir et admettre que rien n’avait bougé. Tu as vu à quel point l’Homme peut être réduit à l’état de bête, Willie ne parle pas et ne se déplace jamais debout, ainsi que Winnie qui parle sans sens, sans cesse, sans réel lien logique, elle te fait penser à une poule –blablabla|cotcotcot-. Lorsque sur ta rétine tu as imprimé la dernière image, synonyme d’espoir, du couple qui se regarde dans les yeux, séparé par quelques centimètres, tu entends un son strident et BAM la lumière s’éteint. Tu comprends alors qu’il est trop tard, c’est fini, la fin a sonné. Tu ne peux pas le nier, Beckett t’a envoyé en pleine figure la dure réalité de la vie, encore. Petite fille, tu vois alors toutes les lumières se rallumer, tu entends ce tonnerre d’applaudissements et aperçois les deux comédiens devant toi. Mais ça ne change rien, tu te le dis quand même « Adieu vieille dame ».