Romeo and Juliet
Voici l’histoire d’une cité, de deux familles et de deux amoureux. C’est une histoire fort ancienne, une histoire maintes fois racontée par toutes sortes de gens, dans toutes sortes de langues. Certains en ont fait des poèmes, d’autres des ballets, des chansons ou des films. William Shakespeare la présenta dans un théâtre de Londres vers 1594-1596. Si vous pouviez vous transporter dans cet endroit, à cette époque, vous constateriez que Londres était alors beaucoup, beaucoup plus petit que les capitales d’aujourd’hui. Les rues étaient étroites et sales, les maisons à colombages de bois et de plâtre étaient surpeuplées. Au-dessus d’elles se dressaient la Tour de Londres avec ses salles de torture, ses prisons et son échafaud, ainsi que la cathédrale Saint-Paul emplie de cantiques et de prières, d’encens et de solennité. C’était une période très sombre. L’Angleterre était en guerre, et beaucoup de gens mouraient en Irlande et dans les Pays-Bas. Les rues de Londres grouillaient d’hommes prêts à tuer et à se faire tuer. Certains se cachaient parce qu’ils avaient déserté l’armée. D’autres, rendus infirmes par leurs blessures, étaient obligés de mendier. Des centaines de Londoniens étaient emportés par la peste, et un grand nombre d’autres mouraient de faim quand les récoltes étaient mauvaises. Les émeutes étaient fréquentes. Et dans la campagne proche, des paysans en colère renversaient les clôtures que les riches avaient dressées autour de leurs terres pour les empêcher d’y faire brouter leurs bêtes. Pendant ce temps, à la cour, la reine Elisabeth 1re était elle-même en danger. Certaines vieilles familles nobles pensaient en secret que le pouvoir devait leur revenir – sinon tout de suite, du moins à la mort de la souveraine. Et d’autres, récemment enrichies, estimaient également avoir voix au chapitre. La reine Elisabeth et ses conseillers étaient impitoyables envers les opposants. Ils employaient des espions, et leur police emprisonnait, torturait et exécutait des centaines de personnes. Au milieu de toute cette violence, quelque chose d’étonnant, de merveilleux, de passionnant était en train de se produire : une révolution dans la façon de se divertir. Il existait désormais des lieux où des histoires se déroulaient devant vos yeux. C’est ainsi que l’on pouvait voir une reine assoiffée de pouvoir sombrer dans la folie, un roi cruel tuer un messager porteur de mauvaises nouvelles, une foule se révolter. Tantôt c’était un ivrogne qui titubait en lançant des plaisanteries grossières, l’instant d’après, un combat à l’épée, ou un fantôme rappelant à quelqu’un les actes terribles commis dans le passé. Dans ces nouveaux lieux, des gens se tenaient face au public pour lui faire part de leurs sentiments les plus profonds. Ils expliquaient qu’ils étaient follement, passionnément, éperdument amoureux, ou qu’ils haïssaient quelqu’un au point de vouloir le détruire, ou encore quel désespoir était le leur parce qu’ils ne trouvaient pas le courage d’accomplir leur devoir… Ce qui était en train de naître dans ces lieux, c’était – c’est – le théâtre. Et ce fut dans l’une de ces salles de théâtre, à Londres, vers 1594-1596, que William Shakespeare et une troupe d’hommes et de femmes des plus ordinaires se réunirent autour d’une nouvelle italienne et en firent l’un de ces prodigieux et tout nouveaux divertissements.
In " Romeo et Juliette de Shakespeare " par Michael Rosen et Jane Ray, 2003 Edition hachette Livre /gautier-Languereau