« Je suis restée à peu près six mois à l’arrière du front les premiers mois j’étais en position d’assistante infirmière et puis j’ai pris la place d’une infirmière. J’ai donc appris sur le terrain.

Les camps de repos et de soin n’était pas très joyeux, juste le fait que le camp de repos se situait tout près du camp des soins, les hommes entendait les cris de souffrance des hommes bientôt en fin de vie ce qui n’arrangeait pas leur moral. Moi, je le vivais tous les jours les cris les pleurs le sang la douleur. Je m’occupais aussi d’écrire des lettres de soutien aux combattants sur le front. Ils m’en écrivaient certaines en retour quelques fois.

Certains m’expliquaient leurs conditions de vies qui étaient insoutenables et le manque de nourriture qui n’arrangeait pas les choses. De plus, des hommes blessés légèrement mais pas assez pour revenir au camp de soin mourraient lentement et douloureusement, chaque nuit, des infections qui faisaient suite à leurs blessures.

En effet, l’Etat ne pouvait pas envoyer beaucoup de munitions d’un coup surtout que les Allemands attaquaient de partout et que la durée de cette guerre affreuse était indéterminée. L’armée préférait donc prendre leurs précautions et garder des munitions et de la nourriture de coté si une grande attaque arrivait, ce que je comprenais parfaitement mais que je trouvais quand même injuste.

Moi comment je me sentais ? J’essayais juste de tenir le coup je me disais qu’il y avait pire que ma position, comme ces hommes sur le front qui voient leurs amis mourir sous leurs yeux ou les familles qui apprennent la mort de leurs fils, de leurs frères et de leur père. Je me disais que chaque personne souffrait de cette guerre de différentes façons mais qu’il y avait toujours pire. Je savais au fond de moi que tout le monde ressentait la même chose :  de la peur, de la souffrance et l’envie que cette guerre se termine une fois pour toute.

Dans mes lettres j’essayais de redonner vie aux combattants déjà surement morts psychologiquement. J’avais rarement de retour des lettres, quand elles arrivaient ont-elles revenaient sous formes de paquets, je signais les miennes avec mon surnom : « Madel ». Certaines lettres m’étaient destinées et mes collègues me les passaient. Je recevais au moins une fois tous les deux jours une lettre d’un soldat nommé Lucien, il essayait de tenir bon avec toutes ces horreurs qu’il me détaillait dans ses lettres. Plus le temps passait plus je m’attachais à ce jeune homme même si je ne possédais que quelques informations le concernant : son âge 25 ans et son prénom. Je m’attachais de plus en plus à lui.

Un jour les camps étaient remplis, il n’y avait plus de place et les hommes étaient par terre. J’attendais sa lettre avec impatience, il devait surement y avoir une grande bataille qui se passait vu le nombre de blessés que nous avions reçu ce jour-là. On entendait même de notre position les obus et les mines qui explosaient sur le front. Au final, je ne reçu jamais sa lettre malgré mon impatience. Je persistais à croire que les lettres avaient été retardées. Au bout d’une semaine, toujours pas de lettre, je n’avais plus que des pensées négatives, mon pauvre soldat avait dû périr. Je m’étais attaché à lui, j’avais partagé tant de souvenirs et tant de rêves avec lui.

Deux semaines plus tard, on m’envoie dans le service de réanimation du camp qui était à seulement à quelques centaines de mètres de mon ancien service. Ici, on apprenait chaque jour et on devait se former à nos propres spécialités, c'est-à-dire tout.

C’est le lundi de la semaine suivante que j’ai dû renouveler la liste des patients ou du moins essayer avec tout le nombre qu’il y avait et tous ceux qui étaient, soit transférés dans un autre service, soit ceux qui mourraient de leurs blessures.

Et c’est là où je découvris le nom d’un homme écrit sur le devant de son lit. Il dormait si paisiblement et était bel homme. Son nom m’interpella mais sans plus, et je continuais mon travail. Quelques heures plus tard, l’infirmière en chef venue me voir pour me donner de nouvelles instructions, me passa un message : un homme cherchait une infirmière marraine de guerre surnommée « Mel » ! En apprenant la nouvelle, je suis restée abasourdie, et ne pouvait plus bouger. Mon cœur battait si fort que je croyais qu’il allait sortir de mon corps.

L’infirmière m’indiqua l’emplacement du jeune soldat qui m’était familier de nom. Mais comment aurais-je pu savoir. Je vois des centaines d’hommes tous les jours et des millions de noms toutes les semaines. Comment aurais-je pu me souvenir de cet homme un mois après sa disparition ? Après tout je n’avais même pas eu le temps de me souvenir de quoi que se soit surtout pendant cette guerre car je me disais sans cesse que si on vivait en nous remémorant le passé nous n’aurions plus d’avenir. Donc ce soldat était bien mon soldat des lettres, mon jeune soldat du front. Je mis du temps avant de m’avancer vers lui et de commencer à me présenter, et à lui parler.

J’avais peur et en même temps j’était heureuse, mais tout de même effrayée. Je m’avançai de plus en plus vers lui : il était assez grand, bien bâti, avec des cheveux bruns pleins de boue. Il était plutôt attirant, le genre d’homme qui a toutes les filles à ses pieds. Mais dans ses lettres, il disait qu’il n’avait jamais connu de relation sérieuse sur tout ce qui était dans le domaine des filles. Il regrettait bien sûr certaines de ses erreurs mais il respectait les femmes et disait qu’il « n’y avait pas plus belle créature sur terre ». Il était un peu philosophe dans ses lettres et en réalité il avait l’air d’un beau parleur, le genre d’homme qui parle beaucoup mais qui n’agit jamais ou qui n’a jamais rien fait de sa vie.

Mais à cet instant je me suis dit qu’il fallait que j’arrête mes préjugés. C’est une promesse que je me suis toujours faite à moi-même « ne jamais juger un livre sur sa couverture ». Je pris mon courage à deux mains et m’avançai d’un peu plus près de façon à ce qu’il m’aperçoive mais il avait l’air concentré. Sur son lit, dos à moi, je m’avançai de plus en plus curieuse de voir ce qu’il faisait … il était entrain de relire une lettre.

Je l’interrompu délicatement et je me présentai à lui et je lui demandai : « vous me cherchiez monsieur ?». Il me répondit : « vous êtes bien Madel ? », et moi je lui répondis tout simplement oui c’est mon surnom que j’utilisais avec une certaine personne dans les lettres que j’envoyais, une personne envers qui je m’étais beaucoup attachée. Que cela faisait des mois que l’on s’écrivait mais que cela va bientôt faire un mois que je n’avais plus de nouvelles de lui…

« Êtes-vous Lucien ? » lui dis-je d’un ton désespéré face à son regard perçant. Il me demanda tout d’un coup de m’assoir au près de lui et me dit exactement cette phrase : « Je suis Antoine le compagnon de Lucien, je viens vous apprendre son décès. Je suis sincèrement désolé mais j’étais obligé de vous l’apprendre car il me la fait promettre. Il a surement déjà du parler de moi dans certaines de ces lettres. Ce n’est que par pur hasard que je suis là aujourd’hui. Il voulait que je vous dise aussi qu’il vous aimait énormément et qu’il n’a jamais autant aimé une femme comme vous même s’il ne vous a jamais vu… »

J’ai commencé à pleurer dès les premiers mots de cet homme. Les larmes coulaient sur mon visage, des larmes de tristesse et de souffrance… moi aussi je l’aimais…

Son compagnon continua donc :

« …vous aussi vous avez l’air de beaucoup l’aimer et il voulait vous dire que vous êtes une femme pleine de sincérité et de lumière et qu’il ne fallait pas que vous changiez votre personnalité. Il veut que vous restiez la même.

Il a perdu toute sa famille, comme vous le savez déjà, sa seule raison de garder la foi chaque jour et d’aller se battre était l’idée qu’il faisait ça pour vous protéger, vous Madel, il n’arrêtait pas de nous parler de vous soir et matin. Il nous cassait les pieds à parler et à parler, mais il était attachant. Il m’a demandé de vous transmettre ceci après sa mort si j’arrivais jusqu’ici tenez c’est sa dernière lettre … »

Mes larmes de tristesses devenaient de plus en plus légères « il est mort mais il m’aimait » et moi aussi je pris la lettre et remercie ce cher compagnon mon visage encore plein de larmes et toute rouge. »

 

Madeleine Lefèvre est décédée à 49 ans. L’homme avec qui elle échangeait ses lettres est décédé lors de la guerre en succombant à ses blessures. Malgré ce choc, elle continua jusqu’au bout à soigner les soldats blessés jusqu’à la fin de la guerre. Après cela, malgré la difficulté de se remettre, elle continua à travailler en tant qu’infirmière dans l’hôpital de son village et a pu refaire sa vie avec un autre homme même si elle n’oublia jamais son soldat.

Nous avons donc fait des recherches pour retrouver ce mystérieux soldat et nous avons seulement trouvé des dossiers avec ses informations comme son prénom et son nom de famille mais il n’y avait aucune autre information sur lui ou sur sa vie. Ce soldat mystérieux le restera pour longtemps. Nous avons réussi à garder quelques lettres de Madeleine mais nous n’avons pas retrouvé la dernière lettre que ce soldat lui a laissé à sa mort…

 

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Texte écrit et imaginé par Léa Duray et Kenza Abdellaoui - Mars 2016