Mémoires de guerre d’un soldat français.

 

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La première fois que l’on m’a demandé de raconter mon expérience en tant que combattant, je ne savais pas par où commencer… Il m’était difficile de mettre des mots sur ces évènements tragiques que la France venait de subir durant ces quatre années de guerre. L’émotion et les souvenirs associés à cette horreur sans nom étaient trop douloureux. Mais aujourd’hui, 10 ans plus tard, je me sens enfin prêt à replonger dans cet épisode de ma vie et  c’est pour cela que j’accepte de vous en faire le récit.

 

Il y a 10 ans jour pour jour tout commençait. Depuis presqu’un an, la France était en état de guerre, tout le monde devait y contribuer, aucun civelot[1] en bonne santé ne pouvait y échapper. Ma femme, mes enfants de 11 et 10 ans et moi-même avons été contraints de quitter notre maison pour partir en ville où nous devions travailler dans les usines d’armements du gouvernement. Mais le 12 février 1915, alors que ma famille et moi commencions à relativiser sur le fait que l’on était ensemble, dans la même usine, et logés dans le même appartement, une déclaration à la radio demandait à tous les hommes entre 18 et 50 ans de se présenter au bureau de guerre. Laissant derrière moi ma famille à Paris, je fus emmené au front, destiné à être un bigorneau[2] français. Je suis arrivé le lendemain matin après une nuit de trajet, durant laquelle j’ai pensé à tous les scénarios possibles, dans la tranchée Ricou, qui se situait à Boisselle, dans le Nord-Pas-De-Calais. Le général nous a expliqué comment cette tranchée fonctionnait et son cheminement avec les autres, le principe des roulements jusqu’au cagna[3]. Je compris vite qu’il serait impossible pour moi d’avoir la chance et le temps de retourner jusqu’à Paris voir ma famille et cette première souffrance me fit perdre foi en la victoire. Je n’avais pas commencé que je voulais déjà abandonner. Mais l’ambiance de la tranchée me replongea rapidement dans la réalité et je décidai de m’accrocher avec comme optique de réussir au plus vite à vaincre l’ennemi afin d’en finir avec tout ça. Nous avons reçu notre matériel et notre barda[4], puis peu de temps après c’était l’heure pour moi de goûter au massacre dont j’avais tant entendu parler auparavant. Nous étions constamment sous tension et à tout moment, l’ennemi pouvait attaquer.

On entend souvent dire que les conditions de vie étaient rudes à la guerre. Et je dois avouer qu’il n’y a pas de mot décrivant le quotidien des poilus. Et chaque jour, en plus de la fatigue des combats et des nuits très courtes que nous passions, nous devions réaliser des corvées telles que le nettoyage des latrines, de la cambuse[5] ou encore le remplissage des sacs de sable afin de garder un ordre et une organisation parfaite. La croute[6] se faisait rare et je perdais mes forces à une vitesse époustouflante tant j’avais faim. Nous rêvions tous d’une boule[7] ou d’un peu de criq[8]. La mort, elle, était infatigable, tous les jours je voyais mes compagnons tomber devant mes yeux sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Le moment le plus déchirant en dehors du fait que je voyais des hommes tombés à chaque instant, fut quand je perdis mon frère de tranchée, blessé par les ennemis, et achevé par ma propre balle. Lui et moi, on s’était trouvé peu après mon arriver dans la tranchée, lui était là depuis plus longtemps et il m’appris beaucoup sur les positions des ennemis, son savoir était immense et son soutien m’était essentiel.

Puis un jour, c’était mon tour, le 26 mars 1916, je me suis trouvé au mauvais endroit… En effet, après une année à lutter pour vaincre l’ennemi, une abeille[9] éclata dans notre tranchée et la détruisit en totalité. Pour ceux qui n’avaient pas explosé, il fallait tenter le tout pour le tout : courir vers la tranchée adverse dans le but de prendre leur territoire et de s’enterrer à nouveau. C’était la notre dernière chance avant d’être abattu les uns après les autres piéger sur la zone de tir des casques à pointes[10]. Ce moment, je me souviendrais toujours, je n’avais jamais eu autant les grelots[11] de ma vie, j’avais sauté la corde à linge[12], j’arrivais dans le « no man’s land », je courrais et lançais des regards à mes compagnons autour de moi, rassurer de les voir a côté, quand tout d’un coup, j’entendis un énorme bruit, une masse noire devant mes yeux puis plus rien…Tout fut trop rapide et lorsque j’ouvris les yeux, je ne reconnu pas l’endroit, il y avait beaucoup de femmes, les odeurs avaient changé et les bruits de guerre se faisaient plus lointains. Immédiatement, je ressenti une atroce douleur et lorsque je me levai pour demander de l’aide, je sentis un vide, effectivement il me manquait une jambe. Après l’explosion de la bombe à 10 mètres de moi, je fus sauvé par un soldat qui me ramena à la tranchée, j’étais inconscient et la croix rouge m’emmena à l’arrière. Je fus amputé et par chance, si puis-je dire, je ne sentis aucune douleur. On me raconta que les infirmières me pensait mort car mon état d’inconscience semblait s’éterniser. À la suite de mon amputation, le général décida de me renvoyer chez moi puisque je ne pouvais plus combattre. J’étais verni[13] et à ce moment je me suis dit une chose que je n’aurais jamais pensé dire auparavant « Mais pourquoi ne pas mettre pris une bombe avant ou moi même tirer sur la jambe ». Car cette opération me permit de retourner à mon appartement avec ma famille, qui elle était très fatiguée. Et même si je travaillais à présent dans une autre usine qui ne sollicitait pas ma jambe, même si ma famille étaient fatigué et même si il me manquait une jambe, j’étais content d’être de retour.

Il est dur pour moi d’aborder ce passage de ma vie, mais je vais vous la raconter une seule et unique foi. Afin de mettre des mots sur cet évènement que j’ai laissé pendant 10 ans dans l’oubli. Le 13 février 1917, la guerre s’était emparée de Paris, elle ne semblait jamais se finir. Une nuit, quelque jours plus tard, nuit dont je ne veux pas me souvenir la date, un tremblement anima tout notre immeuble. Je sautai de mon lit pensant que c’était une dragée[14] qui s’abattait sur notre immeuble. Ma famille dormait et je fus le seul réveillé. Je ne comprenais pas comment il n’avaient pas entendu si ce n’est senti le tremblement. Au bout d’une heure alors que je me rendormais, une aiguille à tricoter[15] venait de tirer une balle dans mon appartement. J’en était sûr ! Je pris mon fusil à mon tour et tira sur le premier corps dont je fis la rencontre. Tout cela se passa si vite, et quand je réalisai... Tout s’arrêta ! Je n’entendais plus le bruit des fusils, juste le bruit de ma femme qui criait et pleurait en même temps. Je ne comprenais pas ce qui venait de ce passer, je venais de tuer mon fils. Mon propre fils tués par ma balle et ce fût là une chose que je ne pourrais jamais réparer,  jamais oublier... Une erreur dont je suis le seul coupable. Cette foutue guerre m’a amené à tuer mon fils. La guerre m’avait rendu fou. J’appris plus tard que j’étais atteint comme beaucoup de soldat de l’obusite. Une maladie qui rend fou.  Je venais de tuer mon fils et ce souvenir ne cesse de me détruire. Je ne sais pas si une guerre recommencera un jour, je ne le souhaite pas, car encore aujourd’hui les traumatismes sont immenses. Grâce à ces 20 longues années pendant lesquelles j’ai été suivi par des médecins, des psychologues et je ne sais quel autre type de professionnels de la santé, je peux enfin voir la lumière. Je ne dis pas que je reprends goût à la vie mais la guerre s’éloigne de plus en plus, tout comme mon fils… Merci à ma femme que j’aime et que je remercie pour m’avoir toujours aimé malgré tout le mal que j’ai fait. Je ne sais pas non plus si un jour ce récit marquera l’histoire mais c’est mon histoire. Avoir réussi à mettre des mots sur ce qui s’est produit ces dernières années est une bonne chose, cela me permet d’accepter le passé et de continuer à avancer.

 

Récit de Pierre CHARLES, le 28 juin 1925 à Aix en Provence.

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Texte écrit et imaginé par Kenza Drissy et Mary Chapman - Mars 2016


[1] Un civil

[2] Un soldat

[3] Un abrit

[4] Ce que le soldat porte sur lui.

[5] Lieu où se fait la cuisine

[6] Le manger

[7] Une miche de pain

[8] De l’eau-de-vie

[9] Petit éclat d’obus

[10] Un soldat allemand

[11] Avoir peur

[12] Le barbelé

[13] Avoir de la chance

[14] Une balle, un obus

[15] La baïonnette