Le massacre de My Lai

Par Seymour Hersh

 

 

Nous sommes en avril 1970, les Etats-Unis sont en pleine guerre au Viêtnam.

Je m’attendais à une journée ordinaire au bureau où je devais écrire un rapport sur l’état de nos armées. Seulement, ce jour-là, un homme m’attendait devant mon bureau. Il s’agissait de Hugh Thompson, un sous-officier de l’armée américaine, pilote d’hélicoptère qui servait au Viêtnam. Il voulait me rapporter un événement qui avait été tenu secret jusqu’à présent par l’armée américaine mais qu’il ne pouvait plus garder pour lui et qu’il se devait de partager.

 

Le 16 mars 1968, l’armée américaine a pris pour cible le village de My Lai au Viêtnam et a massacré tous ses habitants de sang-froid. Voici le récit de ces évènements d’après Hugh Thompson.

Tout d’abord, rappelons le contexte. Suite aux accords de Genève de 1954 et au retrait des troupes françaises, deux états se partagent l’ancien territoire colonisé d’Indochine : Le Viêtnam du Nord, régime communiste et le Viêtnam du Sud, un régime nationaliste. Cependant le Nord cherche à unifier le pays. Mais, les Vietnamiens du Sud sont bien décidés à garder leur indépendance. De plus ils sont soutenus par les États-Unis qui les protègent afin de défendre les idéologies propres au capitalisme. Une guerre résulte de ce conflit en 1955, avec en 1965 l’intervention des Etats-Unis.

Tout a commencé par une information non vérifiée. En janvier 1968, d’après des espions, un bataillon de l’armée du FNL (Front national de libération) plus communément appelé le Viêt-Cong, ennemi du Sud-Viêtnam et donc des Etats-Unis, battrait en retraite et se réfugierait dans le village de My Lai, un village sud-vietnamien près du golfe du Tonkin et proche de la limite du Nord-Viêtnam.

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US forces in Vietnam, 1965. (Credit: Horst Faas)

 

Hugh Thompson nous décrit ce qu’il s’est passé :

« Le 16 mars 1968, les soldats étasuniens dirigés par le lieutenant William Calley sont entrés dans le village avec pour ordre de « nettoyer la zone », des supérieurs les avaient informés qu'ils se battraient à My Lai contre l'unité Viêt-Cong, mais ils se sont rendu compte qu’il n’y avait que des civils. Ils ont rassemblé tout de même les civils, ont mis le feu au village et aux cultures et dans un élan de violence ont massacré toute la population sans discernement. Ils se sont attaqués à tout ce qui bougeait, humains et animaux, avec des grenades et des mitraillettes, aidés par des hélicoptères de combat.

Ceux de la Compagnie Charlie, nom du bataillon, agissaient de la manière suivante : ils mettaient d’abord le feu aux cabanes et attendaient que les gens s’en échappent pour les tuer. Ils faisaient ensuite irruption dans les maisons et tiraient sur les habitants qui restaient. Enfin, ils rassemblaient les civils survivants en groupe et puis les exécutaient. Les soldats ont abattu des hommes non armés, des femmes, des enfants, des personnes âgées et même des bébés. Des familles entières ont été tuées sans pitié. Des personnes sans défense et inoffensives sont assassinées. Des femmes ont été victimes de viols et d’agressions collectifs, des Vietnamiens qui se sont inclinés pour saluer les Américains ont été battus à coups de poing et torturés. Certaines victimes ont été mutilées avec la signature "Compagnie C", tenant pour Compagnie Charlie, sculptée dans la poitrine. C’était un véritable carnage, des corps étaient éparpillés à travers tout le village de My Lai. Un groupe important d’environ 70 à 80 villageois, raflés par le 1er peloton dans le centre du village, ont été tués personnellement par le lieutenant-colonel lui-même qui a ordonné à ses soldats de les incendier. Ce militaire a également fait la même chose à deux autres groupes de civils à la place d’un soldat du bataillon qui avait refusé de faire une nouvelle tuerie. Ces événements m’ont été rapporté par des soldats sur place lorsque cela a commencé.

Pendant ce temps je survolais par hasard la zone en hélicoptère avec deux de mes coéquipiers, je savais qu’une attaque se déroulait à My Lai, mais lorsque nous avons regardé de plus près nous vîmes un soldat Américain, au sol, abattre une jeune vietnamienne blessée. Nous nous sommes demandés pourquoi l’armée Viêt-Cong ne se défendait pas. Nous avons décidé d’aller voir ce qu’il se passait. Une fois l’hélicoptère posé, je compris que la compagnie C avait perdu le contrôle de la situation et se livrait à un massacre. Avec mes coéquipiers, nous vîmes des corps d’enfants, de femmes et de vieillards vietnamiens entassés dans un fossé d’irrigation, tandis que d’autres étaient cachés. J’ai demandé aux soldats américains de m’aider à transporter les blessés. Leur réaction fut d’ouvrir le feu sur les villageois. Lorsque j’eus déclaré à l’officier responsable qu’il fallait aider les habitants à quitter le village, le lieutenant me répondit que la seule chose qu’il ferait, ce serait de leur balancer une grenade.
Un groupe de soldats américains avançait sur d’autres villageois recroquevillés, nous nous sommes interposés devant eux et j’ai ordonné à mes hommes de braquer leurs armes sur leurs camarades, et d’ouvrir le feu si ils tentaient de maltraiter les villageois. Puis j’avertis deux autres hélicoptères armés pour qu’ils viennent me prêter main forte. Ces gens attendaient que je les aide il n’était pas question que je leur tourne le dos. Nous avons réussi à évacuer une douzaine de civils. Parmi eux, un enfant de onze ans nommé Cong m’a raconté sa version des faits : Lorsque les hélicoptères Américain ont atterrit, lui, sa mère, ses quatre frères et sœurs se sont cachés dans un abri à l'intérieur de leur maison. Les soldats américains leur ont ordonné de sortir, ils ont jeté une grenade après eux et leurs ont tiré dessus.

Cong a été blessé à trois endroits. Il s'est évanoui. Quand il s'est réveillé, il s'est retrouvé dans un tas de cadavres où se trouvaient sa mère, ses trois sœurs et son frère. Les soldats ont dû supposé que Cong était mort, lui aussi. Dans l'après-midi, lorsque les hélicoptères américains sont partis, son père et quelques autres villageois survivants, qui étaient venus pour enterrer les morts, l'ont trouvé. »

Au total, on dénombre environ cinq cents victimes. Officiellement, l’armée américaine annonça une grande victoire et tenta de camoufler au maximum ce carnage de civils. Puis, elle parla de la mort de seulement 128 personnes "ennemies". Un an plus tard, 25 soldats américains étaient inculpés pour meurtre, cependant seul le lieutenant Calley fut condamné à perpétuité. Mais le président Nixon réduit sa peine à seulement trois ans de prison.

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Texte écrit par Ema Zéghoudi et Charline Dugit-Gros - Mars 2016