La marquise de Sévigné, peinte par Claude Lefèbvre.

Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696), épouse Marquise de Sévigné, est une célèbre épistolière française. Elle n'a écrit que des lettres, publiées pour la première fois en 1725 puis une dizaine d'années plus tard à la demande de la petite-fille de Mme de Sévigné.

Les lettres de Mme de Sévigné présentent un intérêt à la fois littéraire et historique, puisqu'elles constituent un témoignage proche de la deuxième moitié du 17ème siècle. Ce billet n'a pas pour but de fournir une biographie complète de Mme de Sévigné (bien loin de là !) ni un corpus de textes exhaustif.

Je vous propose des extraits de ses lettres choisis subjectivement soit pour leur humour soit pour leur beauté. Les premières, assez drôles, représentent des chroniques de la société fréquentée par Mme de Sévigné ; les deuxièmes, écrites avec passion, ont pour principale destinataire Mme de Grignan, la fille adorée de Mme de Sévigné.



La gazette de la cour


La presse "people" n'existait pas au 17ème siècle ! Et pourtant on ne s'intéressait pas moins qu'aujourd'hui à la vie mondaine et aux événements de la cour. Comment faire pour faire circuler les informations, y compris les anecdotes et les détails les plus triviaux ? On parle, certes, mais on écrit aussi des fables, des poèmes... et des lettres, qui étaient lues dans les salons, à tous ceux qui entouraient le destinataire. C'était une façon de briller en société par la plume.

Mme de Sévigné aimait plaire, amuser, divertir, émouvoir par la plume. Voyons dans quelles circonstances...


La nouvelle "la plus étonnante"

Dans cette lettre, Mme de Sévigné annonce une nouvelle extraordinaire... en mettant plus de temps à l'annoncer qu'à l'énoncer ! Un des morceaux de bravoure les plus célèbres de l'épistolière (lettre à M. de Coulanges du lundi 15 décembre 1670).

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus digne d'envie : enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste ; une chose que l'on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon ?) ; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d'Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire; devinez-la : je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix ; je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner ; c'est Mme de la Vallière. - Point du tout, Madame. - C'est donc Mlle de Retz ? - Point du tout, vous êtes bien provinciale. - Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est Mlle Colbert ? - Encore moins. - C'est assurément  Mlle de Créquy ? - Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de... Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la Grande Mademoiselle ; Mademoiselle, fille de feu Monsieur ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.

Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront savoir si nous disons vrai ou non.


Le madrigal du Roi

Cette "historiette" évoque le piège tendu par Louis XIV à un de ses courtisans, auquel il fait lire un poème... sans lui dire que c'est lui, le Roi, qui en est l'auteur ! (lettre à Pomponne du lundi 1er décembre 1664)

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie et qui vous divertira. Le Roi se mêle depuis peu de faire des vers ; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comme il s'y faut prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Gramont : « Monsieur le maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au Roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu.» Le Roi se mit à rire, et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat ? - Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. - Oh bien ! dit le Roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement ; c'est moi qui l'ai fait. - Ah ! Sire, quelle trahison ! Que Votre Majesté me le rende ; je l'ai lu brusquement. - Non, Monsieur le maréchal : les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le Roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le Roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.


Cruelle Mme de Sévigné !

Impitoyable Marquise de Sévigné, quand il s'agit de donner des nouvelles d'autres dames (lettre à Mme de Grignan (Vichy, jeudi 4 juin 1676)...

Nous avons ici une Mme de La Baroire qui bredouille d’une apoplexie ; elle fait pitié. Mais quand on la voit laide, point jeune, habillée du bel air, avec des petits bonnets à double carillon, et qu’on songe de plus qu’après vingt-deux ans de veuvage, elle s’est amourachée de M. de La Baroire qui en aimait une autre à la vue du public, à qui elle a donné tout son bien, et qui n’a jamais couché qu’un quart d’heure avec elle pour fixer les donations, et qui l’a chassée de chez lui outrageusement (voici une grande période), mais quand on songe à tout cela, on a extrêmement envie de lui cracher au nez. On dit que Mme de Péquigny vient aussi ; c’est la Sibylle Cumée. Elle cherche à se guérir de soixante et seize ans, dont elle est fort incommodée ; ceci devient les Petites-Maisons.


... ou de certains hommes (lettre à Mme de Grignan du 30 janvier 1680) :


M. de Luxembourg est entièrement déconfit ; ce n'est pas un homme, ni un petit homme, ce n'est pas même une femme, c'est une petite femmelette.




Les lettres d'amour filial


Veuve à vingt-cinq ans (à la suite d'un duel), Mme de Sévigné se consacre à la vie mondaine et à sa fille, Françoise-Marguerite qui, au grand dam de sa mère et au grand profit de la littérature française épistolaire française, rejoint son mari détaché en Provence.

Mme de Sévigné écrit environ deux lettres par semaine à sa fille, de 1671 à 1696 (donc jusqu'à sa mort)... à vous de calculer le nombre de lettres que cela peut représenter ! Les lettres de la marquise sont passionnées, souvent anxieuses, parfois légères et enjouées. Son unique but est de plaire à sa fille pour continuer à correspondre avec elle, et de combler l'absence par l'écriture (entreprise à la fois vitale et vaine).

Comme, au 18ème siècle, la fille de Mme de Grignan a demandé la destruction des lettres de sa mère, la postérité (nous !) ne dispose que des lettres abondamment, régulièrement publiées et remaniées de Mme de Sévigné, qui ressemblent ainsi au monologue vain et passionné d'un être déchiré par l'absence et le silence (ce qui n'est pas sans rappeler les Lettres portugaises de Guilleragues, roman épistolaire publié du vivant de Mme de Sévigné). Rassurez-vous, ce ne fut pas le cas, et il y eut bien une correspondance entre sa mère et sa fille ! Mais les morceaux choisis sont dignes des plus belles expressions classiques du dépit amoureux !


Un souvenir poignant

Mme de Sévigné s'est retirée à Livry, pour se consacrer à la foi. Mais elle cède à un autre objet de dévotion... sa fille ! Cette lettre est très intéressante pour qui s'interroge sur les fonctions de la lettre et sa relative efficacité (lettre à Mme de Grignan du 24 mars 1671).

Je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siège de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le coeur ? Il n'y a point d'endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l'église, ni dans le pays, ni dans le jardin, où je ne vous aie vue. Il n'y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose de quelque manière que ce soit. Et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le coeur. Je vous vois ; vous m'êtes présente. Je pense et repense à tout. Ma tête et mon esprit se creusent, mais j'ai beau tourner, j'ai beau chercher, cette chère enfant que j'aime avec tant de passion est à deux cents lieues de moi ; je ne l'ai plus. Sur cela, je pleure sans pouvoir m'en empêcher ; je n'en puis plus, ma chère bonne. Voilà qui est bien faible, mais pour moi, je ne sais point être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre. Le hasard peut faire qu'elle viendra mal à propos, et qu'elle ne sera peut-être pas lue de la manière qu'elle est écrite. A cela je ne sais point de remède. Elle sert toujours à me soulager présentement ; c'est tout ce que je lui demande.




La lettre ou la vie


Le lien avec l'écriture devient aussi viscéral que le lien filial, tellement les deux sont liés (lettre à Mme de Grignan du 21 juin 1671).

Je vous écris deux fois la semaine, et mon ami Dubois prend un soin extrême de notre commerce, c'est-à-dire de ma vie.



Ecrivez-moi... non, ne m'écrivez pas !

Une des finalités de la lettre est de demander des nouvelles de l'autre, ce qui permet d'avoir l'illusion (partielle) d'être en contact avec l'autre. Ainsi Mme de Sévigné demande des nouvelles et regrette que les lettres de sa fille ne soient pas aussi intimes et pleines de confidences que les siennes (lettre à Mme de Grignan, 1679) :

Il est vrai que je suis quelquefois blessée de l'entière ignorance où je suis de vos sentiments, du peu de part que j'ai à votre confiance ; j'accorde avec peine l'amitié que vous avez pour moi avec cette séparation de toute sorte de confidence. Je sais que vos amis sont traités autrement. Mais enfin, je me dis que c'est mon malheur, que vous êtes de cette humeur, qu'on ne change point ; et plus que tout cela, ma bonne, admirez la faiblesse d'une véritable tendresse, c'est qu'effectivement votre présence, un mot d'amitié, un retour, une douceur, me ramène et me fait tout oublier.


Mais quand Mme de Grignan se trouve malade, sa mère a des scrupules à la fatiguer par l'écriture de lettres, et l'exhorte à laisser l'écritoire de côté, cet objet d'habitude salutaire, maintenant comparé à un "poignard" (lettre du 29 décembre 1679).


Laissez, laissez un peu la vôtre, toute jolie qu'elle est ; ne vous disais-je pas bien que c'était un poignard que je vous donnais ?



Aux élèves, lettre du 17 octobre 2009...


Ce billet n'a pu que vous donner une idée bien incomplète de l'oeuvre de Mme de Sévigné ! Le but n'est pas l'exhaustivité mais plutôt de susciter l'envie, la curiosité. L'avantage d'une correspondance, et en particulier de celle de la marquise, réside dans le fait qu'on n'est pas obligé de tout lire, et dans l'ordre. On peut parfaitement "butiner" des lettres par-ci, par-là, sans volonté de tout lire.

En ce qui concerne le genre épistolaire (lettres réelles ou fictives), je vous recommande particulièrement les oeuvres suivantes :
  • Les Liaisons dangereuses de Laclos
  • Lettres persanes de Montesquieu
  • Lettres à Lou d'Apollinaire
  • Lettres à un jeune poète de Rilke

Si vous avez un avis à donner sur Mme de Sévigné ou un suggestion en matière de littérature épistolaire, n'hésitez pas à laisser un commentaire.



Sources


  • Lettres choisies de Madame de Sévigné par Roger Duchêne ("Folio classique")
  • Itinéraires littéraires XVIIè siècle, Robert Horville ("Hatier")
  • Wikipédia (www.wikipedia.org, article "Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné") pour l'image (peinture de Claude Lefèbvre)