Bon après-midi.
Vous trouverez ci-dessous les vidéos de correction en français et en mathématiques:
J’ai mis en annexe le Tautogramme de Georges Perec et vous remets ci-dessous le rallye poésie ( vous y retrouverez la poésie ´ Si ´ de Jean-Luc Moreau et ´Déménager ´ de Georges Perec, entre autres poésies).
À demain.
Prenez soin de vous.
Olivier Pépin
Liste cycle 3 et Collège
-
- Le dormeur du val (Arthur Rimbaud)
- Danse (Cécile Périn)
- Ulysse (Louis Guillaume)
- Le cosmonaute et son hôte (Pierre Gamarra)
- La pomme (Pierre Gamarra)
- J’ai vu… (Huguette Amundsen)
- Le premier vol de l’hirondelle (Pierre Menanteau)
- Avant-printemps (René-Guy Cadou)
- A vol d’oiseau (Michel Luneau)
- J’écris (Geneviève Rousseau)
- Grenouilles (Raymond Queneau)
- Araignée (Pierre Béarn)
- J’ai vu le menuisier (Eugène Guillevic)
- Triangles, suivi de Parallèles et Perpendiculaire (Eugène Guillevic)
- La biche (Maurice Rollinat)
- Le vendeur de murmures (Philippe Garnier)
- En voyage (Jacques Charpentreau)
- Balançoire (Jacques Charpentreau)
- L'air en conserve (Jacques Charpentreau)
- La clé des champs (Jacques Charpentreau)
- La chevauchée (Jacques Charpentreau)
- La lessive (Jacques Charpentreau)
- La fuyante (Jacques Charpentreau)
- Les pommes de lune (Jean Rousselot)
- L’ordinateur et l’éléphant (Jean Rousselot)
- Le coeur trop petit (Jean Rousselot)
- Je hais les haies (Raymond Devos)
- L’oiseau voyou (Claude Roy)
- L'escargot matelot (Claude Roy)
- C'est tout un art d'être canard (Claude Roy)
- La clef des champs (Claude Roy)
- Les manières du soleil (Claude Roy)
- Déménager (Georges Perec)
- Terre-Lune (Boris Vian)
- L’albatros (Charles Baudelaire)
- Le globe (Nazim Hikmet)
- Récatonpilu ou le jeu du poulet (Jean Tardieu)
- L'orange des rêves (Jean-Pierre Siméon)
- Devinettes (Jean-Pierre Siméon)
- Comme il est bon d'aimer (Jean-Pierre Siméon)
- La pluie (Pierre Morhange)
- Sagesse (Paul Verlaine)
- Si... (Jean-Luc Moreau)
- Iles (Blaise Cendrars)
- Ballade à la lune (Alfred de Musset)
- Quand la porte se souvient (Hamid Tibouchi)
- Parfois on ne sait plus rien (Julos Beaucarne.)
- Le chant de l’eau (Emile Verhaeren)
- Ma soeur la pluie (Charles Van Lerberghe)
- Le vent (Emile Verhaeren)
- Il était une feuille (Robert Desnos)
- Arbre (Alain Bosquet)
- Mes vers fuiraient... (Victor Hugo)
- Voici que la saison (Victor Hugo)
- Océano nox (Victor Hugo)
- La chanson de Gavroche (Victor Hugo)
- J’aime l’araignée et j’aime l’ortie (Victor Hugo)
- Il s’en passe des choses dans ma cité (Guy Foissy)
- Les chemins (Alain Le Beuze)
- Vent (Alain Le Beuze)
- Exil (Alain Le Beuze)
- Le cancre (Jacques Prévert)
- Page d’écriture (Jacques Prévert)
- Dans ma maison (Jacques Prévert)
- Tout près du lac (Théophile Gautier)
- Giboulées (Raymond Richard)
- Le poisson Fa (Boby Lapointe)
- Autocritique (Jean-Pierre Develle)
- La salle à manger (Francis Jammes)
- Leçon de géographie (Christian Poslaniec)
- L’averse (Francis Carco)
- Caillou (Maurice Carême)
- Le cheval (Maurice Carême)
- If ... - Tu seras un Homme, mon fils (Rudyard Kipling)
TEXTES CYCLE 3 et COLLÈGE
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière
Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
Danse
Qui danse parmi le thym ?
Est-ce un rayon, un lutin,
Peut-être un petit lapin ?
Est-ce une abeille en maraude,
Une couleuvre qui rôde,
Un lézard couleur d'émeraude ?
Je ne sais. Mais je sais bien
Que tout danse ce matin
Parmi les touffes de thym,
Que l'esprit est une abeille,
Un subtil lézard qui veille,
Un lutin qui s'émerveille,
Ou bien ce petit lapin
Qui joue et bondit soudain
Parmi les touffes de thym.
Cécile Périn ("Pénélope")
Ulysse
- Ulysse, Ulysse, arrête-toi,
Écoute la voix des sirènes
Plonge, va trouver notre reine,
Dans son palais, deviens le roi
Mais Ulysse préfère au toit
Des vagues celui des nuages,
Dans la direction d'Ithaque
Son regard reste fixé droit
Et les filles aux longs cheveux
Ont beau nager dans son sillage,
Il demeure sourd, il ne veut
Que la chanson, que le visage
Conservé au fond de ses yeux,
De Pénélope toujours sage.
Louis Guillaume
Le cosmonaute et son hôte
Sur une planète inconnue,
un cosmonaute rencontra
un étrange animal;
il avait le poil ras,
une tête trois fois cornue,
trois yeux, trois pattes et trois bras !
« Est il vilain! pensa le cosmonaute
en s'approchant prudemment de son hôte.
Son teint a la couleur d'une vieille échalote,
son nez a l'air d'une carotte.
Est ce un ruminant? Un rongeur? »
Soudain, une vive rougeur
colora plus encor le visage tricorne.
Une surprise sans bornes
fit chavirer ses trois yeux.
<< Quoi! Rêvé je? dit il. D'où nous vient, justes cieux,
ce personnage si bizarre sans crier gare !
Il n'a que deux mains et deux pieds,
il n'est pas tout à fait entier.
Regardez comme. il a l'air bête,
il n'a que deux yeux dans la tête !
Sans cornes, comme il a l'air sot ! »
C'était du voyageur arrivé de la Terre
que parlait l'être planétaire.
Se croyant seul parfait et digne du pinceau,
il trouvait au Terrien un bien vilain museau.
Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête
est de toutes la plus parfaite!
Pierre Gamarra
La pomme
Une pomme rubiconde
Se pavanait, proclamant
Qu’elle était le plus beau
de tous les fruits du monde,
Le plus tendre, le plus charmant,
Le plus sucré, le plus suave,
Ni la mangue, ni l’agave,
Le melon délicieux,
Ni l’ananas, ni l’orange,
Aucun des fruits que l’on mange
Sous l’un ou l’autre des cieux,
Ni la rouge sapotille,
La fraise, ni la myrtille
N’avait sa chair exquise et sa vive couleur.
On ne pourrait jamais lui trouver une soeur.
La brise répandait alentour son arôme
Et sa pourpre éclatait sur le feuillage vert.
- "Oui, c’est vrai, c’est bien vrai!"
dit un tout petit vers
Blotti dans le creux de la pomme.
Pierre Gamarra
J’ai vu…
J'ai appelé le terrassier
il marchait à cloche-pied
j'ai appelé le moissonneur
il jurait comme un voleur
j'ai appelé le cordonnier
il jetait tous ses souliers
alors je m'en suis allée
j'ai vu des hannetons
tâtonnant en rond
j'ai vu des limaces
faire la grimace
j'ai vu une libellule
très crédule
puis me penchant encore
j'ai vu un chou-fleur
chercher l'heure
j'ai vu un artichaut
qui rêvait d'être au chaud
chemin faisant
j'ai vu un lampadaire
le nez en l'air
j'ai vu un vélo
près de l'eau
j'ai vu un canard
en retard
j'ai vu un lapin
jouer au crincrin
puis j'ai vu des gens
mécontents
car ils ne voyaient rien
Huguette Amundsen
Le premier vol de l’hirondelle
Mes ciseaux à peine aiguisés
Coupent le ciel qui se déplace.
Une brasse. Encore une brasse.
Dans l’ouverture de la nasse
(Bon hirondeau chasse de race)
Un moustique s’est enfourné.
Ce petit nid où je suis né
Comme il s’éloigne dans l’espace !
A tire-ligne d’hirondelle
C’est un nom nouveau que j’écris
Et je l’écris à tire-d’aile
Et je l’écris à tire-cri.
Pierre Menanteau
Avant-printemps
Des oeufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin !
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon coeur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
René-Guy Cadou
A vol d’oiseau
Où va-t-il, l’oiseau sur la mer ?
Il vole, il vole...
A-t-il au moins une boussole ?
Si un coup de vent
Lui rabat les ailes,
Il tombera dans l’eau
Et ne sait pas nager.
Et que va-t-il manger?
Et si ses forces l’abandonnent,
Qui le secourra ? Personne.
Pourvu qu’il aperçoive à temps
Une petite crique !
C’est tellement loin, l’Amérique...
Michel Luneau
J’écris
J'écris des mots bizarres
J'écris des longues histoires
J'écris juste pour rire
Des choses qui ne veulent rien dire.
Ecrire c'est jouer
J'écris le soleil
J'écris les étoiles
J'invente des merveilles
Et des bateaux à voiles.
Ecrire c'est rêver
J'écris pour toi
J'écris pour moi
J'écris pour ceux qui liront
Et pour ceux qui ne liront pas.
Ecrire c'est aimer
J'écris pour ceux d'ici
Ou pour ceux qui sont loin
Pour les gens d'aujourd'hui
Et pour ceux de demain.
Ecrire c'est vivre.
Geneviève Rousseau
Grenouilles
Ne coassons pas
Dit crapaud papa
Nul coassement
Dit crapaud maman
Moi pas coasser
Dit crapaud jeunet
Ils en font du bruit
Dit le vieux marquis
Vite une corvée
Disent les laquais
Ça c’est pas marrant
Dit le paysan
Si j’avais su ça
Dit crapaud papa
Au lieu de nous taire
Dit crapaud mémère
Nous aurions chanté
Dit crapaud jeunet
Raymond Queneau
Araignée
Araignée du matin: chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi: souci
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir: espoir,
disait au briquet l'étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu'elle était hirondelle.
Pierre Béarn
J’ai vu le menuisier
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
Eugène Guillevic
Triangles
Isocèle
J'ai réussi à mettre
Un peu d'ordre en moi-même.
J'ai tendance à me plaire.
Equilatéral
Je suis allé trop loin
Avec mon souci d'ordre
Rien ne peut plus venir
Rectangle
J'ai fermé l'angle droit
Qui souffrait d'être ouvert
En grand sur l'aventure.
Je suis une demeure
Où rêver est de droit.
Eugène Guillevic
Deux autres poèmes du même auteur ("Perpendiculaire" est au singulier), pour se réconcilier avec la géométrie :
Parallèles
On va, l’espace est grand,
On se côtoie,
On veut parler.
Mais ce qu’on se raconte
L’autre le sait déjà,
Car depuis l’origine
Effacée, oubliée,
C’est la même aventure.
En rêve on se rencontre,
On s’aime, on se complète.
On ne va plus loin
Que dans l’autre et dans soi.
Eugène Guillevic
Perpendiculaire
Facile est de dire
Que je tombe à pic.
Mais c'est aussi sur moi
Que l'autre tombe à pic.
Eugène Guillevic 1907-1997 ("Euclidiennes" - 1967)
La biche
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice Rollinat
Le vendeur de murmures
Il était une fois
Le vendeur de murmures.
Il murmurait la nuit donc
à la demande
du bout des dents
en une étrange litanie
les phrases confiées la veille à son oreille
et dont il avait la prudence
professionnelle
d'inscrire les commandes
dans des carnets
toujours petits
et qu'il parfumait
tantôt à la lavande
tantôt au patchouli
C'est qu'il n'avait jamais voulu user lui
comme les vendeurs de cris
de ces vastes camions d'amplification
qui sillonnaient le pays à grand renfort de klaxons
néons
haut parleurs et enseignes
ce qu'il vendait on l'entendait à peine
Philippe Garnier
En voyage
Quand vous m’ennuyez, je m’éclipse,
Et, loin de votre apocalypse,
Je navigue, pour visiter
La Mer de la Tranquillité.
Vous tempêtez ? Je n’entends rien.
Sans bruit, au fond du ciel je glisse.
Les étoiles sont mes complices.
Je mange un croissant. Je suis bien.
Vous pouvez toujours vous fâcher,
Je suis si loin de vos rancunes !
Inutile de me chercher :
Je suis encore dans la lune.
Jacques Charpentreau
Balançoire
Quand tu parles bien, tu me berces,
Et je m'envole avec ta voix.
Les étoiles à la renverse,
Je m'élance au ciel, un, deux, trois !
Si tu bégaies, je me balance
A petits coups secs, cahoté,
Quand tu déclames, la cadence
Me fait descendre et remonter.
Tu accélères ton effort,
Je fais des bonds comme une chèvre.
Attention ! Ne crie pas trop fort
Je suis suspendu à tes lèvres.
Jacques Charpentreau
L'air en conserve
Dans une boîte, je rapporte
Un peu de l'air de mes vacances
Que j'ai enfermé par prudence.
Je l'ouvre ! Fermez bien la porte
Respirez à fond ! Quelle force !
La campagne en ma boîte enclose
Nous redonne l'odeur des roses,
Le parfum puissant des écorces,
Les arômes de la forêt...
Mais couvrez vous bien, je vous prie,
Car la boîte est presque finie :
C'est que le fond de l'air est frais.
Jacques Charpentreau
La clé des champs
On a perdu la clé des champs!
Les arbres, libres, se promènent,
Le chêne marche en trébuchant,
Le sapin boit à la fontaine.
Les buissons jouent à chat perché,
Les vaches dans les airs s'envolent,
La rivière monte au clocher
Et les collines cabriolent.
J'ai retrouvé la clé des champs
Volée par la pie qui jacasse.
Et ce soir au soleil couchant
J'aurai tout remis à sa place.
Jacques Charpentreau
La chevauchée
Certains, quand ils sont en colère,
Crient, trépignent, cassent des verres...
Moi, je n'ai pas tous ces défauts :
Je monte sur mes grands chevaux.
Et je galope, et je voltige,
Bride abattue, jusqu'au vertige
Des étincelles sous leurs fers,
Mes chevaux vont un train d'enfer.
Je parcours ainsi l'univers,
Monts, forêts, campagnes, déserts...
Quand mes chevaux sont fatigués,
Je rentre à l'écurie calmé.
Jacques Charpentreau
La lessive
Chaque semaine, mes parents,
Cinq tantes, dix oncles, vingt nièces,
Cent cousins, des petits, des grands,
Se pressent dans la même pièce.
Dans la machine, ils introduisent
Mille corsages et chemises,
Cent mille slips et pyjamas,
Un million de paires de draps.
Nylon, dentelles ou guenilles,
Chaque semaine nous avons
Cette habitude : nous lavons
Notre linge sale en famille.
Jacques Charpentreau
La fuyante
Vous me croyez douce et soumise
Mais malgré vos yeux grands ouverts,
Moi, je vous échappe à ma guise
Et je joue la fille de l'air.
Fille de l'air, enfant du songe,
Je pars au gré de mon caprice,
Sur une brise je m'allonge,
Dans un courant d'air je me glisse.
Quand je suis lasse, je repose
Sur un blanc coussin de nuage,
Avec le parfum de la rose
Sur l'aile du vent je voyage.
Jacques Charpentreau
Les pommes de lune
Entre Mars et Jupiter
Flottait une banderole
Messieurs Mesdames
Faites des affaires
Grande vente réclame
De pommes de terre
Un cosmonaute qui passait par là
Fut tellement surpris qu'il s'arrêta
Et voulut mettre pied à terre
Mais pas de terre en ce coin là
Et de pommes de terre
Pas l'ombre d'une
C'est une blague sans doute
Dit il en reprenant sa route
Et à midi il se fit
Un plat de pommes de lune.
Jean Rousselot
L’ordinateur et l’éléphant
Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
-C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit-il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint Bernard,
Hannibal et Jules César...
Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.
De morale je ne vois guère
A cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.
Jean Rousselot
Le coeur trop petit
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
A tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit vent
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’a le coeur beaucoup trop petit.
Jean Rousselot
Je hais les haies
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
Raymond Devos
L’oiseau voyou
Le chat qui marche l’air de rien
voulait se mettre sous la dent
l’oiseau qui vit de l’air du temps
oiseau voyou oiseau vaurien
Mais plus futé l’oiseau lanlaire
n’a pas sa langue dans sa poche
et siffle clair comme eau de roche
un petit air entre deux airs.
Un petit air pour changer d’air
et s’en aller voir du pays
un petit air qu’il a appris
à force de voler en l’air
Faisant celui qui n’a pas l’air
le chat prend l’air indifférent.
L’oiseau s’estime bien content
et se déguise en courant d’air.
Claude Roy
L'escargot matelot
Un escargot fumant sa pipe
Portait sa maison sur son dos.
C'était un garçon sympathique,
Un brave et joyeux escargot.
Il avait été matelot
Et navigué sur un cargo.
Il en avait assez de l'eau
Cet ancien marin escargot.
Son ami le petit Léon
Lui apportait du tabac blond.
Et l'escargot fumant sa pipe
Évoquait la mer, les tropiques,
Et le tour du monde en cargo
Qu'il avait fait en escargot,
Un escargot fumant la pipe
Pour n'être pas mélancolique.
Claude Roy
C'est tout un art d'être canard
C'est tout un art d'être canard
C'est tout un art
d'être canard
canard marchant
canard nageant
canards au sol vont dandinant
canards sur l'eau vont naviguant
être canard
c'est absorbant
terre ou étang
c'est différent
canards au sol s'en vont en rang
canards sur l'eau, s'en vont ramant
être canard
ça prend du temps
c'est tout un art
c'est amusant
canards au sol vont cancanant
canards sur l'eau sont étonnants
il faut savoir
marcher, nager
courir, plonger
dans l'abreuvoir
canards le jour sont claironnants
canards le soir vont clopinant
canards aux champs
ou sur l'étang
c'est tout un art
d'être canard.
Claude Roy
La clef des champs
Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n’est pas moi. Ce n’est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.
Claude Roy
Les manières du soleil
Le soleil luit pour tout le monde
Mais un peu plus ou un peu moins.
Il en est que son chaud inonde
D’autres ne le voient que de loin.
Il luit plus pour le cormoran
Que pour la taupe ou le cafard.
Il luit plus à Perpignan
Qu’à Lille ou à Hénin-Liétard.
Le soleil luit pour tout le monde
Mais plutôt plus ou plutôt moins.
Claude Roy
Déménager
Quitter un appartement. Vider les lieux.
Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier, ranger, classer, trier.
Éliminer, jeter, fourguer.
Casser.
Brûler.
Descendre, desceller, déclouer, décoller, dévisser, décrocher.
Débrancher, détacher, couper, tirer, démonter, plier, couper.
Rouler.
Empaqueter, emballer, sangler, nouer, empiler, rassembler, entasser, ficeler, envelopper, protéger, recouvrir, entourer, serrer.
Enlever, porter, soulever.
Balayer.
Fermer.
Partir.
Georges Perec
Terre-Lune
Terre Lune, Terre Lune
Ce soir j'ai mis mes ailes d'or
Dans le ciel comme un météore
Je pars
Terre Lune, Terre Lune
J'ai quitté ma vieille atmosphère
J'ai laissé les morts et les guerres
Au revoir
Dans le ciel piqué de planètes
Tout seul sur une lune vide
Je rirai du monde stupide
Et des hommes qui font les bêtes
Terre Lune, Terre Lune
Adieu ma ville, adieu mon cœur
Globe tout perclus de douleurs
Bonsoir.
Boris Vian
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boîtant, l’infirme qui volait !
Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Le globe
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Nazim Hikmet
Récatonpilu ou le jeu du poulet
Si tu veux apprendre
des mots inconnus,
récapitulons,
récatonpilu.
Si tu veux connaître
des jeux imprévus,
locomotivons,
locomotivu.
Je suis le renard
je cours après toi
plus loin que ma vie.
Comme tu vas vite !
Si je m'essoufflais !
Si je m'arrêtais !
Jean Tardieu
L'orange des rêves
Tu peux perdre le nord
comme on dit
tu peux perdre patience
tu peux perdre ton temps
perdre la mémoire
et ses chemins aveugles
Le sommeil peut glisser
comme une truite
dans tes mains
Tu peux perdre ton sourire
Mais ne perds pas
ne perds jamais
l'orange de tes rêves
Jean-Pierre Siméon
Devinettes
Qui décoiffe la mer
Avec des mains qu'on ne voit pas ?
Qui roule sa chanson
Dans la gorge des torrents ?
Qui n'est jamais si lourd
Que quand un oiseau meurt ?
Le vent la pierre et le silence
Qui est ronde comme une joue
Et plus lourde que la peine ?
Qui habille le monde
Quand il se fait tard ?
Qui souffle chaque soir
La bougie du soleil ?
La pierre le silence et le vent
Jean-Pierre Siméon
Comme il est bon d'aimer
Comme il est bon d'aimer
Il suffit d'un mot
Pour prendre le monde
Au piège de nos rêves
Il suffit d'un geste
Pour relever la branche
Pour apaiser le vent
Il suffit d'un sourire
Pour endormir la nuit
Délivrer nos visages
De leur masque d'ombre
Mais cent milliards de poèmes
Ne suffiraient pas
Pour dire
Comme il est bon d'aimer
Jean-Pierre Siméon
La pluie
La pluie et moi marchions
Bons camarades
Elle courait devant et derrière moi
Et je serrais notre trésor dans mon coeur
Elle chantait pour nous cacher
Elle chantait pour endormir mon coeur
Elle passait sur mon front sa peau mouillée
Et humaine ma chère pluie
Elle tendait l'oreille
Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti
Elle me met les mains sur les épaules
Et court tant haut dans la plaine du ciel
Et tant me montre les diamants du soleil
Et tant toujours me caresse la peau
Et tant toujours me chante dans les os
Que je deviens un bon camarade
J'entonne une grande chanson
Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux
Disent à notre passage
Maintenant
Ils chantent tous les deux.
Pierre Morhange
Sagesse
Le ciel est, par dessus le toit,
Si bleu, si calme
Un arbre, par dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur là
Vient de la ville.
Qu'as tu fait, ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul Verlaine
Si...
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la mer Noire était la Manche
Et la mer Rouge la mer Blanche,
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois...
Quel ennui ce monde à l'endroit!
Jean-Luc Moreau
Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétation
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord
car je voudrais bien aller jusqu’à vous
Blaise Cendrars
Ballade à la Lune
C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La Lune
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?
Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?
N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?
Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?
Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?
Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.
Va, Lune moribonde,
Le beau corps de Phébé
La blonde
Tu n'en es que la face
Et déjà, tout ridé,
S'efface
Ton front dépossédé.
T'aimera le vieux pâtre,
Seul, tandis qu'à ton front
D'albâtre
Ses dogues aboieront.
T'aimera le pilote
Dans son grand bâtiment,
Qui flotte,
Sous le clair firmament !
Et la fillette preste
Qui passe le buisson,
Pied leste,
En chantant sa chanson.
Comme un ours à la chaîne,
Toujours sous tes yeux bleus
Se traîne
L'océan monstrueux.
Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?
Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La Lune
Comme un point sur un i.
Dans la mer est tombé.
Alfred de Musset
Quand la porte se souvient
Quand le porte se souvient,
Quand la table se souvient,
Quand la chaise, l’armoire, le buffet, la fenêtre se souviennent
Quand ils se souviennent intensément
De leurs racines, de leur sèves, de leurs feuilles
De leurs branches,
De tout ce qui les habitait,
Des nids et des chansons
Des écureuils et des singes
De la neige et du vent
Un frisson traverse la maison
Qui redevient forêt.
Hamid Tibouchi
Parfois on ne sait plus rien
Parfois on ne sait plus rien,
Comme si on n’avait plus de mémoire,
Comme si le soleil s’était noyé dans la mer,
Comme si le livre des « peut-être », ce très gros volume
Avait brûlé entre les doigts si fins du feu.
Julos Beaucarne.
Le chant de l’eau
L’entendez-vous, l’entendez-vous,
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.
Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l’on disait que Mélusine,
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa.
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers,
Et les putois et les fouines,
Et les souris et les mulots,
Ecoutent
Loin des sentes et loin des routes,
Le bruit de l’eau…
Parmi les prés, parmi les bois,
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois.
Et peut-être que Mélusine,
Quand la Lune à minuit répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S’éveille et lentement décroise ses pieds d’or,
Et suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encore
Et danse.
Emile Verhaeren
Ma soeur la pluie
Ma soeur la pluie,
La belle et tiède pluie d’été,
Doucement vole vole, doucement fuit,
À travers les airs mouillés.
Tout son collier de blanches perles
Dans le ciel bleu s’est délié.
Chantez les merles,
Dansez les pies!
Parmi les branches qu’elle plie,
Dansez les fleurs, chantez les nids;
Tout ce qui vient du ciel est béni.
De ma bouche elle approche
Ses lèvres humides de fraise des bois,
Rit, et me touche,
Partout à la fois,
De ses milliers de petits doigts.
Sur des tapis de fleurs sonores,
De l’aurore jusqu’au soir,
Et du soir jusqu’à l’aurore,
Elle pleut et pleut encore,
Autant qu’elle peut pleuvoir.
Puis, vient le soleil qui essuie,
De ses cheveux d’or,
Les pieds de la pluie.
Charles Van Lerberghe
Le vent
Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant novembre;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffle lourd battant les bourgs.
Voici le vent,
Le vent sauvage de novembre.
Le vent rafle le long de l’eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de novembre;
Le vent mord dans les branches,
Des nids d’oiseaux.
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant novembre.
Emile Verhaeren
Il était une feuille
Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de coeur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de coeur
Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de coeur
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines dignes de vie
Vigne de chance
Vignes de coeur
Au bout des racines il était la Terre
La Terre tout court
La Terre toute ronde
La Terre toute ronde au travers du ciel
La Terre.
Robert Desnos
Arbre
Tu es plus souple que le zèbre.
Tu sautes mieux que l’équateur.
Sous ton écorce les vertèbres
font un concert d’oiseaux moqueurs.
J’avertirai tous les poètes:
il ne faut pas toucher aux fruits;
c’est là que dorment les comètes,
et l’océan s’y reconstruit.
Tu es léger comme un tropique.
Tu es plus sage qu’un poisson.
Dans chaque feuille une réplique
est réservée pour ma chanson.
Dès qu’on t’adresse la parole,
autour de toi s’élève un mur.
Tu bats des branches, tu t’envoles:
c’est toi qui puniras l’azur.
Alain Bosquet
Mes vers fuiraient...
Mes vers fuiraient, doux et frêles,
vers votre jardin si beau,
si mes vers avaient des ailes,
des ailes comme l’oiseau.
Ils voleraient, étincelles,
Vers votre foyer qui rit,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’esprit.
Près de vous, purs et fidèles,
Ils accourraient nuit et jour,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’amour.
Victor Hugo
Voici que la saison
Voici que la saison décline,
L’ombre grandit, l’azur décroit,
Le vent fraichit sur la colline,
L’oiseau frissonne, l’herbe a froid.
Aout contre septembre lutte;
L’océan n’a plus d’alcyon;
Chaque jour perd un minute,
Chaque aurore pleure un rayon.
La mouche, comme prise au piège,
Est immobile à mon plafond;
Et comme un blanc flocon de neige,
Petit à petit, l’été fond.
Victor Hugo
Océano nox
Ô combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !
Combien de patrons morts avec leurs équipages
L’ouragan, de leur vie, a pris toutes les pages
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée,
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée
L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots !
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Ô ! que de vieux parents qui n’avaient plus qu’un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !
Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
Ô flots, que vous savez de lugubres histoires
Flots profonds redoutés des mères à genoux
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous.
Victor Hugo
La chanson de Gavroche
On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire,
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Rousseau.
Victor Hugo
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait;
Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens;
Parce qu’elles sont prises dans leur oeuvre;
O sort! Fatals noeuds!
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux;
Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh! Plaignez le mal!
Il n’est rien qui n’ai sa mélancolie;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,
Pour peu qu’on leur jette un oeil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent: Amour!
Victor Hugo
Il s’en passe des choses dans ma cité
Il s’en passe des choses dans ma cité.
Il n’y a qu’à regarder.
Moi, un jour, j’ai dit: “J’arrête, je regarde.”
J’ai posé par terre mes deux sacs.
Je me suis assis. J’ai regardé.
Les gens venaient
Les gens marchaient
Les gens passaient
Les gens tournaient
Les gens filaient
Les gens glissaient
Les gens dansaient
Les gens parlaient
Gesticulaient
Les gens criaient
Les gens riaient
Les gens pleuraient
Disparaissaient.
Il s’en passe des choses dans ma cité.
Il n’y a qu’à regarder.
On voit de tout, on peut tout voir.
Mais ce qu’on ne voit jamais dans ma cité, c’est un regard.
Un regard qui vous regarde et qui s’attarde.
Les gens naissaient
Les gens vivaient
Les gens mourraient.
Et moi, je restais sur mon banc de pierre, encadré par mes deux sacs.
Je regardais.
C’est merveilleux: partout où il y a des femmes, partout où il y a des hommes,
Partout il y a la vie.
J’aurai dû me lever. Leur tendre la main.
Leur dire: “Salut. Bonjour! J’existe.
Et vous? Vous existez?”
Je suis resté assis.
Le plus souvent, c’est ainsi que les choses se passent.
Guy Foissy
Les chemins
Les chemins
Se rencontrent
Se reniflent
Se tutoient
Se racontent
S’apprivoisent
S’éloignent
Se recherchent
Se retrouvent
Aux carrefours des doigts.
Alain Le Beuze
Vent
Le vent
Fait grincer les chemins
Dans les gonds de la nuit.
Il impose
Aux arbres
Une envergure.
Qui ose résister
a vite compris.
Il condamne l’inertie,
Est-ce sa faute ?
Il est des saisons
Qu’aucun vent
N’ose abuser.
Il est des toits coléreux
Qui ne le suportent.
Il lui arrive
D’aider les fruits,
Par nécessité pour eux,
Par respect pour les arbres.
Alain Le Beuze
Exil
Les murs
craignent
la fringale des ronces
les fenêtres
se méfient
des caresses de la rouille
le lierre
roucoule d’oiseaux
impatient
d’étendre sa puissance
de convertir l’espace
les toits
resserrent leurs tuiles
les chemins
se résignent
sous les averses de fougères.
Alain Le Beuze
Le cancre
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert
Page d’écriture
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Répétez! dit le maitre
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Mais voilà l’oiseau lyre
Qui passe dans le ciel
L’enfant le voit
L’enfant l’entend
L’enfant l’appelle:
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau!
Alors l’oiseau descend
Et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre...
Répétez! dit le maitre
Et l’enfant joue
L’oiseau joue avec lui...
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
entendent sa chanson
et tous les enfants
entendent sa musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un et un s’en vont également.
Et l’oiseau lyre joue
Et l’enfant chante
Et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le pitre!
Mais tous les autres enfants écoutent la musique
Et les murs de la classe
S’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L’encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.
Jacques Prévert
Dans ma maison
Dans ma maison vous viendrez
D’ailleurs ce n’est pas ma maison
Je ne sais pas à qui elle est
Je suis entré comme ça un jour
Il n’y avait personne
Seulement des piments accrochés au mur blanc
Je suis resté longtemps dans cette maison
Personne n’est venu
Mais tous les jours et tous les jours
Je vous ai attendu
Je ne faisais rien
C’est à dire rien de sérieux
Quelquefois le matin
Je poussais des cris d’animaux
Je gueulais comme un âne
De toutes mes forces
Et cela me faisait plaisir
Et puis je jouais avec mes pieds
C’est très intelligents les pieds
Ils vous emmènent très loin
Quand vous voulez aller très loin
Et puis quand vous ne voulez pas sortir
Ils restent là ils vous tiennent compagnie
Et quand il y a de la musique ils dansent
On ne peut pas danser sans eux
Faut être bête comme l’homme l’est si souvent
Pour dire des choses aussi bête
Que bête comme ses pieds gai comme un pinson
Le pinson n’est pas gai
Il est seulement gai quand il est gai
Et triste quand il est triste ou ni gai ni triste
Est-ce qu’on sait ce qu’est un pinson
D’ailleurs il ne s’appelle pas réellement comme ça
C’est l’homme qui a appelé cet oiseau comme ça
Pinson pinson pinson pinson
Jacques Prévert
Tout près du lac
Tout près du lac filtre une source,
Entre deux pierres, dans un coin;
Allègrement l’eau prend sa course
Comme pour s’en aller bien loin.
Elle murmure: Oh!quelle joie!
Sous la terre il faisait si noir!
Maintenant ma rive verdoie,
Le ciel se mire à mon miroir.
Les myosotis aux fleurs bleues
Me disent: Ne m’oubliez pas!
Les libellules de leurs queues
M’égratignent dans leurs ébats;
A ma coupe l’oiseau s’abreuve;
Qui sait? – Après quelques détours
Peut-être deviendrai-je un fleuve
Baignant vallons, rochers et tours.
Je broderai de mon écume
Ponts de pierre, quais de granit,
Emportant le steamer qui fume à l’océan où tout finit.
Théophile Gautier
Giboulées
La pluie éparpille un bouquet
De perles tièdes et légères.
On entend chanter les bergères
Et les oiseaux dans les bosquets.
Le soleil joue à cache cache
Avec les gros nuages gris.
Les moutons blancs, les veaux, les vaches,
Dans les prés semblent tout surpris.
Et voici que parmi l’ondée,
Comme du fond d’un vrai pastel,
On voit monter, arche irisée,
Le pont joyeux d’un arc-en-ciel.
Raymond Richard
Le poisson Fa
Il était une fois
Un poisson fa.
Il aurait pu être poisson scie,
Ou raie,
Ou sole,
Ou tout simplement poisson d’eau
Ou même un poisson un peu las,
Non,non,il était poisson fa:
Un poisson fa,
Voilà.
Boby Lapointe
Autocritique
Qu’est-ce qui ne va pas sur Terre?
C’est le chat dit la souris
C’est le lion dit la gazelle
C’est le loup dit l’agneau
C’est l’homme dit l’homme.
Jean-Pierre Develle
La salle à manger
Il y a une grande armoire à peine luisante
qui a entendu la voix de mes grand-tantes,
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
A ces souvenirs, l’armoire est fidèle.
On a tord de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pas pourquoi il n’a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander.
Peut-être bien qu’elle est cassée,
La voix qui était dans son ressort,
ou bonnement comme celle des morts.
Il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C’est un vieux serviteur fidèle qui sait
qu’il ne doit rien nous voler.
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant:
- Comment allez-vous, monsieur Jammes?
Francis Jammes
Leçon de géographie
L’océan a peur de moi
Quand il me voit arriver
il se retire très loin.
Je lui parle doucement
d’une voix de coquillage
pour tenter de l’apaiser.
Mais chaque fois c’est pareil:
il me faut au moins six heures
pour enfin l’apprivoiser.
Alors il revient vers moi
et il me lèche les pieds.
Christian Poslaniec
L’averse
Un arbre tremble sous le vent
Les volets claquent.
Comme il a plu, l’eau fait des flaques.
Des feuilles volent sous le vent
Qui les disperse.
Et, brusquement, il pleut à verse.
Le jour décroît.
Sur l’horizon qui diminue
je vois la silhouette nue
D’un clocher mince avec sa croix.
Dans le silence,
J’entends la cloche d’un couvent.
Elle s’élève, elle s’élance
Et puis retombe avec le vent.
Un arbre que le vent traverse
Geint doucement
Comme une floue et molle averse
Qui s’enfle et tombe à tout moment.
Francis Carco
Merci à la Fondation Maurice Carême
Caillou
Caillou noir,
Pas d'espoir.
Caillou rouge,
Rien ne bouge.
Caillou rond,
Pas un rond.
Caillou gris,
Rien de pris.
Caillou vert,
On le perd.
Caillou rose,
Peu de chose.
Caillou jaune,
On le prône,
Caillou blanc,
Vif argent.
Caillou d'or,
Quel trésor !
Caillou bleu,
Qui dit mieux ?
Moi, moi, moi,
Dit le fou :
Caillou plat
Et sans trou.
Maurice Carême
Le cheval
Et le cheval longea ma page.
Il était seul, sans cavalier,
Mais je venais de dessiner
Une mer immense et sa plage.
Comment aurais-je pu savoir
D'où il venait, où il allait ?
Il était grand, il était noir,
Il ombrait ce que j'écrivais.
J'aurais pourtant dû deviner
Qu'il ne fallait pas l'appeler.
Il tourna lentement la tête
Et, comme s'il avait eu peur
Que je lise en son coeur de bête,
Il redevint simple blancheur.
Maurice Carême
Tu seras un Homme, mon fils (autre titre : Si ...)
Rudyard Kipling, a écrit "If ..." (Si ...), en 1910. C'est la version traduite de l'anglais par l'écrivain Pierre Maurois (en 1918), qui est généralement retenue :
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils.
Rudyard Kipling (voir aussi dans POÉSIE d'humour, dérision, parodie, un texte parodique)