« Histoire inachevée cherche auteurs talentueux ! » Comme chaque année depuis plus de 25 ans, le concours Jeunes Ecrivains du magazine Je Bouquine offre aux jeunes auteurs, la possibilité de poursuivre un texte, commencé par un grand auteur !

Cette année, c’est Olivier Adam qui prête sa plume. Savourez cette histoire où il est question de vent, de sel, d’oiseaux, de solitude, et d’amour aussi. Ou peut-être pas… À vous de décider ! Laissez-vous emporter par cette marée qui monte au point de tout bouleverser. Avec les mots, on peut tout inventer. Rendez-vous en mai 2013 pour les résultats…

 

Léa était assise juste devant moi. Elle dormait. Comme tout le monde à part moi. Je ne voulais pas en perdre une miette. Ses cheveux. Sa tête penchée sur son épaule. Elle ronflait un peu. Qu’une fille aussi parfaite puisse ronfler ainsi m’a ému, sans que je sache au fond pourquoi. Le trajet a duré plus de deux heures. Je crois que c’est le moment que je préfère dans les sorties. Le bus ronronne. Je mets mon casque et, pardessus la musique, me parvient le bruit des autres, leur brouhaha léger, cotonneux. Je rêve à la journée qui s’annonce. Je ne pense pas à l’endroit qu’on nous emmène visiter. Ni à ce que nous en diront le prof et les guides.

Non, je pense à tout le reste. À ce qui va vraiment se passer. À Léa qui, à un moment, dans les allées du musée, dans les rues d’une ville ancienne, s’arrêtera pour refaire ses lacets, se laissera décrocher, et se retrouvera près de moi, me sourira, et marchera un peu à mes côtés. Ou bien je rêve à la journée qui s’achève, à tout ce qui ne s’est pas passé, à toutes les occasions manquées : les gestes que je n’ai pas osé faire, les mots que je n’ai pas su dire. Quand nous sommes descendus du bus, la brume enveloppait la mer, nimbait la ville d’un drap fantomatique. Tout le monde était un peu endormi. Pas moi. Je connaissais cet endroit par coeur. Au moindre rayon de soleil, les samedis, les dimanches, papa nous réveillait auxaurores et nous embarquait pour une grande journée à la mer. Deux heures de route et le soleil se levait sur l’eau émeraude. Maman n’était jamais aussi heureuse que ces jours-là. C’est peut-être pour ça que j’aimais tant cet endroit. À cause du visage souriant de maman quand elle regardaitla mer. Mais ce matin-là, avec la classe, c’était comme un autre lieu.

Une autre ville. Une autre mer. Les odeurs, la lumière : tout me paraissait différent. Peut-être parce que je ne pouvais pas m’empêcher de regarder avec les yeux des autres, de me demander ce qu’ils pouvaient ressentir en découvrant ce paysage pour la première fois. Les remparts par-dessus la mer agitée. Les îles au large. La côte qui se découpait en dentelle et fuyait vers l’ouest. Le sable doré où se plantaient les brises lames. Le château et les ruelles pavées. Pour la plupart, je crois surtout qu’ils n’en avaient rien à faire. Ils étaient trop occupés à ricaner, à s’envoyer des vannes, à regarder leurs téléphones portables. Leur monde tenait sur un écran. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ça ne faisait pas grand, à côté de tout ce ciel, de tout cet océan.

La prof nous a présenté la guide et la promenade a débuté. Après l’inévitable tour des remparts, nous sommes descendus sur la plage pour pique-niquer. C’était déjà le début de l’après-midi. La brume s’était levée depuis longtemps. La mer était basse et n’allait pas tarder à entamer sa remontée. C’était tellement étrange d’être là, sur cette plage que j’aimais plus que n’importe quel endroit en ce monde, qui était un peu mon secret, et de le partager avec Léa, même si elle m’ignorait.

Enzo a râlé que ça puait à cause des algues. Johana a ajouté que c’était moche, en plus, avec la mer retirée au loin, laissant à nu des récifs, des amas de roches où s’accrochaient des herbes rousses et vertes. J’ai pensé à papa. Selon lui, il existait deux catégories de personnes : ceux qui n’aiment que la marée haute et les autres, les poètes, les sensibles, les tourmentés, qui préfèrent la marée basse. Je vous laisse deviner dans quel camp nous nous situons maman et moi. Je me suis assis un peu plus à l’écart et j’ai mis mon casque sur les oreilles.

Après le repas, nous avons marché au milieu du sable humide jusqu’à l’île où reposait un écrivain célèbre, qui avait vécu là et demandé à être enterré face au large. On ne pouvait y accéder qu’une fois la mer en allée. Autour de nous, des aigrettes blanches marchaient à pas de danseuses dans les flaques d’eau. Nous avons gagné le sommet de l’île. Les autres soupiraient. Ils en avaient assez de marcher. Et puis il n’y avait rien à voir.

Juste de l’eau, des rochers, et cette stupide tombe. Ils ont fait demi-tour et se sont dirigés vers la plage. Je ne les ai pas suivis. Au contraire, j’ai pris le chemin qui descendait vers la mer. Personne n’a fait attention à moi. Dumoins c’est ce que j’ai cru. Arrivé au pied l’île, à quelques mètres de l’eau seulement, j’ai commencé à en faire le tour. À mes pieds, entre les rochers, dans les flaques, se pressaient les anémones de mer. J’entendais grouiller les crabes. Je n’étais plus très loin du but. De l’autre côté d’une petite pointe rocheuse, à l’abri du vent, des centaines d’oiseaux nichaient à flan de falaise. Des goélands, des sternes, des cormorans, des huîtriers.

— Où tu vas ?

Je me suis retourné. C’était Léa. Mes jambes se sont mises à trembler. Je ne sais pas ce qu’elle faisait là. Pourquoi elle n’était pas avec les autres ? Elle m’a répondu que la prof l’avait envoyée me chercher. La mer remontait, il ne fallait pas tarder. J’ai regardé l’heure. J’ai haussé les épaules.

D’après mes calculs il me restait un peu de temps.

— OK. J’arrive. J’en ai pour deux minutes, ai-je dit.

J’ai repris mon chemin vers les oiseaux.

— Tu m’as pas répondu. Où tu vas ?

— Suis-moi. Tu verras bien.

À ma grande surprise elle s’est exécutée. Mon coeur battait jusque dans mes doigts. Je lui ai fait signe de ne surtout pas faire de bruit. On s’est planqués derrière un rocher.

 

À vous d’écrire la suite :

 

Les autres étaient partis. Je savais que c’était le moment, on voyait parfaitement la mer :

- Qu’est-ce que c’est ?

Je chuchotais :

-Des oiseaux, n’aie pas peur.

Au moment où nous sortions de notre refuge, des sternes se sont envolées devant nous en poussant des cris désolés. Léa s’est serrée un peu plus contre moi. Elle m’a dit : « Si nous ne rentrons pas, on se fera punir ».

Je regardais ma montre, je savais parfaitement que rentrer était maintenant impossible, qu’il nous faudrait attendre sur l’île jusqu’à la prochaine marée. Mon cœur battait, cela faisait longtemps que j’aimais Léa et maintenant que la mer nous encerclait, je l’avais entièrement pour moi. Une vague d’émotion m’a submergé. La nuit tomberait vite.

- Approche doucement, dis-je en chuchotant, c’est quelque chose d’extraordinaire au moment du coucher du soleil, les oiseaux suivent les courants et …

- Attends, me dit-elle.

Elle s’est appuyée contre un rocher pour enlever le sable d’une de ses chaussures. Elle m’a souri. J’ai senti qu’elle aimait comme moi les choses pleines de poésie et qu’elle n’avait plus envie de rentrer elle non plus.

Quand tout à coup, elle a disparu sans un cri.

Paniqué, j’ai regardé de tous les côtés, je n’ai rien vu. J’ai appelé de toutes mes forces, mes appels se sont éteints dans les cris des cormorans. J’ai fait plusieurs fois le du rocher contre lequel Léa s’était appuyée. Il était plein de mousse, il brillait d’un éclat étrange dans le soleil couchant. Rien !

Un bruissement d’ailes a attiré soudain mon attention. J’ai regardé de plus près, le rocher avait une forme bizarre. Dans un renfoncement, j’ai aperçu deux petits yeux rouges, puis quatre, une dizaine, les yeux se sont rapprochés de moi. J’ai senti des frôlements dans mes cheveux. Sous le rocher, il y avait en fait une grotte où logeait une centaine de chauves souris que j’avais dérangées.

Malgré ma peur, je me suis baissé, j’ai avancé en appelant Léa. La grotte était humide, j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles. Mais étrangement plus je progressais plus je voyais clair. J’ai continué à marcher, le sable est devenu sec, et j’ai vu au fond une bibliothèque baignée de lumière, partout des piles immenses de livres. Il y avait un bureau en bois, un sac à dos sur une chaise. J’ai appelé, personne ne m’a répondu, aucune trace de Léa. C’était pourtant son sac à dos, elle était donc passée par-là. Il était vide ! Je l’ai appelée encore et encore, mais pas le moindre bruit à part celui des gouttes qui tombaient du plafond à l’entrée de la salle.

Il faisait bon dans la salle troglodyte, un beau feu crépitait dans la cheminée. Tout en réchauffant mes mains glacées, je réfléchissais où je pouvais être. Il y avait des piles de livres immenses comme des falaises : des livres de contes, de poésie, de magie, des livres parlant d’autres mondes. Ce devait être le repère d’un écrivain. Cette salle était habitée, le feu dans la cheminée, le bureau astiqué. Le sable craquait sous mes pieds, mais sous le bureau, il y avait un tapis précieux. Je jetais un rapide regard à ce décor insolite car la seule chose qui m’intéressait était de retrouver Léa. Je me suis époumoné à crier : Léa, Léa ! Elle ne m’a pas répondu, j’étais désespéré.

Soudain j’ai entendu crier mon prénom. C’était elle. Mais je ne voyais toujours rien. Je me suis approché du bureau. Je n’avais pas rêvé, cela ne pouvait être un fantôme, la voix était bien réelle. Entre un pot d’encre et une plume, j’ai vu un carnet à la reliure dorée. La voix provenait de ce carnet. Je l’ai ouvert. J’ai vu une petite écriture, très difficile à déchiffrer, il s’agissait d’une sorte de manuscrit. J’ai tourné les pages et aussitôt j’ai reconnu le parfum de Léa. J’avais la désagréable impression d’être devant Alice aux Pays des Merveilles tant elle était petite. Coincée dans une lettrine en forme de L, elle me criait :

- Au secours Thomas ! Aide-moi. J’ai été aspirée par ce livre. Ecoute-moi, je t’en prie. Il faut écrire quelque chose pour me libérer.

J’ai pris la fiole sur la table et la plume, je me suis penché sur le manuscrit et j’ai écrit :

« Ils vécurent heureux pour toujours ».

J’ai entendu un craquement, soudain nous étions sur la falaise aux oiseaux. Léa était à côté de moi. Je me retournais vers elle, étrangement, il ne faisait pas encore nuit, la mer caressait les rochers, les courants invisibles nous encerclaient, les oiseaux tournoyaient. J’ai senti son haleine chaude contre mon visage, Léa m’embrassait.