c'est ce qu' a vu Tatiana dans Vue des tourbillons de Naruto à Awa par Utagawa Hiroshige                     

Je vois son ombre furtive se laissant dériver dans les courants invisibles. Mon œil acéré observe sa forme mouvante, mon bec aiguisé salive déjà.

      La mer est très agitée. Il me faudra donc ruser pour l'attraper sans finir fracassé contre les immenses vagues, écrasé contre les rudes rochers.

Et puis il ne faudrait pas que les autres viennent empiéter sur mon territoire, je dois donc agir vite et prudemment. Aucun d’eux ne doit se rendre compte de mon stratagème d’approche, de guetteur, de chasseur.

En ce jour de tempête, cela créerait un tumulte énorme et je déteste leur criailleries, leur avidité !

Une énorme vague dont l'écume salée m'a frôlé, pouvant m’apporter la mort, me heurte de sa lame impitoyable. Je dois faire très attention sinon mes petits se retrouveront sans père. Ils sont si beaux et si fragiles. Ils ont besoin de moi et de nourriture. C'est pour cela qu'il faut que j'attrape cette prise miraculeuse, pour eux, pour ma famille, pour moi. Ce poisson est si précieux, ce poisson aux reflets d'or, à peine aperçu entre les écueils.

Quand verrais-je donc une faille dans cette tempête ? Peut être entre deux vagues d'eau salée, entre deux murs de ciment gelé, entre deux barreaux  de cette prison de cristal ? Vite, j'espère, je sens déjà son corps frétillant et brillant dans mon bec.

Je serais bientôt épuisé à tournoyer ainsi, cela fait plusieurs heures que je guette .Pitié Dieux des mers ou je ne sais encore quelle divinité humaine et animale, aidez moi à l’attraper.

Les vagues continuent à affluer de toutes parts s'écrasant violemment sur les roches.  D’autres fous, l’estomac vide osant s'aventurer entre ces crêtes disparaissent dans les violents remous. Seulement quelques-uns, les plus heureux, réussiront et j'espère pouvoir faire partie de ces élus.

     Enfin , une ouverture , Vite !

Je dois piquer. Je dois fondre vers cette eau meurtrière, je dois sans hésiter me lancer dans cette cage translucide. Mes ailes contre moi , le bec en premier , le corps à la verticale , ça y est , je plonge dans la mer . Frisson glacé !  Et le piège marin se referme sur moi tandis que….

Je le vois , lui qui ne s'attend pas à être attrapé par un être tombé du ciel .

Je le vois et je fends l'eau. Il est à moi !

    Maintenant que je sors de l'eau , je dois cacher ce butin iodé.

Le poisson n'est pas encore mort et essaie de se débattre, je ne le lâcherais pas. Sa saveur n'est qu'un excitant, une motivation de plus pour que je le ramène à ma famille au plus vite . Pour cela je dois vite disparaître du champ de vision de mes rivaux, sans quoi je cours le risque de me faire violemment disputer mon trésor .

Ce serait la guerre .

Mais pour l’instant, je suis victorieux et c'est ce qui importe .

  Vite . Vite . Mon corps tout entier file vers l'horizon , vers cet endroit magnifique qu'est ma maison . Enfin , je vois mes petits ,  plus que quelques coups d'ailes et je serais avec eux . Je vole. Je vole le plus rapidement possible au-dessus des falaises creusées par l'Océan . Je vole.

C'est alors que j'aperçois ma merveilleuse compagne  ! La seule idée de rester auprès d'elle me fait étirer les ailes et planer de bonheur vers la falaise vertigineuse. Je suis rentré .

Je vais enfin pouvoir donner à manger. Je vais enfin pouvoir me reposer auprès d'eux.

      Je les vois . Et je suis en vie.

                                  Je suis Kyoshiro , l'oiseau des mers .