Je ne vais pas vous mentir, ce livre, ce n'est pas moi qui l'ai choisi ! Une collègue m'a dit :"tu peux me faire un petit article après la lecture de ce livre pour donner un exemple aux élèves ?" (Bon, entre temps, il faut savoir qu'elle a changé plusieurs fois d'avis avant de faire un choix définitif dudit livre). Au final, j'ai eu le droit (et peut-être un peu le devoir) de lire Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran d'Eric-Emmanuel Schmitt.
On ne va pas se mentir en ouvrant l'ouvrage, je m'attendais à tout sauf à cette première phrase ! Ces mots m'ont surpris dès l'instant où mes yeux se sont posés dessus. Et puis cet enchainement, tout le long de cette première page, une ouverture sur le récit qui nous plonge directement dans le chaos des contradictions d'un enfant qui doit grandir trop vite, dont l'enfance n'est qu'un mot dénué de féérie. Il en reste des lambeaux de cette enfance que l'on devine, de ce qui devrait être rêveries et innocence, des lambeaux comme un ours en peluche, comme des références à un dessin mais ils sont bien vite happés par la vie, crue, froide et ce que le narrateur s'imagine être la vie d'un adulte, d'un homme.
Et puis, dans les jours qui suivirent, monsieur Ibrahim me donna plein de trucs pour soutirer de l'argent à mon père sans qu'il s'en rende compte : lui servir du vieux pain de la veille ou de l'avant-veille passé dans le four ; ajouter progressivement de la chicorée dans le café ; resservir les sachets de thé ; allonger son beaujolais habituel avec du vin à trois francs et le couronnement, l'idée la vraie, celle qui montrait que monsieur Ibrahim était un expert dans l'art de faire chier le monde, remplacer la terrine campagnarde par des pâtés pour chien.
Chaque personnage de l'histoire a ses secrets, chacun devine ou perçoit la présence et l'existence de ceux des autres mais tout en pudeur, tout en respect, n'en dit rien, ne cherche pas à creuser plus profond. Au fur et à mesure, en avançant dans l'histoire on découvre que chacun doit faire face à ses démons intérieurs et malgré tout, avancer tout en trouvant le meilleur à prendre dans les gens qui les entourent, pour se construire une nouvelle famille, de cœur.
C'est vraiment l'histoire d'une rencontre. De vies qui s'entrecroisent, chacune mêlée de ses propres secrets, de ses non-dits et de ses failles. Et quand ces vies qui semblent trop abîmées se mêlent, elles peuvent parfois donner naissances à de nouvelles histoires, faire revivre une joie qui semblait, jusque là profondément enterrée sous la souffrance passée, sous l'abandon et l'indifférence.
C'est
l'ivresse. Plus rien ne me résiste. Monsieur Ibrahim m'a donné
l'arme absolue. Je mitraille le monde entier avec mon sourire. On ne
me traite plus comme un cafard.
Et lorsque de ces lambeaux d'enfance et d'innocence percent quelques découvertes, celle du sourire par exemple. Quand un enfant découvre enfin le pouvoir d'un simple sourire c'est touchant, et quand dans le même temps, il ne peut s'empêcher que de n'y voir qu'une arme à instrumentaliser pour parvenir à ses fins, c'est à la fois triste. D'un coup, l'innocence perd de sa magie. C'est en cela que ce passage, si court soit-il me semble extrêmement révélateur de cet enfant et de l'état d'esprit de ce livre de façon générale.
Et ce livre c'est aussi une question d'identité et de quête, d'un enfant que l'on suit, qui grandit et devient un homme, qui se construit. Qui étions-nous à la naissance ? Qu'avons nous gardé de nos parents ? Quelle part d'identité leur appartient mais ne nous correspond pas à nous ? Que devons nous créer pour nous-même ? Que nous apportent tous ces gens qui peuplent nos vies au fur et à mesure que nous grandissons ?
Parce que notre identité est multiple et que nous ne nous réduisons pas à qui nous étions à notre naissance, ni à qui étaient nos parents, ni uniquement à ce qu'ils nous ont donné. Nous sommes bien plus. Nous sommes cela d'une part, nous devons prendre en héritage ces morceaux de nous que notre famille a construit, mais nous sommes bien plus. Nous sommes tout ce que nous construisons ensuite, tous les choix que nous assumons, de tout cœur et en pleine conscience, tous les voyages que nous entreprenons, tous les noms que l'on se donne et les nouvelles familles que l'on se choisies.
Parce que le monde peut devenir plus grand, plus vaste, au fur et à mesure des rencontres que l'on veut bien s'accorder et parce que nous aussi, pouvons devenir plus grand et plus riche des rencontres et choix que nous faisons.
Mme P.