"Horace" de Corneille - La mort de Camille
Par Mme Gruel (magistra) le 22 septembre 2012, 19:47
Voici la scène 5 de l'Acte IV dans lequel Horace annonce avec fierté à sa sœur Camille qu'il a vengé leurs deux frères en tuant les trois Curiaces. Loin de partager sa joie, Camille pleure la mort de son amant. Elle en vient à maudire Rome, provoquant sa mort.
Cet enregistrement date de 1963. Le metteur en scène est Jean Kerchbron, Camille est interprétée par Judith Magre.
Source : ina.fr
Le texte de Corneille :
Horace
Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères,
Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires,
Qui nous rend maîtres d’Albe ; enfin voici le bras
Qui seul fait aujourd’hui le sort de deux états ;
Vois ces marques d’honneur, ces témoins de ma gloire,
Et rends ce que tu dois à l’heur de ma victoire.
Camille
Recevez donc mes pleurs, c’est ce que je lui dois.
Horace
Rome n’en veut point voir après de tels exploits,
Et nos deux frères morts dans le malheur des armes
Sont trop payés de sang pour exiger des larmes :
Quand la perte est vengée, on n’a plus rien perdu.
Camille
Puisqu’ils sont satisfaits par le sang épandu,
Je cesserai pour eux de paraître affligée,
Et j’oublierai leur mort que vous avez vengée ;
Mais qui me vengera de celle d’un amant,
Pour me faire oublier sa perte en un moment ?
Horace
Que dis-tu, malheureuse ?
Camille
Ô mon cher Curiace !
Horace
Ô d’une indigne sœur insupportable audace !
D’un ennemi public dont je reviens vainqueur
Le nom est dans ta bouche et l’amour dans ton cœur !
Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire !
Ta bouche la demande, et ton cœur la respire !
Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs,
Ne me fais plus rougir d’entendre tes soupirs ;
Tes flammes désormais doivent être étouffées ;
Bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées :
Qu’ils soient dorénavant ton unique entretien.
Camille
Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien ;
Et si tu veux enfin que je t’ouvre mon âme,
Rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme :
Ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort ;
Je l’adorais vivant, et je le pleure mort.
Ne cherche plus ta sœur où tu l’avais laissée ;
Tu ne revois en moi qu’une amante offensée,
Qui comme une furie attachée à tes pas,
Te veut incessamment reprocher son trépas.
Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes,
Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes,
Et que jusques au ciel élevant tes exploits,
Moi-même je le tue une seconde fois !
Puissent tant de malheurs accompagner ta vie,
Que tu tombes au point de me porter envie ;
Et toi, bientôt souiller par quelque lâcheté
Cette gloire si chère à ta brutalité !
Horace
Ô ciel ! Qui vit jamais une pareille rage !
Crois-tu donc que je sois insensible à l’outrage,
Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ?
Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,
Et préfère du moins au souvenir d’un homme
Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome.
Camille
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n’est assez de toute l’Italie,
Que l’orient contre elle à l’occident s’allie ;
Que cent peuples unis des bouts de l’univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !
Horace
C’est trop, ma patience à la raison fait place ;
Va dedans les enfers plaindre ton Curiace.
Camille
Ah ! Traître !
Horace
Ainsi reçoive un châtiment soudain
Quiconque ose pleurer un ennemi romain !
Source : Wikisource
4 commentaires
J'ai quand même passé 6 minutes pour une vidéo de 3:48 minutes à chercher le passage ou Camille dit :
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
M'enfin, quoi qu'il en soit Camille et quand même insouciant(limite un peut schizophrène), dire ça à son frère qui et de plus armé... ET LE PIRE ! C'est qu'elle insulte sa ville alors qu'elle était actuellement là-bas.
C'est dingue, elle devait être vraiment amoureuse de son mari pour dire tous cela.
Je me demande, si c'était les frères Curiace qui avait remporté la bataille et que les 3 frères Horace était mort, quel aurait était la réaction de Camille? Aurait-elle réagit de la même façon? Mais cette fois-ci envers son amant? Cette histoire et assez bizarre... on peut se poser beaucoup de questions dessus.
@Mustafa-Serkan Altundas : Camille est aveuglée par la douleur. Elle ne se rend plus compte de ce qu'elle dit...
@Mustafa-Serkan Altundas : C'est ce qui fait de Camille un personnage tragique : pour elle, aucune solution n'est la bonne !